Tournée des pôles en santé: le réseau va de mal en pis

À l’été 2022, le président du Collège des médecins du Québec (CMQ), le Dr Mauril Gaudreault, a visité une douzaine de centres hospitaliers de la province. Il avait alors constaté à son grand désarroi que «l’état du réseau est tel que le décrivent les médias au quotidien. Dans certains endroits auxquels les journalistes n’ont pas accès, c’est même pire». Au terme de sa seconde tournée des pôles en santé du Québec, effectuée en 2023 dans sept autres hôpitaux*, le Dr Gaudreault observe que «les problèmes relevés (en 2022) sont présents partout sur le territoire: iniquité d’accès d’une région à l’autre, asymétrie dans l’offre de soins, ennuis de rétention du personnel soignant — souvent en raison du déficit d’entretien des infrastructures, de leur vétusté ou du manque d’accès aux équipements —, détresse des professionnels et enjeux administratifs».Le rapport du CMQ sur la seconde tournée de son président montre que les défis auxquels est confronté le réseau pèsent lourd sur le moral de ses chevilles ouvrières. L’inadéquation entre l’offre de services et la demande de soins est à l’origine de nombreuses frustrations, tant chez les gestionnaires que parmi les professionnels de la santé. «C’est une sourde résilience qui s’est installée dans les corridors des hôpitaux. L’ambiance y est lourde, les sourires se font rares sur des visages aux traits tirés et le découragement est presque palpable. Les soignants et les visiteurs le ressentent, tout comme les patients», énonce le document de 32 pages (disponible en bas de page) obtenu par Profession Santé.À haut niveau, le rapport égrène 10 constats et enjeux relevés par les comités d’usagers, les résidents, les médecins, les chefs de départements, les membres des conseils des médecins, dentistes et pharmaciens (CMDP) et les gestionnaires des établissements rencontrés par le président du Collège:Les normes et les quotas imposés de manière uniforme défavorisent les régions éloignées.La réalité des soins et des soignants dans le Grand Nord est hors du commun.L’attraction et la rétention du personnel sont difficiles partout: l’exode vers le privé n’aide en rien, pas plus que la vétusté des établissements et des équipements.Le poids des tâches administratives pèse sur tous et contribue à la grande fatigue ainsi qu’à la détresse des médecins.Les résidents en médecine vivent aussi de la détresse et se disent traités comme des membres du personnel plutôt que comme des apprenants.Les comités d’usagers veulent être entendus et faire partie de la solution.L’accès aux soins est difficile partout et la qualité des soins est compromise par endroits.Trop de patients aux niveaux de soins alternatifs (NSA) bloquent des lits d’hospitalisation, faute de places en hébergement.L’offre de soins à domicile varie grandement d’une région à l’autre.Les comités d’usagers ne se sentent pas toujours écoutés alors qu’ils pourraient contribuer aux solutions à bien des égards.Lire aussi: Le président du Collège dépeint un sombre tableau après sa 1ère tournée du réseau de la santéPénuries généraliséesPlus en détail, on s’aperçoit que les pénuries de personnel frappent toutes les régions et qu’elles sévissent dans toutes les catégories d’emploi (médecins, infirmières, psychologues, travailleurs sociaux, etc.). À l’Hôpital Le Royer de Baie-Comeau par exemple, le manque de main-d’œuvre est «criant, ce qui entraîne un recours record aux agences indépendantes de personnel en santé, à la hauteur de près de 20%», souligne le rapport qui signale que les coûts de transport et d’hébergement de ces intérimaires sont exorbitants. «Mais sans cette main-d’œuvre indépendante, des services entiers seraient fermés à Baie-Comeau», où l’urgence a récemment atteint un taux d’occupation record de 300% et subit régulièrement des ruptures de service. Résultat: «La population locale vit une constante anxiété quant à l’accès aux soins de santé de base.»Les manques de personnel ne touchent pas que les régions éloignées ou les «petits» hôpitaux. Au Centre hospitalier universitaire (CHU) Sainte-Justine, à Montréal, «la pénurie de personnel et le manque de ressources pèsent lourd sur cet établissement d’excellence. Le système semble brisé et les médecins disent ouvertement ne plus pouvoir garantir une médecine de qualité. Dans certains secteurs, le point de rupture est atteint», note le Dr Mauril Gaudreault.Des résidents désenchantésCe contexte affecte naturellement les médecins qui subissent de la pression, sont victimes d’une grande fatigue et vivent de l’anxiété, voire de la détresse. Il met aussi les résidents dans des postures inconfortables. À l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont, par exemple, ils disent que leur encadrement écope de la pénurie de médecins et que celle-ci rend leur formation moins riche qu’ailleurs. Les résidents «admettent qu’exercer sans ce garde-fou de supervision génère chez eux de l’anxiété. Ils craignent de ne pas prendre de bonnes décisions et de ne pas bien soigner les patients. Ils rappellent qu’ils sont des apprenants et ont besoin de compter sur des mentors qui ont du temps pour eux et ne croulent pas sous la tâche», mentionne le rapport dans sa section relative à l’établissement montréalais. Au CHU Sainte-Justine, même rengaine: «Bon nombre de résidents se disent traités en employés, pas en apprenants: ils comptent à 90% pour des travailleurs et à seulement 10% pour des étudiants. Ils disent apprendre sur le tas ou en prenant connaissance des dossiers des patients lors des quarts de travail subséquents. Les zones grises du quotidien deviennent anxiogènes quand la santé du patient est en jeu. Ils hésitent à réveiller leur superviseur de peur de ne pas avoir l’air compétents!»Lire aussi: Coopératives de santé: quand les citoyens créent leur première ligneUne responsabilité sociale envers le NunavikSi le réseau va mal à la grandeur du Québec, le Dr Mauril Gaudreault a été particulièrement sensible aux réalités vécues par les communautés inuites du Nunavik, où il s’est rendu pour la première fois. «C’est sans doute en raison de l’éloignement et de l’immensité du territoire qu’on perd de vue la situation vécue par les usagers et les soignants dans le Grand Nord. Je ne suis pas convaincu que la majorité des Québécois soient au courant. Ni qu’ils accepteraient ce niveau de soins dans leur propre région. Le Collège non plus!», écrit son président.Sur ce territoire de 500 000 km2 — soit le tiers de la superficie du Québec — où 12 000 Inuits vivent répartis dans 14 villages, le rapport du CMQ rappelle que l’espérance de vie y est d’une douzaine d’années sous la moyenne québécoise. Le taux de mortalité est six fois plus élevé qu’ailleurs dans la province. Les cas de tuberculose y sont également plus de 300 fois supérieurs et le taux de suicide y est 10 fois plus important.Sur place, on trouve deux établissements de santé: le Centre de santé Inuulitsivik, à Puvirnituq, ainsi que le Centre de santé Tulattavik de l’Ungava, situé à Kuujjuaq. «Il n’y a pas de bloc opératoire ouvert 24/7. Il n’y a pas non plus d’unités de soins intensifs, d’examens de radiologie, de scans ou de médecins spécialistes à temps plein. On y dénombre quelques dizaines de médecins qui ne suffisent pas à la tâche: ce sont des collègues dépanneurs qui, annuellement, comblent l’équivalent de 200 semaines de couverture médicale. Ils doivent composer, de surcroît, avec une importante pénurie d’infirmières», relève le rapport du Collège.Celui-ci invite la communauté médicale à «s’interroger sur sa responsabilité sociale envers cet immense territoire et les peuples qui y habitent, de même qu’envers les soignants qui y œuvrent au quotidien». Il pose également plusieurs questions: «Faut-il doter le Nunavik de statuts administratif et médical distincts permettant de se rapprocher de la population en offrant avec plus de vigueur des services spécialisés? Faut-il reconsidérer les quotas d’attribution des ressources matérielles et humaines? Faut-il revoir la rémunération à l’acte des médecins couvrant ce vaste territoire?» Sans donner de réponse, il indique que le ministère québécois de la Santé et des Services sociaux affirme travailler avec celui des Affaires autochtones, au fédéral, pour élaborer un plan global de soins visant le Nunavik. «Le Collège souhaite que cela se fasse dans le mandat actuel du gouvernement.» * La seconde tournée du président du CMQ a fait étapes à l’Hôpital de Kuujjuaq, dans le Nord-du-Québec, à l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont, à l’Hôpital de Gaspé, à l’Hôpital de l’Archipel aux Îles-de-la-Madeleine, à l’Hôtel-Dieu de Lévis, à l’Hôpital Le Royer de Baie-Comeau et au Centre hospitalier universitaire (CHU) Sainte-Justine.

Tournée des pôles en santé: le réseau va de mal en pis

Pour accéder au contenu, connectez-vous ou créez un compte gratuit.

Catégories connexes