Un chirurgien cardiaque consent à une limitation d’exercice draconienne

Le Conseil de discipline du Collège des médecins du Québec (CMQ) s’est saisi dernièrement sur un dossier plutôt inusité. Il concerne le Dr Quoc-Bao Do, chirurgien cardiaque au Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM) depuis son inscription au tableau de l’ordre en 2000. Lors d’un triple pontage coronarien réalisé à cœur battant, au début de l’été 2022, le médecin a ponté la coronaire droite alors qu’il aurait dû ponter ses branches postéro-latérales, il a revascularisé la deuxième diagonale de l’artère interventriculaire antérieure au lieu de la première et, accessoirement, il a tardé à dicter son protocole opératoire.Le Dr Do a plaidé coupable à ces trois chefs d’infraction et, après négociations, il s’est entendu avec le syndic adjoint du Collège, le Dr Steven Lapointe, sur les sanctions à lui imposer: deux radiations de deux mois pour ses erreurs chirurgicales plus une de deux semaines pour son protocole opératoire remis onze jours après l’intervention. Radiations auxquelles s’ajoute une limitation d’exercice perpétuelle le restreignant à l’assistance opératoire.Le Conseil de discipline reconnaît la «gravité objective des manquements professionnels reprochés [au chirurgien]». Cependant, il a exprimé des préoccupations durant les audiences préliminaires qui se sont déroulées en septembre dernier. Pour le Conseil, la limitation permanente d’exercice «semble dissociée des circonstances des infractions contenues dans la plainte, lesquelles surviennent à la même date et mettent en cause un seul et même patient. L’imposition d’une telle mesure disciplinaire lui paraît également «dissociée de la situation [du clinicien] puisqu’il n’a aucun antécédent disciplinaire en dépit de ses 22 années d’expérience professionnelle».Le syndic et le Dr Do lui ont répondu que leur entente a été conclue par deux avocats expérimentés et qu’«elle comporte un élément négocié impliquant une contrepartie». Contrepartie qu’ils ont choisi de ne pas expliquer au Conseil. Ils soulignent qu’en fait le médecin respecte déjà cette limitation permanente depuis mai 2024 et que celle-ci découle d’un engagement auquel il a souscrit volontairement à la suite d’une évaluation du Comité d’inspection professionnelle (CIP) du Collège.Relancé par le Conseil, qui souhaitait en savoir sur les constats du CIP, le Dr Do explique que les parties ont pesé le pour et le contre, mais qu’elles sont arrivées à la conclusion que «la communication de ces informations confidentielles n’a pas lieu d’être». Le chirurgien ajoute que s’il ne s’était pas engagé à limiter sa pratique à l’assistance opératoire, le syndic aurait envisagé de lui imposer une période de radiation plus longue. Il affirme finalement qu’il a souscrit à la limitation permanente «de façon volontaire et pour des raisons qui lui sont propres».Partant de là, le Conseil de discipline a étudié le fond du dossier début novembre. Celui-ci s’appuie sur un exposé des faits très succinct qui mentionne essentiellement que le Dr Do a effectué le 4 juillet 2022 trois pontages coronariens sur un patient. En raison des complications qui ont suivi l’opération, l’épouse de ce dernier a déposé une demande d’enquête au Collège en questionnant les gestes posés par le médecin durant l’intervention chirurgicale. En revanche, le dossier comporte un rapport d’expertise approfondi qui a été produit par le Dr François Dagenais, chirurgien cardiaque à l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec (IUCPQ). Au fil de ses six pages, on apprend que le patient a été référé le 20 juin 2022 au Dr Do par les cardiologues de l’hôpital Charles-Lemoyne. Le clinicien l’a renvoyé vers ses collègues puisqu’il s’apprêtait à partir en vacances. Par manque de disponibilité opératoire ou en l’absence de niveau de priorisation, le patient n’a pas été opéré pendant ses congés et s’est retrouvé en tête de sa priorité opératoire le jour de son retour de vacances. Pratique préopératoire «peu recommandable»Le Dro explique qu’il a alors rencontré le patient «devant la salle d’opération en présence de l’anesthésiste et de l’infirmière» où il a complété le questionnaire d’usage, expliqué la chirurgie et fait signer le consentement. Le Dr Dagenais précise que «cette pratique de rencontrer un patient évalué à distance pour la première fois le jour de la chirurgie, ne semble pas propre au Dr Do, mais plutôt une façon de faire pour tout le service de chirurgie cardiaque du CHUM. Selon l’expert, cette pratique de service est «peu recommandable», car «il est facile de concevoir que le lien patient-médecin et l’établissement d’un consentement éclairé sont grandement modulés par le fait de rencontrer le chirurgien “sur la route de la salle d’opération” par rapport à une visite en clinique externe ou à l’étage». Il ajoute que «cette pratique en chirurgie cardiaque s’avère sous-optimale, voire dangereuse particulièrement pour des patients à risque opératoire plus élevé». Le Dr Dagenais invite donc le service de chirurgie cardiaque et l’administration hospitalière à revoir les modalités de prise en charge des patients hors CHUM.Après avoir étudié le plan opératoire du Dr Do, son protocole dicté à la suite de l’intervention, les coronarographies pré et postopératoires, l’expert conclut en premier lieu que «le territoire de la coronaire droite présentait une sténose sévère tout juste proximale aux branches postéro-latérales et nécessitait un pontage directement sur le vaste réseau postéro-latéral et non sur la coronaire droite distale», comme l’a effectué le Dr Do. S’agissant de la revascularisation du territoire diagonal, le Dr Dagenais soulève deux problématiques. «Premièrement, l’artère diagonale ciblée était en fait la deuxième et non la première. Ceci est confirmé par la coronarographie de contrôle qui montre la première diagonale inchangée par rapport à la coronarographie préopératoire et une deuxième diagonale maintenant occluse.» Selon lui, cette erreur peut être expliquée par «la difficulté d’accès à cœur battant d’une première diagonale hautement située tel que retrouvée chez le patient. Deuxièmement, il est certain qu’aborder la deuxième diagonale sur son segment proximal révélera probablement une région hostile et calcifiée pour la confection d’une anastomose. Une approche plus distale aurait pu offrir un territoire plus favorable.»Lire aussi: Les manquements d’un ORL laissent sa patiente dans un état neuro-végétatifUne condition rare qui aurait nécessité un changement de stratégie Concernant la revascularisation de l’interventriculaire antérieure (IVA), la branche principale de l’artère coronaire gauche, le rapport signale que le pontage a été effectué avec l’artère mammaire interne droite. «Malheureusement, la coronarographie postopératoire démontre une IVA distale au pontage qui est atrétique, voire même disséquée», observe le chirurgien de l’IUCPQ qui souscrit à l’explication du Dr Do selon laquelle cette condition est rare et peut être attribuable à une déchirure intimale ou un décollement d’une plaque de calcium. «Par contre, poursuit l’expert, la coronarographie préopératoire démontre une IVA moyenne infiltrée de calcium d’où un site potentiellement hostile pour un pontage avec risque accru de complications anastomotiques. La sélection d’un site plus distal sur la coronaire aurait probablement révélé une zone plus saine pour une anastomose.» Il convient que cela aurait nécessité un changement de plan opératoire, en soulignant que «ces changements de stratégie en cours d’opération sont quand même fréquents».Le dernier point abordé par le Dr Dagenais s’intéresse à l’évaluation des pontages réalisés au cours de l’intervention. Un aspect qui mérite selon lui d’être discuté «considérant la présence de flots “satisfaisants” décrits par Dr Do qui contrastent avec les problématiques retrouvées sur tous les pontages à la coronarographie postopératoire». L’expert mentionne que l’évaluation des pontages se fait principalement de deux façons: avec la technique du simple doppler portable appliqué sur le pontage ou avec la technique MEDI-STIM où une sonde est positionnée sur le pontage pour mesurer et enregistrer différents paramètres de flot. «Alors que le MEDI-STIM est prouvé comme une mesure beaucoup plus objective, le simple doppler est très subjectif quant à l’évaluation de la perméabilité d’une anastomose et repose sur le seul jugement du chirurgien», indique le Dr Dagenais qui suspecte que le Dr Do a utilisé la méthode du doppler simple.Lire aussi: Défaut de diagnostic d’un AVC: une médecin de famille radiée trois moisUne chirurgie de révision dans les règles de l’artÀ l’issue de l’intervention, le patient a immédiatement présenté une hémorragie qui a nécessité son retour au bloc où il a subi une nouvelle exploration de sa sternotomie. «Cette condition survient chez jusqu’à 5% des patients opérés pour pontages», précise le Dr Dagenais pour qui cette chirurgie de révision a été effectuée promptement par le Dr Do et selon les règles de l’art. Dans ses conclusions, le Conseil de discipline indique qu’il aurait souhaité que les avocats lui fournissent «un compte rendu plus complet des circonstances pertinentes de la présente affaire». Cela dit, il considère que l’avocate du Dr Do ne lui aurait jamais conseillé de conclure cette entente si les mesures disciplinaires proposées étaient à ce point dissociées des infractions qu’on lui reproche. Enfin, le Conseil estime que le chirurgien ayant renoncé à son droit de faire appel, il dispose d’une «assurance additionnelle du caractère acceptable de la recommandation conjointe». Jugeant que celle-ci n’est ni contraire à l’intérêt public ni susceptible de déconsidérer l’administration de la justice, il l’a donc entérinée.

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