Un traitement vieux d'un siècle pourrait-il être une réponse à la résistance aux antibiotiques?

Pour la première fois au Canada, une patiente souffrant d'une grave infection résistante aux antibiotiques au niveau d'une articulation artificielle a reçu un traitement par phagothérapie et présente des réponses précoces et prometteuses.«Il s'agit d'un traitement de pointe et d'une technologie potentiellement nouvelle», s'est réjouit la Dre Marisa Azad, médecin spécialiste des maladies infectieuses qui a traité la patiente. Elle est professeure adjointe de médecine à l'Université d'Ottawa.La patiente a présenté une grave infection de l'articulation périprothétique (IAP) au cours de l'été 2023. Elle avait déjà subi de multiples opérations chirurgicales et avait connu plusieurs rechutes et infections avec la même bactérie persistante.«Elle avait reçu plusieurs traitements antibiotiques très longs et présentait une allergie grave à deux grandes classes d'antibiotiques. J'étais extrêmement limité dans ce que je pouvais utiliser pour la traiter», a indiqué la Dre Azad lors d'une interview accordée au Medical Post, une publication sœur de ProfessionSanté.ca.C'est alors qu'est née l'idée d'essayer un traitement expérimental par phagothérapie. L'équipe a obtenu l'autorisation de Santé Canada pour le traitement expérimental et a travaillé avec Cytophage, une entreprise de Winnipeg, qui a fourni les phages.«Nous avons mis au point un protocole et lui avons administré un traitement pendant deux semaines alors qu'elle était hospitalisée. Elle a terminé sa thérapie. À présent, nous la surveillons de près et lui administrons des antibiotiques d'appoint», a-t-elle expliqué.À lire aussi: Les inhibiteurs de JAK: sont-ils sûrs pour vos patients en rhumatologie?L'idée n'est pas tombée du ciel. Un examen de la littérature médicale a révélé qu'une étude, publiée l'année dernière dans Clinical Infectious Diseases, a passé en revue 33 cas précédemment publiés de patients souffrant d'infections des os et des articulations (IOA) réfractaires et au stade terminal et traités par phagothérapie. Les auteurs ont constaté que parmi ces rapports de cas, «29 (87%) ont obtenu un succès microbiologique ou clinique, deux (5,9%) ont rechuté avec les mêmes organismes et deux (5,9%) avec un organisme différent», sans effets indésirables graves.Les conclusions de cet article suggèrent qu'il y a «des avantages, des inconvénients et des obstacles importants à la mise en œuvre de la thérapie par les phages pour les IOA». Toutefois, les auteurs ajoutent dans le même souffle: «nous pensons que si la phagothérapie était utilisée plus tôt dans l'évolution clinique, moins d'antibiotiques cumulés pourraient être nécessaires dans le cadre d'un traitement individuel».Le mot phage est l'abréviation de bactériophage, un mot inventé en 1917 qui signifie littéralement «mangeur de bactéries». Il s'agit de virus dont le cycle de vie dépend de certains types de bactéries.«Ils s'accrochent à des types spécifiques de bactéries et injectent leur matériel génétique dans la cellule bactérienne. Ils prennent le contrôle de la machinerie des cellules bactériennes pour produire davantage de petits virus à l'intérieur et faire exploser ou éclater la bactérie» en libérant des particules virales qui peuvent aller infecter d'autres bactéries du même type, détaille la Dre Azad. Il est intéressant de noter que chaque phage cible un type de bactérie spécifique. L'avantage est que le traitement par phage est associé à un faible risque; certains rapports indiquant qu'il est moins susceptible de cibler de «bonnes» bactéries non ciblées. Mais cela signifie aussi que le traitement doit être adapté à l'infection de chaque patient, ce qui prend du temps, d’autant plus qu'il n'est pas toujours possible de trouver une correspondance. Contrairement aux antibiotiques, qui peuvent traiter une grande variété de bactéries, les phages ont un appétit plus spécifique.À lire aussi: On sait maintenant pourquoi le lupus et d’autres maladies auto-immunes touchent beaucoup plus les femmesPlusieurs centres dans le monde possèdent des bibliothèques de phages qui sont utilisées à des fins de recherche et, dans certains pays, pour le traitement. Au Canada, la bibliothèque de Cytophage est utilisée à des fins de recherche pour des applications agricoles ainsi que pour des traitements thérapeutiques potentiels.Entre-temps, la Dre Azad a ajouté que la patiente souffrant d'IAP montre des signes d'amélioration. «Les indicateurs vont dans la bonne direction, mais nous la surveillons de très près. Sa mobilité s'est améliorée et il y a des signes encourageants d'atténuation de l'infection et de l'inflammation.»Le traitement par les phages est utilisé en complément de l'antibiothérapie, car il semble que les phages puissent améliorer l'effet des antibiotiques, peut-être en rendant les bactéries plus vulnérables à ces derniers.Selon la Dre Azad, les applications potentielles en rhumatologie et en orthopédie sont multiples. «Si un patient souffre d'une infection articulaire, on observe souvent une arthrite septique, une ostéomyélite et, en présence d'un implant métallique sous-jacent, une infection périprothétique. Ces infections peuvent même se produire de façon simultanée. Les phages peuvent potentiellement être utilisés pour traiter toutes ces infections, mais nous devons trouver les meilleurs moyens d'y parvenir.»Une longue histoireL'histoire des phages a commencé il y a plus de 100 ans. Ils ont été découverts de façon indépendante, d'abord en 1915 par un pathologiste britannique, Frederick Twort, puis en 1917 par le microbiologiste franco-canadien Felix d'Herelle. Ce dernier a isolé ce qu'il avait décrit comme un «anti-microbe» de Shigella et a poursuivi ses recherches sur ce dernier en tant qu'agent thérapeutiques potentiel contre les infections bactériennes. Il a notamment constaté que la présence de phages était liée à la disparition de la maladie chez les patients atteints de dysenterie. Au cours des années 1920 et 1930, plusieurs traitements à base de phages ont été commercialisés pour lutter contre les infections bactériennes. Toutefois, à cette époque, d'autres antibactériens sont apparus, plus fiables et moins chers à produire, et de nombreuses personnes se sont donc détournées de la recherche sur les phages. L'approche a toutefois continué à être utilisée en Russie, en Pologne et en Géorgie.Bien que cette approche ait suscité beaucoup d'enthousiasme, la fiabilité et la prévisibilité de la réponse continuent de poser problème. Un aperçu de la technologie, publié en 2022 dans Antibiotics, indique que les essais cliniques sur la thérapie par les phages n'ont pas systématiquement fait état d'une efficacité, même s'il existe «des taux d'efficacité prometteurs provenant d'un corpus important et convaincant de littérature d'observation».Des essais cliniques de grande envergure sont nécessaires, un sentiment repris dans un éditorial de Nature Biotechnology qui pointe plusieurs limites à la thérapie. La nécessité de trouver des phages spécifiques capables de cibler l'infection d'un patient prend du temps, mais les méthodes informatiques peuvent accélérer leur identification.À lire aussi: Ostéoporose: mise à jour des directives, l’accent mis sur la prévention des fracturesEn outre, le développement du génie génétique des phages pourrait permettre dans le futur de créer des phages capables de mieux cibler les bactéries gênantes et de s'adapter à chaque patient.L'article indique également que la résistance aux phages peut également se produire, «même si nous constatons que ce phénomène peut être évité en utilisant des combinaisons de phages pour cibler une bactérie, car il est peu probable qu'une souche évolue pour devenir résistante à tous les phages d'un cocktail».Les auteurs concluent: «Il est peu probable que les thérapies par les phages remplacent l'utilisation générale des antibiotiques, mais il faut espérer que, dès qu'elles se seront avérées largement sûres et cliniquement utiles, elles constitueront un complément indispensable à l'arsenal des antibiotiques.»

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