Un ostéopathe naturopathe en récidive d’exercice illégal de la médecine

Ken Montizambert est dans la mire du Collège des médecins du Québec (CMQ) depuis plus de 20 ans. Déjà déclaré coupable d’exercice illégal de la médecine en 2002 et 2018, l'ostéopathe et naturopathe vient à nouveau d’être reconnu fautif pour le même motif par la Cour supérieure du Québec. Et ce, sept fois plutôt qu’une. «Le fait de soigner ou de prétendre soigner une personne qui croit ou prétend souffrir d’un problème de santé par un traitement quelconque lorsqu’on n’est pas médecin est “exercer” la médecine illégalement. Il n’y a pas de distinction à faire entre l’acte médical et le modèle médical, la valeur thérapeutique des traitements ou les moyens utilisés», écrit la juge Mylène Grégoire dans sa décision rendue le 28 mars. Propriétaire de la Clinique Tri-Med, qu’il a fondée en l’an 2000 à Pointe-Claire, dans l’ouest de l’Île de Montréal, Ken Montizambert se déclare ostéopathe et naturopathe. Il est membre de la Corporation des praticiens en médecines douces du Québec ainsi que du Syndicat professionnel des ostéopathes du Québec. Sur le site web RateMDs, qui permet aux patients d’évaluer leur médecin, l’homme âgé de 70 ans est présenté comme «naturopathe». Plusieurs personnes ayant écrit l’une de ses 105 évaluations – il obtient 4,5 étoiles sur 5 – l’appellent Dr Montizambert. Lors de ses consultations, Ken Montizambert se sert d’un appareil dénommé Avatar, dont il a fait la démonstration en salle d’audience. Selon lui, il s’agit d'un outil qui donne une impression générale de l’état de santé d’un client. Il explique que cette machine utilise les divers points d’acupuncture en indiquant le niveau de conductivité et de résistance des organes testés, ce qui révèle leurs forces et leurs faiblesses. Grâce à elle, le naturopathe dit qu’il réalise «une collecte d’informations en vue de procéder à un examen ou une évaluation clinique de l’état énergétique d’une personne». Ken Montizambert s’est servi de cet Avatar à deux reprises lorsqu’il a rencontré une enquêteuse du CMQ venue le voir, sous un nom d’emprunt, à des fins de consultation. Lors de sa première visite, le 24 octobre 2019, elle lui présente des symptômes fictifs. Le charlatan lui dit qu’il va regarder tout ça «avec les points d’acupuncture, mais pas le traitement d’acupuncture». Il met alors en marche son appareil qui se compose d’un cylindre en laiton et d’un stylet en acier inoxydable, tous deux reliés à un ordinateur. Tandis que l’enquêteuse tient le cylindre dans sa main gauche, le naturopathe met de l’eau sur la pointe du stylet avant de toucher différents points sur son corps. Soudain, il s’exclame: «Ah! Ah!» L’enquêteuse lui demande ce qu’il a décelé. Il répond: «Intoxication de métal. (...) Fréquence, glande thyroïde fonctionnelle 28 pour cent.(...) C’est le métal bloque les thyroïdes, mais quel métal? (sic)» Nettoyage de la glande thyroïde et des ganglions lymphatiques couplé à une «metal detox» Il procède ensuite à d’autres vérifications à l’aide de son stylet. Le rein est correct, lui annonce-t-il, tout en ajoutant qu’elle possède de bonnes habitudes de consommation d’eau. Le naturopathe remet à l’enquêteuse une feuille intitulée Les symptoms d’intoxification de mètale (sic); cette dernière lui indique alors ceux qu’elle ressent. Puis, par d’autres touchers avec le stylet et en se référant au tableau périodique affiché au mur, il parvient à la conclusion que sa «patiente» souffre d’une intoxication par le plomb et que celle-ci a dû débuter vers 2015. Après quoi, il recommande à l’enquêteuse de prendre du «Lympatox» (sous forme de gouttes sous la langue, à prendre matin et soir) et du «T-roaid» (quatre vaporisations deux fois par jour) afin de nettoyer sa glande thyroïde et ses ganglions lymphatiques, ainsi que des suppléments vitaminiques (deux capsules au souper) pour une «metal detox», selon ses dires. Ken Montizambert lui indique que ses symptômes commenceront à disparaître après deux semaines de traitement et qu’il veut la revoir dans six semaines. Lire aussi: Les signalements d'exercice illégal de la médecine en forte hausse L’enquêteuse s’exécute et revient le voir le 5 décembre 2019. Elle lui raconte qu’elle a récemment consulté son médecin, qu’il a décelé un kyste à son sein droit et qu’elle doit subir prochainement des prélèvements. Elle lui mentionne également qu’il y a eu des cas de cancer du sein dans sa famille. Intoxication par le plomb résolue Le naturopathe tente de la rassurer, lui suggère un truc pour contrôler sa peur du diagnostic, en signalant que les émotions augmentent le problème. Il lui indique qu’il va «tout vérifier» et met en marche son Avatar. Il confirme aussitôt à l’enquêteuse que la bosse à son sein est un kyste, que «le lymphatique et les ganglions sont clairs», que «le surrénal est parfait», que la thyroïde est «bonne», bref que son intoxication par le plomb est résolue. Aucun problème avec le foie et rien de majeur au niveau du rein, sauf qu’il «est un peu faible», ajoute-t-il. Il corrobore alors l’affirmation de l’enquêteuse selon laquelle elle est désormais en bonne forme grâce à la prise des produits qu’il lui avait recommandés. À l’issue de cette seconde consultation, Ken Montizambert lui conseille de prendre des multivitamines ainsi qu’un produit «herbal», du «Femagen Iron Plus», pour maintenir l'équilibre hormonal et prévenir l’anémie. L’enquêteuse s’acquitte des frais pour la visite et l’achat du nouveau produit, puis quitte sans prévoir de prochain rendez-vous. Pour le CMQ, il ne fait aucun doute que le naturopathe a exercé illégalement la médecine lors des deux consultations en question. Il a «diagnostiqué des maladies à l’enquêteuse, déterminé un traitement médical, prescrit des médicaments et autres substances, et agi de manière à donner lieu de croire qu’il était autorisé à exercer des actes réservés aux membres du Collège des médecins du Québec», selon les sept chefs d’inculpation dont l’intéressé devait répondre. À l’audience, celui-ci a prétendu le contraire. Il a affirmé que ni lui ni l’appareil Avatar ne posent de diagnostic, ce dernier lui procurant simplement «une impression clinique de l’état de santé général du client». En se référant à la Loi médicale, au Code des professions et à la Loi sur l’acupuncture, Ken Montizambert a aussi allégué que ses actions posées à titre de naturopathe auprès de l’enquêteuse ne constituent aucunement des actes réservés au médecin ou à l’acupuncteur, ce qui lui donnerait le champ libre pour les pratiquer. Lire aussi: Un prétendu guérisseur condamné à payer une amende exemplaire Preuve irréfragable La juge Grégoire a eu une toute autre interprétation des faits et n’a pas souscrit à ses interprétations législatives. «Une personne pose un diagnostic lorsqu’elle cherche à déceler ou à identifier une maladie ou une déficience de la santé chez quelqu’un selon les informations recueillies et obtenues sur son état. Le diagnostic existe et consiste en un processus intellectuel présent dès lors qu’une personne consultée par un individu recueille de l’information sur ses maux et lui recommande un traitement ou la prise de substance pour améliorer son état», écrit-elle dans sa décision. La magistrate souligne par ailleurs que c’est à partir des symptômes décrits par l’enquêteuse que le naturopathe procède d’abord à l’examen de divers organes au moyen de son Avatar. «À l’issue de cette procédure, il identifie chez elle une “condition” ou encore une “déficience” de la santé, à savoir une intoxication au plomb. Suivant son analyse, cette intoxication affecte le fonctionnement de sa glande thyroïde. Une discussion s’ensuit sur la marche à suivre pour pallier cette situation. [Ken Montizambert] suggère la prise de divers produits pour traiter cette intoxication», détaille-elle en estimant que le naturopathe «pose indubitablement et intentionnellement un diagnostic à l’enquêteuse». Finalement, la juge Grégoire conclut que «l’ensemble de la preuve démontre hors de tout doute raisonnable que par ses agissements, comportements et représentations, [l’inculpé] a agi de manière à donner lieu de croire qu’il était autorisé à exercer des actes réservés aux membres du CMQ, et ce, à chacune des rencontres avec l’enquêteuse». Ken Montizambert connaîtra sa sanction le 18 avril prochain. Il encourt une amende de 2500 à 62 500 $ pour chacun des sept chefs d’accusation dont il est reconnu coupable. En 2002, il avait dû s'acquitter de trois amendes pour un total de 1800 $. En 2018, le montant des quatre amendes qui lui ont été imposées atteignait 20 000 $.

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