Un psychiatre lourdement sanctionné pour des entraves à une syndique adjointe et des inspecteurs du Collège

Selon la morale qui conclut la fable Le Lion et le Rat, de Jean de La Fontaine: «Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage». Mais la patience d’une syndique adjointe plutôt magnanime du Collège des médecins du Québec (CMQ) a tout de même ses limites, surtout quand un clinicien sous enquête l’étire plus que de raison. Le Dr Jean-Pierre Rodriguez vient de l’apprendre à ses dépens.Le psychiatre écope d’une radiation de neuf mois et d’une amende salée pour avoir tardé à compléter quelque 551 dossiers médicaux en souffrance, entravé l’enquête de la syndique adjointe, dérogé aux engagements qu’il avait pris avec elle puis, finalement, d’avoir aussi entravé les inspecteurs du Collège chargés de l’évaluer dans le cadre du programme de surveillance de l’exercice de la profession.Inscrit au tableau de l’Ordre depuis 1970, le Dr Rodriguez a déjà eu maille à partir en pareilles matières. Selon une précédente décision du Conseil de discipline du CMQ, rendue en 2012, le directeur des services professionnels de l’Hôpital en santé mentale Albert-Prévost, où le psychiatre montréalais exerce encore, l’avait déjà sommé à maintes reprises de terminer ses dossiers médicaux, et ce dès 1995.Alors poursuivi pour la non-transmission du dossier d’un patient qui en avait fait la demande expresse ainsi que pour entrave au syndic — deux chefs qui lui ont valu une amende de 3000$ —, le médecin avait admis à l’audience qu’il a «toujours eu un problème pour compléter ses dossiers et ses résumés». Il avait également reconnu qu’il devient «évitant» quand il est confronté à une situation stressante. Deux comportements «totalement illogiques» à ses yeux, qu’il avait offert à ses pairs de corriger en allant consulter un collègue psychiatre.Soit la thérapie a échoué, soit le Dr Rodriguez ne l’a pas entreprise.À l’issue d’une inspection professionnelle du CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal, menée en janvier 2018 par le Collège dans le cadre de son programme de surveillance des établissements, le psychiatre a de nouveau été pris à défaut. Les inspecteurs ont constaté un «retard inacceptable» dans le parachèvement de ses dossiers médicaux. Ils ont donc signalé le médecin au bureau du syndic.La Dre Suzie Daneau prend son dossier en charge et la syndique adjointe lui adresse un premier courrier le 16 mars 2018, auquel le Dr Rodriguez ne donne pas suite. Il en faudra quatre autres, dont un par recommandé et un remis par huissier, avant que le psychiatre ne daigne l’appeler, le 12 décembre. Il indique alors à la Dre Daneau qu’il croit pouvoir compléter cinquante dossiers par semaine. Celle-ci lui demande en retour de confirmer le tout par écrit en lui faisant suivre un échéancier réaliste, ce que le médecin ne fera pas. À cette date, il compte 551 dossiers médicaux incomplets, dont certains dataient de 2012.Le 28 février 2019, lors de leur seconde conversation téléphonique, le Dr Rodriguez assure à la syndique adjointe qu’il sera en mesure de compléter une centaine de dossiers la semaine suivante et qu’il va poursuivre sur cette lancée. Deux mois plus tard, les archives du CIUSSS répertorient 400 dossiers incomplets.Sourde oreilleFin mai, la Dre Daneau convoque son confrère à une rencontre d’enquête par courrier recommandé. Le Dr Rodriguez reçoit bien ledit courrier, mais n’y donne pas suite. La syndique adjointe le relance, en lui faisant suivre par huissier une lettre dans laquelle elle le convoque aux bureaux du Collège pour le 4 septembre 2019. Le psychiatre ignore le rendez-vous. La syndique adjointe le relance à nouveau par huissier le 10 décembre et elle le convoque pour le 7 janvier 2020.Cette fois-ci, le Dr Rodriguez honore sa convocation. Il assure alors à la Dre Daneau qu’il va redoubler d’efforts pour compléter ses dossiers entre le 4 et le 7 février 2020, à la suite de quoi il reviendra vers elle avec un dernier échéancier pour mener l’exercice à terme. Échéancier qu’il n’enverra pas.Lire aussi: Des notes conséquentes au dossier d’un patient, sans l’avoir auscultéLes mois passent, la Dre Daneau se montre patiente. Mi-août 2020, elle reprend contact avec le psychiatre pour faire un point. Ce dernier ignore son courrier.Le 22 octobre 2020, le Dr Rodriguez contracte finalement un premier engagement avec sa consœur. Il doit compléter les dossiers identifiés par les archives du CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal dans un délai maximal de quatre mois, à un rythme minimal de 60 dossiers par mois.Quatre mois plus tard, un rapport d’avancement du CIUSSS montre que le psychiatre n’a pas respecté son engagement. Il compte encore 209 dossiers incomplets en date du 22 février 2021.La chance au coureurFin juillet, le Dr Rodriguez propose le plan de match suivant: il complétera une centaine de dossiers la semaine du 2 août 2021, puis, à partir du 23 août 2021, il finalisera environ 20 à 25 dossiers par semaine, jusqu’au parachèvement total. Chat échaudé craint l’eau froide, la syndique adjointe ne croit pas qu’il sera en mesure de respecter cet engagement, mais pour autant, elle ne s’y oppose pas formellement, donnant une dernière chance au coureur.La Dre Daneau a vu juste. Le 21 janvier 2022, le psychiatre compte toujours 129 dossiers incomplets. Le 4 février, la syndique adjointe finit par perdre patience. Elle lui impose une limitation d’exercice aux seuls actes nécessaires au parachèvement de ses dossiers patients incomplets; limitation qu’elle ne lèvera que lorsqu’elle aura la preuve qu’il a bien complété ses dossiers.Lire aussi: Notez tout. À chaque fois. Et sans exception!Le 22 février, le Dr Rodriguez informe sa consœur que ça y est, il a enfin parachevé ses dossiers. Sans attendre son feu vert, il se permet de reprendre sa pratique. Or un nouvel état des lieux du CIUSSS, demandé par la Dre Daneau, montre qu’en date du 12 août 2022, le psychiatre compte encore 30 dossiers incomplets. Trois jours plus tard, la syndique adjointe lui rappelle que sa limitation de pratique n’a toujours pas été levée.Le 25 août, le Dr Rodriguez revient vers elle. Il l’informe qu’il a complété ses derniers dossiers en souffrance et lui demande de lever sa limitation de pratique. Demande à laquelle la Dre Daneau accède après avoir constaté qu’il a bien parachevé ses dossiers.Entretemps, le psychiatre a ignoré un premier courrier, envoyé le 21 avril 2022 par un inspecteur du Collège qui lui demandait de remplir, avant le 16 mai 2022, un questionnaire visant à déterminer la forme de l’évaluation dont il ferait l’objet dans le cadre du programme de surveillance de l’exercice de la profession. Malgré quatre relances subséquentes, dont une par courrier recommandé, le Dr Rodriguez n’a pas renvoyé le questionnaire.Amende honorableDevant ses pairs, le médecin âgé de 76 ans a plaidé coupable aux six chefs dont il devait répondre: défaut de parachever ses dossiers, non-respect de deux engagements écrits pris avec la Dre Daneau, entraves répétées au travail de la syndique adjointe ainsi qu’aux inspecteurs du Collège. Dans la recommandation conjointe soumise au Conseil de discipline, le psychiatre reconnaît que les multiples infractions qu’il a commises sont «objectivement très graves» et qu’étant donné sa grande expérience, il aurait dû respecter ses obligations déontologiques.La Dre Daneau a pour sa part indiqué qu’elle a tenté d’éviter la judiciarisation de ce dossier en recherchant des solutions alternatives pour régler cette affaire. En vain. Elle souligne que les manquements du psychiatre ont pu porter préjudice à ses patients et qu’ils ont aussi nui à la continuité de soins, car ses collègues ont consulté des dossiers qui s’avéraient incomplets. Enfin, s’agissant du risque de récidive du Dr Rodriguez, la syndique adjointe estime que «les sanctions recommandées sont significatives et d’importance, et par conséquent, dissuasives».Devant un tel tableau, le Conseil de discipline du CMQ n’en a pas rajouté. Il a simplement constaté que la recommandation conjointe est le «fruit d’une négociation sérieuse menée par des avocats au fait de leur dossier» et que ces derniers «proposent des sanctions individualisées et proportionnelles à la gravité des reproches».Le psychiatre se voit ainsi imposer une amende de 15 000$ et une période de radiation de quatre mois pour ses dossiers incomplets; deux périodes de radiation, de quatre et neuf mois pour ses entraves au travail de la syndique adjointe; deux périodes de radiation, là encore de quatre et neuf mois, pour ne pas avoir respecté les engagements pris avec elle; et enfin une période de radiation de neuf mois pour son entrave au travail des inspecteurs du Collège. En vertu du principe de la globalité des sanctions, sa période totale de radiation est ramenée à neuf mois.

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