TDAH: Un parcours de soins ardu

La trajectoire de soins dans le traitement du trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) est si désorganisée qu’un nombre important d’enfants ne reçoit pas les services et traitements appropriés, ni même le bon diagnostic ! Cartographie d’un parcours sinueux aux multiples angles morts.La scène est relativement fréquente dans les écoles primaires québécoises : des parents abasourdis qui, lors d’une convocation à l’école, se font dire par la direction, accompagnée de l’enseignant et parfois d’une éducatrice spécialisée, qu’ils « devraient consulter ».Il va de soi que le cadre légal empêche quiconque dans la pièce de suggérer un diagnostic. Mais par des paroles indirectes et des exemples, les représentants scolaires infèrent l’idée aux parents que leur rejeton souffrirait « probablement » d’un TDAH. Et qu’une médication existe pour le traiter… Ils n’ont qu’à insister auprès de leur pédiatre.« Comme il y a un manque de ressources, les gens arrivent épuisés dans notre bureau, et là, ça presse pour qu’il y ait une solution », illustre la Dre Annick Vincent, psychiatre et cofondatrice de la clinique Focus, spécialisée dans le TDAH, également auteure de deux livres sur le sujet. « Le médecin peut se sentir coincé dans ce processus », ajoute-t-elle. « Y a-t-il des enfants qui prennent une médication TDAH parce qu’ils ont l’air d’avoir un TDAH ou parce qu’ils ont plutôt un trouble de l’apprentissage ? On peut se poser la question. » Dre Annick Vincent, psychiatre et cofondatrice de la clinique FocusUn diagnostic posé trop rapidement, un suivi médical insuffisant et la pression des parents et de celle des milieux scolaires sur les médecins… Il s’agit là d’une recette parfaite pour corrompre un parcours de services déjà parmi les plus labyrinthiques qui soient.« On veut que le patient sorte rapidement du bureau de consultation avec une prescription afin qu’il puisse retourner à l’école. Parfois, c’est l’école elle-même qui impose cette condition, dénonce le Dr Martin Gignac, psychiatre à l’Institut Philippe-Pinel de Montréal et directeur adjoint du secteur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent du département de psychiatrie de la Faculté de médecine de l’Université de Montréal. Or, le fait de donner une prescription sous pression nuit au processus d’évaluation. »Selon le Dr Gignac, plusieurs situations semblables pourraient être évitées s’il y avait une meilleure communication entre le réseau de la santé et le réseau scolaire, qui travaillent actuellement en vase clos.Et surtout, s’il y avait une approche systématique pour implanter une trajectoire de soins, comme le propose la CADDRA (Canadian Attention Deficit Hyperactivity Disorder Resource Alliance). Une trajectoire optimale de services a été tracée et adaptée pour le Québec par l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS). Celle-ci est présentée dans un avis publié par l’organisme le printemps dernier.Cette trajectoire optimale devrait également s’appliquer lorsque le jeune termine l’école, poursuit l’INESSS, car environ 50 % des enfants souffrant de TDAH éprouveront des symptômes jusqu’à l’âge adulte. La transition des jeunes de 18 ans à l’âge adulte a maintes fois été qualifiée de préoccupante par les experts, relève l’INESSS.Un parcours définiTant la CADDRA que l’INESSS mettent de l’avant un parcours diagnostique et de traitement qui ne se limiterait pas qu’à la médication, une trajectoire intégrant davantage une approche fluide entre les réseaux scolaires et ceux de la santé. Et ce, dès les premières démarches diagnostiques.Les interventions doivent êtres multimodales, pas seulement pharmacologiques. Notamment, le volet psychosocial, soutenu par le milieu de garde pour les enfants de moins six ans et par le milieu scolaire pour les autres, s’avère indispensable. Ergothérapie, éducation spécialisée, différenciation pédagogique (par exemple, des attentes de réussite différentes chez un enfant en particulier par rapport à ses camarades de classe, le droit de porter des coquilles antibruit ou celui de faire du vélo stationnaire) figurent parmi les options de services les plus envisageables à élaborer davantage.Le tout doit être rassemblé par une procédure de liaison entre les volets administratif et clinique, plus particulièrement entre le réseau de la santé et des services sociaux et le milieu scolaire. L’attention doit être particulièrement soutenue pendant les moments de transition, le passage du primaire au secondaire, par exemple.Les médecins devraient d’abord implanter des stratégies non pharmacologiques pour les enfants atteints de TDAH léger à modéré, croit aussi la psychiatre Annick Vincent. Il faudra toutefois calculer le fardeau compensatoire, prévient-elle. Par exemple, si le jeune est obligé de prendre deux heures de plus dans la journée pour réussir à fonctionner comme tout le monde, le fardeau justifierait d’aller vers une médication.La Dre Vincent recommande également la prise de psychostimulants pour un jeune obligé d’avoir un adulte à ses côtés en tout temps ou s’il y a des risques d’accident parce qu’il est « dans la lune » ou impulsif. Pour ce qui est des TDAH sévères, on ne s’en sort pas : la médication est nécessaire.L’idée générale est de s’adapter au problème de l’enfant, plutôt que de le traiter comme un trouble. Mais la réalité sur le terrain est cependant tout autre.Débuter par le mauvais diagnosticLe difficile arrimage entre toutes les ressources disponibles pour le traitement et le soutien des enfants TDAH augmente également les risques de mauvais diagnostics.« Y a-t-il des enfants qui prennent une médication TDAH parce qu’ils ont l’air d’avoir un TDAH ou parce qu’ils ont plutôt un trouble de l’apprentissage ? On peut se poser la question », soulève la Dre Vincent.Le Dr Benoît Hammarrenger, neuropsychologue et directeur de la Clinique d’évaluation et de réadaptation cognitive (CERC), de Montréal et Laval, est d’ailleurs convaincu qu’il y a plusieurs faux diagnostics. « On a l’impression que tout enfant qui a de la difficulté à se concentrer, qui est agité, réussit moins bien à l’école, a des difficultés sociales ou est anxieux a un TDAH. »Il faut dire que le diagnostic de TDAH est en soi difficile à poser, car les symptômes cliniques sont peu spécifiques et il n’existe pas, à l’instar d’une migraine par exemple, de marqueurs biologiques ou d’examen complémentaire permettant de diagnostiquer de façon sûre et précise.De plus, il peut y avoir chevauchement avec d’autres troubles. Plus de la moitié des enfants atteints de TDAH présenteraient au moins un trouble de la comorbidité, tel qu’une dépression, de l’anxiété, un trouble bipolaire ou des tics. Le médecin devra alors traiter la maladie la plus prépondérante. Par exemple, si la personne est déprimée, il doit traiter la dépression avant d’administrer un psychostimulant.Trop souvent, seuls les parents disposant de ressources financières et sociales suffisantes parviennent à confirmer ou à infirmer hors de tout doute l’hypothèse du TDAH. Pour un test neuropsychologique dans le réseau public, l’attente peut dépasser deux ans.C’est le cas de parents contactés pour cet article qui ont longtemps cru, face aux pressions du milieu scolaire, que leur garçon de six ans pouvait en effet être atteint d’un TDAH. Compte tenu des symptômes décrits par l’enseignant et ses aides pédagogiques, le pédiatre aussi semblait être convaincu : agitation, manque de concentration, colère subite…Mais un doute persistait dans leur esprit, et dans celui de leur pédiatre. Pour le dissiper, ils ont décidé de lui faire passer un test en neuropsychologie. Coût : 1600 $. Ils ont ensuite retenu les services d’une ergothérapeute pour une évaluation complète en classe au coût, encore là, de plusieurs centaines de dollars.Les rapports du neuropsychologue et de l’ergothérapeute étaient sans équivoque : pas de TDAH et des troubles sévères de dyspraxie affectaient le garçon. En plus de probables troubles d’apprentissage, dont la confirmation ne pouvait survenir de toute façon avant la fin de la deuxième année de scolarité.L’hypothèse dyspraxique avait pourtant déjà été évoquée lors d’une évaluation en orthophonie, avant le début de la scolarité. Mais celle-ci avait toujours été rejetée par le milieu scolaire comme facteur probable des comportements de l’enfant en classe.« À l’heure actuelle, les outils ne sont pas les mêmes, les gens n’utilisent pasnécessairement les mêmes approches pour poser un diagnostic, affirme le Dr Gignac. À certains endroits, pour en avoir un, il faut passer par une batterie de tests neuropsychologiques très poussés, alors qu’ailleurs c’est le médecin de famille qui va poser le diagnostic clinique. Il y a trop d’hétérogénéité. »À la Clinique d’évaluation et de réadaptation cognitive de Montréal dirigée par le Dr Hammarrenger, les neuropsychologues passent une journée avec l’enfant pour lui faire passer différents tests d’attention. Comme à l’école, l’enfant doit rester concentré et faire des tâches scolaires plus longues et ennuyeuses.De plus, idéalement, l’enfant doit savoir déjà lire et écrire afin de subir le test. Ce qui est plutôt rare pour un enfant en début ou au milieu de sa première année à l’école primaire. Pourtant, c’est souvent dès la maternelle que les pressions du milieu scolaire débutent.Professeure à l’Université du Québec à Chicoutimi, la sociologue Marie-Christine Brault estime que l’école a un rôle clé à jouer dans l’attribution du diagnostic, qui a augmenté ces dernières années au Québec. « L’enseignant est le premier à reconnaître les comportements liés au TDAH. Ensuite, il adresse l’enfant aux spécialistes de l’école et fait pression sur les parents afin qu’ils consultent un professionnel de la santé », souligne la professeure, se disant elle aussi convaincue qu’on pose un nombre important de faux diagnostics au Québec.Afin de mieux comprendre le rôle de l’environnement scolaire dans l’attribution de ce diagnostic, Marie-Christine Brault mène une étude depuis février dernier. Pour ce faire, elle sonde les parents, les directeurs d’école et les enseignants de 20 écoles du Saguenay–Lac-Saint-Jean dans le but de comparer ces dernières avec un nombre similaire d’écoles en Belgique.Marie-Christine Brault note, à titre d’exemple, que les enseignants qui croient que cette maladie est liée à l’environnement vont changer la configuration de la classe et faire bouger les enfants davantage. De leur côté, ceux estimant que les comportements des enfants sont de nature biomédicale voudront que les jeunes obtiennent un diagnostic et une prise de médication.Des services absentsMais même avec le bon diagnostic, l’approche multimodale préconisée par l’INESSS se montre difficile à appliquer, car les ressources manquent dans le milieu scolaire. Ergothérapeutes, orthophonistes, pédopsychiatres et éducateurs spécialisés sont embauchés au compte-gouttes après avoir fait l’objet d’importantes compressions budgétaires de 2014 à 2016.La sociologue Marie-Christine Brault constate également que le taux de TDAH varie énormément d’une école à l’autre, entraînant une offre de services elle-même très variable. « En principe, le TDAH devrait frapper tout le monde de manière équivalente. Or, ce sont les garçons et les enfants d’un milieu social économique défavorisé qui ont le plus de risques de recevoir ce diagnostic. » Conséquemment, la priorité est accordée aux écoles des milieux défavorisés sur le plan économique.« Par manque d’accès, on n’offre pas d’autres approches que la pharmacothérapie, déplore le Dr Gignac. On aurait pourtant intérêt à en intégrer d’autres avant celle-là, ou les utiliser en même temps. » Les psychostimulants pour le TDAH sont souvent prescrits sans aucune approche psychosociale pour accompagner la médication. Ainsi, dans bien des cas, les médicaments n’auront pas les effets escomptés, ajoute-t-il.« Les psychostimulants vont aider la personne à filtrer les stimulus, c’est tout, précise à cet effet Philippe Vincent, pharmacien à l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal et professeur à la Faculté de médecine de l’Université de Montréal. Ils ne donneront pas 10 points de quotient intellectuel d’un coup et n’amélioreront pas la capacité à raisonner ni à régler les problèmes. »Si l’efficacité des stimulants à réduire l’intensité des symptômes d’inattention, d’impulsivité et d’hyperactivité est bien documentée, trouver le bon médicament et la bonne dose n’est pas une tâche simple.Plusieurs facteurs entrent en ligne de compte : l’âge du patient, les effets indésirables et les interactions pharmacologiques, entre autres. Les guides de pratique indiquent que le traitement pharmacologique devrait être intégré de façon personnalisée. De plus, le médecin doit établir, comme il en a l’habitude, un équilibre entre l’efficacité et les effets indésirables.Le patient doit-il réduire la dose, changer de médicament, interrompre le médicament pendant un certain temps (congé thérapeutique) ou simplement cesser la médication ? Le clinicien doit pouvoir répondre à ces questions selon les effets indésirables de chaque patient. Le pharmacien a également un rôle important à jouer dans la gestion des effets indésirables et doit trouver des solutions, notamment en ciblant les moments de la journée où il convient de prendre le médicament.D’abord, les psychostimulantsD’après les plus récentes lignes directrices de la CADDRA, publiées cette année, les psychostimulants à longue durée d’action sont les amphétamines et les méthylphénidates. Ils doivent être utilisés en première intention. Aucune donnée ne permet de privilégier un type de stimulant plutôt qu’un autre, car leur efficacité est similaire, même s’il y a de grandes variations dans la réponse individuelle, indique l’INESSS dans un avis publié le printemps dernier. Plus de 80 % des enfants répondront à au moins une des deux classes de psychostimulants.Des traitements sont actuellement à l’étude afin de réduire les effets indésirables de ces médicaments tout en maintenant un profil d’efficacité semblable.Il existe des molécules plus récentes provenant d’autres classes pharmacologiques que les stimulants, comme l’atomoxétine et la guanfacine, qui ont démontré leur efficacité en deuxième intention. Cependant, il n’y a pas de données comparatives certifiant leur supériorité face aux stimulants. En troisième intention, les médecins peuvent utiliser, entre autres, le bupropion, la clonidine, l’imipramine et le modafinil.D’autres écueils se présentent. Ainsi, les versions génériques de l’un des psychostimulants les plus populaires, le ConcertaMD, ne se montrent pas aussi efficaces que l’original. La situation est si complexe que l’INESSS y a même consacré un rapport de recherche de plus de 120 pages. À titre d’exemple, l’Institut note dans son rapport qu’un générique comme le Novo-Méthylphénidate ne semble pas avoir la même équivalence thérapeutique que le ConcertaMD , même s’il ajoute du même souffle qu’il est difficile de conclure quant à son efficacité et à son innocuité étant donné qu’aucune étude comparative n’a encore été publiée à son sujet.L’approche multimodale reste la clé du traitement du TDAH, mais la concertation de tous les acteurs nécessitera des efforts considérables afin de mettre en place des corridors de services qui permettront de prendre en charge efficacement les jeunes souffrant de ce trouble complexe.Prévalence du TDAH | Un portrait flouEn 10 ans, le pourcentage d’enfants auxquels des médecins de famille et des pédiatres ont prescrit une médication spécifique au TDAH a plus que doublé. Il y a 10 ans, 2,7 % de Québécois de 0 à 25 ans, assurés par le Régime public d’assurance médicaments (RPAM), recevaient des médicaments pour ce trouble. Aujourd’hui, ce pourcentage est passé à 5,8 %. Ce taux s’établit à 6,4 % si l’on ajoute les personnes qui ne sont pas assurées par le RPAM.Le débat quant à savoir si le Québec surdiagnostique les cas de TDAH ou s’il médicalise trop ces cas n’est pas nouveau. Mais il n’a, en revanche, jamais été tout à fait tranché, ni par la science, ni par les autorités médicales. « Le TDAH est sous-évalué et sous-traité dans le reste du Canada. » Dr Benoît Hammarenger, neuropsychologue et directeur de la Clinique d’évaluation et de réadaptation cognitive de Montréal et Laval.« Ce n’est pas une mauvaise nouvelle d’avoir plus de jeunes traités, c’est même une excellente nouvelle dans un sens, tranche le Dr Martin Gignac, psychiatre à l’Institut Philippe-Pinel de Montréal. Mais il va falloir que cette hausse cesse, puisque nous avons maintenant atteint le taux de prévalence mondial. »Selon une revue systématique de 102 études publiées en 2014 dans le International Journal of Epidemiology de l’Université d’Oxford au Royaume-Uni, le TDAH affecte 5 % à 7 % des enfants et des adolescents dans le monde, depuis 30 ans. Mais cela reste une moyenne. La prévalence de ce problème varie énormément d’un pays à l’autre, en fonction des critères diagnostiques et méthodologiques appliqués.Aux États-Unis, par exemple, environ 11 % des enfants de 4 à 17 ans ont reçu un diagnostic de TDAH, alors que, dans de nombreux pays européens, comme la France et la Grande-Bretagne, ce taux atteint à peine 2 %. « Dans plusieurs pays européens, les médecins ne sont pas formés en TDAH et les symptômes de cette maladie sont interprétés différemment », explique la psychiatre Annick Vincent.Le traitement n’est pas uniforme partout au Canada. L’usage des médicaments se situe ainsi à 3,36 %, mais il chute à 2,4 % lorsqu’on exclut le Québec des données canadiennes. C’est donc dire qu’il y a, toutes proportions gardées, trois fois plus d’enfants au Québec traités par médication pour le TDAH.« Le TDAH est sous-évalué et sous-traité dans le reste du Canada, réagit le Dr Benoît Hammarenger, neuropsychologue et directeur de la Clinique d’évaluation et de réadaptation cognitive de Montréal et Laval. À 2,4 % c’est beaucoup trop bas. »Même si l’utilisation de psychostimulants n’est peut-être pas un bon indicateur de la prévalence réelle du TDAH, les données québécoises étonnent. En 2017, la RAMQ a payé 55,7 millions $ pour près de 91 945 personnes traitées par des médicaments spécifiques au TDAH. Un an plus tôt, la somme était de 52 millions $ pour 82 000 patients. Une croissance de 12 % seulement en un an !Pour la Dre Annick Vincent, l’une des premières raisons pour lesquelles le Québec prescrit plus de psychostimulants contre le TDAH tient au régime d’assurance médicaments. « Le programme de couverture d’assurance couvre mieux les Québécois que les habitants des autres provinces », avance-t-elle.

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