Toute votre vie, vous avez été marié à _ _ _

«Le médecin est parti dîner», m'a dit une infirmière des urgences. Et un patient s'est mis en colère. Je lui ai demandé s'il serait prêt à travailler dix heures sans manger ni boire. J'ai ajouté: «Alors?»Bénissons les infirmières qui nous soutiennent. Je dois cependant admettre que mon premier réflexe a été de camoufler le fait que nous avions mangé ou bu et aussi que nous étions allés aux toilettes.Le médecin revient tout de suite.Le médecin sera bientôt à vos côtés.Vous serez le prochain à être vu, à condition qu'il n'y ait pas d'urgence avant vous.J’ai longtemps pensé que nous devions préserver l'illusion de la surhumanité.Ce n'est plus le cas aujourd'hui.J'ai entendu dire qu'un patient d'une petite ville du nord de l'Ontario s'était mis en colère à la vue d'un médecin faisant du canoë.Comment a-t-il osé! Il savait pourtant dans quoi il s'engageait.Ouah! À des congrès, j'ai vu des kiosques de communautés reculées tenter de vous séduire avec leurs richesses naturelles pour compenser un horaire surchargé de rendez-vous. Je ne me suis pas habituée à ce que le public pense que vous ne pouvez rien faire d'autre que de voir des patients 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.La pandémie a vite fait de faire passer les gens du stade de la reconnaissance à celui du ressentiment à l'égard des médecins, des infirmières et de tous ceux qui portent une blouse.Vous saviez dans quoi vous vous engagiez.C'est devenu une excuse pour les abus. Tout comme l'expression «on aurait pu s'en douter» devient une réaction instinctive pour ne pas se soucier des personnes sans toit, sans emploi, ou qui survivent à peine d'un chèque de paie à l'autre. Il est plus facile de s'accrocher à la roue des milliardaires, de voler l'argent des patients atteints de cancer pédiatrique et de brûler la planète.D'autres médecins n'hésitent pas à nous faire honte. Les politiciens veulent nous obliger à fournir des soins pendant des décennies ou à assurer la continuité du service même après notre mort (Je vous regarde, C.-B.).Nous avons investi beaucoup d'argent dans vos études de médecine. Vous avez pris la place de quelqu'un d'autre. Vous nous êtes redevable pour le reste de votre vie.Si vous quittez, quelqu'un d'autre devra prendre vos gardes. Comment osez-vous?Je cherche à découvrir des modèles de vie différents et je tombe sur Mary Oliver et son poème 102: When Death Comes (Quand vient la mort).Elle explique comment elle veut aborder la mort, et donc la vie, avec curiosité, courage et étonnement. Le titre de ce billet de blogue est une paraphrase du vers le plus célèbre, reformulé par respect pour ses droits d'auteure. Il m'arrive de réciter ses lignes dans ma tête.Les autres vont-ils vous détester et vous en vouloir parce que vous faites autre chose que de la médecine?Oui.Ils vous détesteront également parce que vous ne voyez pas davantage de patients, parce que vous n'avez pas posé de diagnostic ou que vous l'avez fait trop tard, parce que vous avez trop ou pas assez prescrit, parce que vous n'avez pas écouté, parce que vous avez pris trop de temps, parce que vous êtes arrivé en retard, parce que vous ne leur avez pas rappelé leur prochain rendez-vous ou parce que vous leur avez dit quelque chose qu'ils n'avaient pas envie d'entendre.Ils vous aimeront aussi.Ils vous respecteront.Vous gagnerez votre vie.Si vous êtes un bon soignant, vous aurez la joie de savoir que vous avez aidé des personnes au pire moment de leur vie.Personnellement, bien que je continue à pratiquer la médecine, je me consacre à autre chose.Cette décision n'est pas très populaire.«Vous devriez ouvrir une clinique!»«Nous avons besoin de plus de médecins!»Je me suis sentie coupable, mais ma vie n'est ni une démocratie ni une dictature où d'autres m'obligent à rendre service. Je leur explique qu'ils peuvent venir me voir aux urgences et que je les aiderai du mieux que je peux.Une femme m'a dit: «Nous avons eu de la chance de vous avoir aussi longtemps».Je l'ai remerciée.Si, comme moi, vous aimez plaire aux gens et que le fardeau des soins devient trop lourd, je vous donne officiellement la permission non seulement de prendre du temps pour vous, mais aussi d'épouser la vie que vous aimez.Même si celle-ci ne se résume pas à la médecine.La Dre Melissa Yuan-Innes est médecin urgentiste à Alexandria, en Ontario.

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