Une pharmacienne propriétaire sanctionnée pour avoir laissé des ados manipuler des stupéfiants

Article mis à jour le 6 juin 2025. Des moins de 13 ans autorisés à manipuler des stupéfiants et des narcotiques dans un laboratoire de pharmacie? Cela paraît inconcevable, mais c’est pourtant ce qui s’est passé dans deux pharmacies de la Beauce. Sur recommandation conjointe des parties, le Conseil de discipline de l'Ordre des pharmaciens du Québec (OPQ) vient donc de condamner la pharmacienne propriétaire Caroline Sylvain à 5000$ d’amende pour des faits remontant aux prémices de la pandémie de COVID-19, et ayant perduré jusqu’en 2023. Retour en 2020. En pleine pandémie de COVID-19, les pharmacies de la province sont confrontées à une pénurie de main-d'œuvre et à une demande accrue de la population. Face aux absences répétées de plusieurs de ses employés pour des symptômes liés au virus ou pour garder leurs enfants en pleine pandémie, Caroline Sylvain décide de faire appel à plusieurs adolescents, âgés de moins de 13 ans à 17 ans, pour renforcer les effectifs de ses deux pharmacies – dont un centre de préparation des ordonnances (CPO) – de Saint-Prosper-de-Dorchester dans la Beauce. Des adolescents dont elle connaît bien les parents, puisqu’il s’agit de proches de ses employés.À lire aussi: Utilisation frauduleuse du DSQ par un étudiant: un pharmacien propriétaire sanctionnéPour encadrer ces recrutements au mieux, la pharmacienne propriétaire s’assoit avec parents et enfants, et fait signer à ces derniers une entente de confidentialité concernant les dossiers patients auxquels ils peuvent avoir accès dans le cadre de leur emploi. Rien ne concerne cependant leur potentiel accès aux médicaments. Entre 2020 et 2023, les adolescents désignés pour travailler au CPO – un lieu pourtant sécurisé – se sont ainsi vus confier des tâches non techniques, mais ont aussi appris à remplir les robots de médicaments, notamment pour gérer la préparation des piluliers. Certains des médicaments insérés dans les robots au cours de ces tâches étaient des narcotiques et des médicaments cytotoxiques.Or, le Règlement déterminant les actes visés à l’article 17 de la Loi sur la pharmacie pouvant être exécutés par des classes de personnes autres que des pharmaciens stipule que, hormis les pharmaciens, seules des personnes majeures sont autorisées à exécuter les tâches techniques reliées à la préparation des médicaments en exécution ou non d’une ordonnance. Un règlement que Caroline Sylvain affirme alors ne pas connaître. Cette méconnaissance du Règlement fait partie des facteurs aggravants retenus par le Conseil de discipline de l’OPQ contre la pharmacienne propriétaire, en plus de sa grande expérience professionnelle au moment des faits (12 ans) et de la durée de l’infraction. Aucun inventaire des stupéfiants et drogues contrôlées pendant sept ansOutre cette grave négligence, l’enquête du syndic a révélé d’importantes failles dans le système de surveillance des stocks de médicaments dans les deux pharmacies de Caroline Sylvain. Une infraction pour laquelle elle écope de 10 000$ d’amende supplémentaires, là encore sur recommandation conjointe des parties.En effet, cette dernière n’a tout simplement réalisé aucun inventaire des stupéfiants et des drogues contrôlées entre 2016 et 2023, incluant donc la période d’embauche des adolescents. Ce, malgré la présence du logiciel d’inventaire cubiNarcos dans la pharmacie et le CPO.La pharmacienne ne possède qu’un seul inventaire pour les deux sites, et son code de pharmacienne est alors utilisé pour toutes les commandes de médicaments effectuées auprès des grossistes, et ce, même si ce n’est pas elle qui passe la commande. Un code laissé à la vue de tous selon le syndic, puisqu’il était «collé sur le terminal informatique tant à la pharmacie qu’au CPO», note le rapport du Conseil de discipline, ajoutant que «les drogues contrôlées et les stupéfiants ne sont pas conservés sous clé et les médicaments périmés, bien que conservés séparément, ne sont pas détruits régulièrement. Les procédures et protocoles de destruction des médicaments périmés, des drogues contrôlées et des stupéfiants n’en permettent pas la traçabilité.»À lire aussi: Deux pharmaciens propriétaires sanctionnés pour s’être enrichis illégalement pendant la pandémieCe n’est que lors de l’enquête du syndic, le 26 mai 2023, que Caroline Sylvain va enfin effectuer un inventaire de ces produits. En ressortent «des écarts appréciables entre les achats et les ventes de médicaments,» que le syndic explique par des «erreurs commises dans la destruction de médicaments puisque les protocoles et processus mis en place par l’intimée concernant leur traçabilité et leur destruction sont inadéquats.»Là encore, la pharmacienne propriétaire se défend en plaidant la méconnaissance, cette fois de la fonctionnalité du logiciel lui permettant de vérifier l’écart de façon aléatoire entre les achats et les ventes de médicaments. Un facteur aggravant pour le Conseil de discipline. Plusieurs mesures de sécurité mises en placePour ces deux chefs d'accusation, le Conseil de discipline reconnaît «l'absence de preuve de la survenance de conséquences néfastes à l’égard de clients ou du public» mais ne considère pas cette absence comme un facteur atténuant pour autant. Le risque de récidive est toutefois jugé faible au regard de la bonne volonté de la pharmacienne propriétaire, qui a exprimé «des regrets sincères» et mis en place plusieurs mesures de sécurité depuis l’enquête.Caroline Sylvain assure ainsi ne plus embaucher de personnel de moins de 16 ans – l’âge requis pour s’inscrire à un diplôme d’études professionnelles en assistance technique en pharmacie, précise le Conseil –, et avoir modifié ses protocoles et procédures en lien avec la manipulation, la traçabilité et la destruction des drogues contrôlées et des stupéfiants.La pharmacienne propriétaire a, en outre, nommé une personne responsable de la destruction des médicaments périmés, qui se fait dorénavant à des intervalles de six mois maximum. Enfin, «toutes les drogues contrôlées et les stupéfiants sont maintenant conservés sous clé et non plus sur les tablettes derrière le comptoir de la pharmacie ou sur les tablettes du CPO. Le mot de passe pour l’achat de médicaments est maintenant caché», ajoute le rapport d’audience.

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