Trouver l’équilibre, difficile, mais pas impossible

Dossier | Couple et pratique | Profession Santé, août-septembre 2024Qu’il est difficile d’aimer, chantait Gilles Vigneault. Ce n’est certainement pas les professionnels de la santé qui diront le contraire, eux qui peinent à concilier couple et travail. Trois psychologues livrent leurs astuces pour surmonter les embûches propres à ces métiers prenants.Des couples malheureux, le psychologue Johan Autruc en a vu plusieurs défiler dans son cabinet. Et chez ceux impliquant des professionnels de la santé, le constat est toujours le même : « La première chose qu’ils abordent en situation de conflit, ce sont les horaires. Les soignants ont souvent des horaires atypiques et irréguliers, et ça peut être difficile à tolérer par leurs conjoints sur du long terme.» Si elles sont le plus souvent acceptées et comprises dans un premier temps, les importantes différences d’emploi du temps peuvent finir par peser sur le ou la conjoint(e), que les deux personnes partagent la même profession ou non.Il suffit alors d’une étincelle, comme l’arrivée des enfants ou un déménagement par exemple, pour tout faire voler en éclats. Mieux vaut donc miser sur la prévention et la communication avant d’arriver au point de non-retour, conseille Johan Autruc. « Il s’agit de verbaliser ses difficultés respectives, ses besoins, ses attentes. Ne pas hésiter à nommer l’idéal derrière les reproches et les sous-entendus : “Idéalement, qu’est-ce que tu souhaiterais ?” Là, on pourra trouver la situation optimale, un compromis. Ce n’est pas en manifestant régulièrement son malaise ou sa mauvaise humeur que l’autre va comprendre ce qui cloche.»Un autre écueil commun à tous les professionnels de la santé est la charge émotionnelle qui leur incombe, « comme si leur travail était de gérer des relations toute la journée et un autre monde relationnel le soir», illustre Johan Autruc. Pour éviter le trop-plein de sollicitations, le psychologue conseille d’assumer son besoin de pause, et de s’accorder un moment de transition entre ces deux mondes. « Certains peuvent profiter d’un long trajet travail-domicile pour se changer les idées, comme un sas de respiration. Sinon, mieux vaut en parler, dire qu’on a besoin de souffler un peu, d’avoir un moment à soi avant de gérer de nouveau l’humain.»La fatigue, la pression et les responsabilités peuvent quant à elles être difficiles à laisser de côté, et finir par se répercuter sur la vie de couple, quitte à la faire passer au second plan. « Je vois chez les personnes les plus âgées une tristesse, un certain regret qui pointent le bout de leur nez à mesure que la retraite approche. Une grande fierté pour leur carrière et ce qu’ils ont accompli, mais une boule dans la gorge au moment de reconnaître qu’ils ont pu négliger conjoints et enfants, qu’ils n’étaient pas présents aux moments charnières de leur vie…», confie la psychothérapeute et sexologue clinicienne Joanie Heppell. Avec les patients plus jeunes ayant du mal à tout mener de front, « on va travailler sur leur capacité à affronter le stress, mais aussi sur leur estime personnelle et leur attachement à l’autre, explique-t-elle. Le couple peut d’ailleurs servir de soutien dans les moments de crise.»Pallier les déséquilibres grâce aux compromisVaudrait-il alors mieux être en couple avec une personne qui partage sa profession, et donc sa réalité ? Sur ce point, les spécialistes sont partagés. Être en couple avec quelqu’un de totalement extérieur au domaine de la santé est à double tranchant, estime Joanie Heppell : « Soit c’est enrichissant, car le ou la partenaire est particulièrement intéressé(e), à l’écoute, peut apporter un regard extérieur et nous enrichir par son univers, soit on ressent un manque de connivence et de complicité qui peut inciter certains à aller nouer des relations avec des gens de leur milieu.»C’est ce qui peut expliquer certaines relations extraconjugales, que Nathalie Parent constate souvent chez ses patients qui exercent dans le domaine de la santé. « Quand on travaille régulièrement avec les mêmes personnes, c’est facile de développer un lien, un intérêt pour l’autre.» Mais cela peut aussi se produire dans le contexte où les deux personnes partagent une même profession, tempère Joanie Heppell : « L’un ou l’autre va peut-être vouloir s’échapper un peu de cette réalité, ce qui va l’amener à vouloir chercher des gratifications relationnelles ou sexuelles à l’extérieur.»Et même si les couples de soignants peuvent être davantage soudés et se comprendre davantage l’un l’autre, cette configuration peut aussi engendrer une compétition ou une certaine frustration, estime Joanie Heppell. « Il faut que les deux partenaires acceptent d’évoluer, car les compromis ne peuvent pas être toujours faits par la même personne.»Prévenir plutôt que guérirCe déséquilibre et cette compétition peuvent aussi intervenir sur le plan financier. En effet, les différences de revenus sont parfois importantes d’une profession à l’autre, et peuvent alimenter un conflit latent. « Il faut se poser la question du fonctionnement du couple», observe Johan Autruc. Car si l’un des deux peut consacrer beaucoup de temps à un travail payant, comme médecin spécialiste, c’est parce que l’autre dédie du temps à la maison et aux enfants. « Il faut que ça apparaisse dans le budget du foyer.» Cette frustration sur les questions financières concerne davantage les femmes, la faute à un écart salarial persistant et à une inégalité face à la parentalité, soulignent les trois experts. « Ça reste très mal vu que les femmes médecins restreignent leurs heures de travail pour s’occuper davantage de leurs enfants ou prendre du temps en famille», constate ainsi Joanie Heppell.Face à tous ces enjeux, les professionnels de la santé peuvent-ils espérer être heureux tant dans leur couple qu’au travail ? Oui, répond sans détour Nathalie Parent. « Mais il faut faire des choix judicieux.» Prendre une aide à domicile, travailler à temps partiel lorsque les enfants sont jeunes, les possibilités sont multiples. « Ce qu’il faut, c’est se rappeler pourquoi on a choisi ce partenaire, les raisons qui nous ont amené vers lui ou elle.» S’accorder des moments à deux, aussi, et privilégier la qualité à la quantité, insiste-t-elle. Et surtout, avoir des projets.De son côté, Johan Autruc prône la prévention. « Il ne faut pas attendre que la difficulté s’installe, il faut anticiper et discuter pendant que tout le monde va bien, c’est le meilleur moment pour prévenir le moment où ça pourrait aller mal.» Leur consœur Joanie Heppell estime quant à elle qu’il s’agit, autant que faire se peut, de préserver trois éléments : l’intimité, la passion et l’engagement. « Si l’un de ces éléments est délaissé, ça change la teneur de la relation.»Enfin, les trois spécialistes sont unanimes : l’équilibre peut se trouver hors du schéma du couple, dans une vie amicale ou sociale épanouie, ou dans le célibat, s’il est choisi.

Trouver l’équilibre, difficile, mais pas impossible

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