Une ex-médecin fraude la RAMQ en prétextant un projet de recherche

À l’audience, Isabelle Lafontaine n’en a pas démordu. Devant le Conseil de discipline du Collège de médecins du Québec, elle a soutenu qu’elle avait mis sur pied «un projet de recherche» dans le but de révéler les lacunes et les failles du système de contrôle de la facturation de la Régie de l’assurance-maladie du Québec (RAMQ). Projet de recherche qu’elle a mené courant 2022 en Australie, d’où elle a facturé une multitude de faux actes médicaux pour un montant total estimé de près de 200 000$.L’ex-médecin démissionnaire depuis mai 2023 n’a pas convaincu le Conseil. Selon lui, Isabelle Lafontaine n’a pas respecté «une disposition claire et spécifique» du Code de déontologie des médecins, à savoir l’article 106 qui stipule que «le médecin doit s’abstenir de réclamer des honoraires pour des services professionnels non rendus». Ce faisant, elle a également contrevenu à l’article 84 du Code puisqu’elle a «utilisé des données qu’elle savait erronées dans le cadre de sa facturation à la RAMQ».Quant à son argument de défense: «Prétexter a posteriori la réalisation d’un projet de recherche pour justifier la facturation et l’encaissement de sommes en provenance d’un tiers payeur pour des services non rendus ne peut justifier ou venir bonifier les gestes posés et la commission d’infractions disciplinaires», a conclu le Conseil qui se prononcera ultérieurement sur la sanction à imposer à l’ex-docteure Lafontaine.À lire aussi: L’indomptable Mammouth: Réflexions sur le système de santé au QuébecL’enquête du syndic à son encontre a démarré en juillet 2022 suite au signalement d’un patient. Inscrite à l’époque comme médecin de famille au tableau de l’Ordre, elle l’avait appelé pour lui proposer de le prendre en charge et lui avait posé quelques questions sur sa condition. L’homme découvrira en consultant son dossier en ligne que l’ex-omnipraticienne a par la suite facturé à la RAMQ sept fausses visites entre mars et mai 2022.Quatre semaines plus tard, une autre patiente signale des agissements similaires. Puis une troisième demande d'enquête, déposée en novembre 2022, rapporte un scénario plus ou moins identique.Dans le cadre de son enquête, le syndic du Collège a obtenu auprès de la RAMQ les relevés journaliers des services soi-disant rendus et facturés par Isabelle Lafontaine pour la période du 1er mars au 31 octobre 2022. Services pour lesquels elle a été payée. En se focalisant sur ces trois patients et sur quelques autres, le syndic a identifié «plus de 200 séquences de facturation et de paiements de services non rendus, selon une séquence d’une dizaine de services réclamés par patient sur des périodes se situant entre 5 à 10 jours».Au total, ce schéma de facturation aurait été appliqué à quelque 238 patients par l’ex-omnipraticienne, alors qu’elle ne les a jamais rencontrés, ni examinés, ni traités. À lire aussi: Un jeune médecin de famille radié trois fois trois moisDe la difficulté à gagner sa vie Pour justifier ses infractions, Isabelle Lafontaine est revenue sur son parcours. À l’issue de sa résidence en médecine nucléaire, complétée en août 2003, la jeune médecin est partie exercer à l’étranger. Après des séjours en Australie et en Nouvelle-Zélande, elle est revenue au Québec en 2016. N’arrivant pas à trouver de poste en médecine nucléaire, elle a suivi en 2017 et 2018 des stages en pédiatrie et en médecine de famille avant de s’installer l’année suivante à Acton Vale, en Montérégie, comme omnipraticienne.Durant son témoignage, Isabelle Lafontaine a signalé qu’elle aurait aimé se faire embaucher dans un GMF étant donné qu’avec sa pratique solo, elle n’arrivait pas à gagner sa vie. L'ex-médecin a raconté qu’elle s’est servie du Guichet d’accès à un médecin de famille (GAMF) au courant de 2021 dans le but d’élargir sa patientèle. Elle a contacté par téléphone des patients orphelins pour leur offrir de les prendre en charge, dans la perspective de l’ouverture projetée de sa propre clinique médicale, rue Lacombe, à Montréal. Elle en a conclu que le GAMF «ne marche pas» et que le montant des paiements de la RAMQ «n’arrivait même pas à payer le loyer de (sa) clinique».À lire aussi: Un omnipraticien radié trois mois pour quatre billets d’absence remis à un étudiantAu final, elle est retournée en Australie en mars 2022. C’est à ce moment qu’elle a conçu son «projet de recherche». Elle rapporte avoir constaté que ses «réclamations d’honoraires pour des services à de faux patients passaient plus facilement lorsqu’ils étaient facturés à partir de l’Australie alors qu’elle avait de la difficulté et n’arrivait pas à être payée par la RAMQ au Québec pour des services rendus à de vrais patients.»«J’ai facturé les mêmes patients par batch: une batch de prise en charge à répétition, une batch de visites ponctuelles complexes, une batch de visites de suivis à répétition», précise-t-elle.Isabelle Lafontaine affirme avoir fait la démonstration des lacunes et des failles du système en prouvant que «la RAMQ verse des gros montants sans droit». Elle assure qu’elle a dénoncé la situation aux autorités, mais déplore que personne n’ait réagi. «J’ai poussé ma recherche jusqu’au bout. Il fallait que je sache ce qui serait payé ou non avant d’ouvrir ma clinique. Ma conclusion est que pour les prises en charge, la RAMQ paye les yeux fermés», argumente-elle, convaincue d’avoir «rendu service» en dévoilant un problème de sécurité à la RAMQ.

Une ex-médecin fraude la RAMQ en prétextant un projet de recherche

Pour accéder au contenu, connectez-vous ou créez un compte gratuit.

Catégories connexes