Un jeune médecin de famille radié trois fois trois mois

Inscrit au tableau de l’ordre en novembre 2022, le Dr Marc-Antoine Charron rejoint trois mois plus tard l’équipe médicale de la Clinique Quorum. Située dans le centre-ville de Montréal, à proximité de la place Émilie-Gamelin, cette clinique de médecine familiale est spécialisée en santé sexuelle et ITSS (infections transmissibles sexuellement et par le sang), en soins des personnes transgenres et en toxicomanie. Sur place, l’omnipraticien angoisse à l’idée de croiser un patient qu’il semble bien connaître et qui est suivi par un de ses nouveaux collègues. Guidé par ses émotions, le jeune clinicien va alors commettre quatre infractions «objectivement graves». Des manquements qui «heurtent de plein fouet les valeurs fondamentales propres à la profession de médecin», juge le Conseil de discipline du Collège des médecins du Québec (CMQ) qui vient de déclarer le Dr Charron coupable sur toute la ligne en lui imposant trois périodes de radiation de trois mois chacune (à purger simultanément) et une amende de 2500$.La nature des liens entre l’omnipraticien et ce patient est caviardée dans la décision rendue le 27 mars par le Conseil de discipline. Toujours est-il que lorsqu’il se joint à la Clinique Quorum, le Dr Charron contacte cet homme et propose de l’aider à lui trouver un nouveau médecin; ce que l’intéressé refuse.Dès lors, le praticien va consulter à nombreuses reprises le Dossier santé Québec (DSQ) du patient ainsi que son dossier médical détenu à la clinique, «pour son bénéfice personnel, afin d’obtenir des informations confidentielles», mentionne la décision. À l’audience, l’omnipraticien a reconnu que des mois de février à mai 2023, il a consulté de «manière compulsive» les dossiers de cette personne et qu’il les a de nouveau examinés début octobre 2023 parce qu’il savait qu’elle avait un rendez-vous médical à la clinique.Quelques jours après, soit le 16 octobre, le Dr Charron perd son sang-froid. Il annule de son propre chef le rendez-vous en question, désinscrit le patient de son médecin de famille – sans même prévenir son collègue – puis désactive son dossier médical. L’homme découvre le pot aux roses lorsqu’il se présente à la Clinique Quorum le 23 octobre. Il informe immédiatement son propriétaire, qui a aussitôt fait le nécessaire pour rétablir la situation et, d’autre part, pour faire en sorte que celle-ci ne se reproduise plus. Des dispositions ont notamment été mises en place pour que le patient n’ait plus aucun contact avec l’omnipraticien qui devait quant à lui entreprendre un suivi thérapeutique.Selon ses pairs, le Dr Charron s’est servi des privilèges que sa profession lui confère afin de consulter à de nombreuses reprises le DSQ et le dossier médical du patient, sans autorisation ni justification. «En utilisant ce privilège pour son propre bénéfice, (il) ne trahit pas uniquement la confiance (dudit patient), mais aussi celle du public qui doit avoir une confiance absolue envers les professionnels qui ont accès à ses renseignements confidentiels de santé», écrivent-ils dans leur décision.Lire aussi: Un omnipraticien radié trois mois pour quatre billets d’absence remis à un étudiantUne attitude «inconcevable»S’agissant des actes posés par le médecin le 16 octobre 2023, ce dernier a, là encore, «utilisé ses privilèges pour décider unilatéralement d’annuler le rendez-vous médical du patient en plus de désactiver son dossier médical à la clinique». Et ce alors que l’accès à un médecin de famille s’avère difficile, souligne le Conseil, pour qui «il est inconcevable qu’un professionnel agisse de la sorte, sous prétexte qu’il ne veut plus croiser une personne (…) C’est une infraction extrêmement sérieuse».Certes, le manque d’expérience du Dr Charron aurait pu jouer en sa faveur quant à la détermination de ses sanctions. Cependant, ses actes dérogatoires «sont des gestes répétitifs (qui) s’étalent sur plusieurs mois, ce qui accentue la gravité des infractions commises», soulignent ses pairs qui martèlent que le médecin de famille a délibérément «fait fi des droits à la vie privée consacrée par un arsenal législatif, dont la Charte des droits et libertés». D’après eux, le clinicien a priorisé «ses intérêts personnels au détriment de ses obligations professionnelles (et déontologiques)» avec la circonstance aggravante d’avoir été «vindicatif» et d’avoir eu la volonté de «nuire au patient».La quatrième infraction à laquelle l’omnipraticien devait répondre est consécutive à l’ouverture de l’enquête du syndic. Celui-ci l’avait informé qu’il ne devait en aucun cas contacter le patient, à moins de lui en demander l’autorisation. Une injonction que le médecin de famille n’a pas respectée. Trois semaines plus tard, il l’a contacté par messages textes pour lui faire des reproches. «En agissant de la sorte, (le Dr Charron) manque de respect envers le Bureau du syndic et le système disciplinaire», affirme le Conseil pour qui ce reproche est très grave, car il constitue une entrave au cheminement d’une enquête disciplinaire. Lire aussi: Une pharmacienne épinglée pour avoir consulté le DSQ d’un homme rencontré sur TinderReprise en mainÀ l’audience, le syndic a évalué que le risque de récidive de l’omnipraticien est élevé. Que se passera-t-il «advenant le cas où il se retrouve dans une situation personnelle déstabilisante», a-t-il demandé en craignant que le clinicien puisse commettre à nouveau les mêmes gestes.L’intéressé a plaidé le contraire. Selon lui, son risque de récidive est inexistant. Le Dr Charron explique que ses infractions «résultent d’une situation particulière», que depuis ces événements, il s’est «repris en main» et qu’il est dorénavant capable de gérer ses émotions grâce à un long suivi en psychothérapie. Il reconnaît enfin que «les événements de sa vie personnelle n’auraient jamais dû empiéter sur ses obligations professionnelles» avant de conclure en déclarant qu’il «regrette grandement ses gestes» et «qu’il ne veut plus jamais qu’une telle situation survienne».Ses pairs ont tranché en considérant que son risque de récidive est «présent, mais modéré».

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