Télémédecine privée: la qualité et la continuité des soins en débat

Dans son rapport sur l’industrie des soins virtuels au Québec, publié en janvier, la chercheuse de l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS), Anne Plourde, pointe les risques que fait peser sur le réseau de la santé l’expansion — récente et sans précédent — de la télésanté privée. La spécialiste des politiques de santé souligne aussi les enjeux pour les patients en termes de qualité et de continuité des soins. Elle indique que le cadre normatif développé par le ministère de la Santé et des Services sociaux pour les pratiques de consultation à distance ne s’applique pas aux cliniciens qui effectuent des consultations pour des opérateurs privés comme Maple, Telus Santé ou Dialogue, les principaux de ce marché au Québec. Ils restent soumis au Code de déontologie des médecins et au contrôle du Collège des médecins du Québec (CMQ), «mais ils n’ont pas à respecter les mêmes réglementations que les médecins du réseau public. Leur pratique est encadrée moins étroitement», signale la chercheuse de l’IRIS. Ses inquiétudes tiennent surtout à la nature des services proposés par ces entreprises. Mme Plourde explique que ce sont essentiellement des cliniques virtuelles sans rendez-vous, offrant des soins de manière épisodique et ponctuelle. Cela «pose des risques pour l’intégration des services et la continuité des soins. (Ces services) sont le plus souvent prodigués de manière sporadique, cloisonnée et déconnectée des autres services de première ligne. Les médecins qui pratiquent au sein de ces entreprises le font généralement sans établir de relation continue avec les patients, sans avoir une bonne connaissance de leur dossier plus large et sans transmettre les informations pertinentes aux autres professionnels du réseau impliqués auprès de ces patients», peut-on lire dans son rapport. Ces risques sont aussi soulignés par le Collège des médecins de famille du Canada (CMFC). Dans une note publiée en janvier 2022, le CMFC affirme que «les soins virtuels à but lucratif menacent la continuité des soins». Il constate que les professionnels qui répondent aux patients «n’ont souvent pas accès (à leur) dossier médical complet et ne transmettent pas l’information au fournisseur de soins habituel». La note mentionne également que «les patients ayant recours à des soins virtuels épisodiques sont moins portés à consulter régulièrement leur médecin de famille», ce qui les empêche «de tirer parti des avantages à long terme de la continuité des soins». À lire aussi: Télémédecine: la porte ouverte au secteur privé Sans se positionner dans ce débat, le Collège des médecins du Québec (CMQ) souligne que ses membres sont tenus de respecter leurs obligations déontologiques, ainsi que leur cadre de pratique, en présentiel comme en téléconsultation, y compris sur les plateformes de télémédecine privées. «Le dossier du patient est sous la responsabilité du médecin, pas de l’entreprise qui l’emploie», observe le président du Collège, le Dr Mauril Gaudreault. Il rappelle que le clinicien est, dans tous les cas, responsable d’assurer le suivi médical requis par l’état du patient et que si à la suite de son intervention, un examen physique s’impose, «il doit organiser un corridor pour qu’il soit vu par un autre professionnel et non pas le référer à l’urgence». Des critiques non fondées, selon les intéressés Chez Telus Santé, on assure que des suivis sont effectués quelques semaines après chaque rendez-vous en ligne «pour mieux comprendre la situation de la personne», signale le vice-président de la gestion des régimes d’assurance maladie, Martin Bélanger, en indiquant que l’entreprise mise sur la continuité des soins dans le cadre du développement de son offre de services. «Notre enjeu, c’est comment faire vivre le dossier. On a des dossiers électroniques, mais ils ne sont pas encore connectés. On travaille présentement avec les parties prenantes pour faire ça dans les règles de l’art. On veut amener des solutions», affirme le dirigeant qui dit aussi vouloir «créer des synergies entre nos soins virtuels et nos cliniques privées» pour disposer de corridors de services. Du côté de Dialogue, on assure également qu’un suivi est réalisé auprès de tous les patients: «80% nous disent que leurs symptômes ont été résolus», annonce le Dr Marc Robin, directeur médical de l’entreprise. Parmi les personnes qui recourent aux services médicaux de Dialogue, la moitié n’ont pas de médecin de famille, précise-t-il. «Ce sont des gens qui autrement iraient dans des cliniques sans rendez-vous» où ils sont vus par des médecins qu’ils ne connaissent pas et qui ne les connaissent pas, observe l’omnipraticien qui pratiquait autrefois au privé. À lire aussi: La téléconsultation ne créerait pas une pression sur les urgences Pour déterminer si les patients qui demandent un rendez-vous virtuel peuvent être pris en charge en téléconsultation, il indique que l’entreprise a développé depuis 2016 un outil de triage intelligent qui s’appuie sur des standards de pratique. «On est ainsi devenu la première compagnie de soins virtuels à recevoir le certificat de base d’Agrément Canada qui reconnaît un niveau élevé de qualité et de sécurité des soins», signale le Dr Robin. Après triage, 4 à 6% des patients présentent une vraie urgence. «On essaie donc de les convaincre d’aller à l’urgence malgré les délais d’attente.» Une personne sur cinq est renvoyée vers son médecin de famille. Quant aux autres qui consultent un médecin de Dialogue, «il y a 2% de chance qu’ils doivent voir ensuite un autre professionnel», indique le directeur médical. Renouvellement de médication, prescription de contraceptif, suivi de maladie chronique, prise en charge de troubles en santé mentale, «70% de la routine des médecins de famille, on peut la faire en téléconsultation», affirme le Dr Robin. Ce dernier précise que lorsqu’un patient rappelle pour une nouvelle consultation, «on essaie de lui faire revoir le même médecin dans la mesure du possible. On ne veut pas devenir leur médecin traitant, mais on cherche à boucler la boucle de chaque épisode de soins».

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