Syndrome du côlon irritable: un fort effet «nocebo» concernant le gluten

Il est peut-être temps de repenser certaines restrictions alimentaires inutiles pour les patients atteints du syndrome du côlon irritable (SCI). Une étude canadienne suggère que nombre d’entre eux pensent être sensibles au gluten ou au blé alors qu’en réalité, ils ne réagissent pas à ces ingrédients. Selon la Fondation canadienne de la santé digestive, le SCI touche environ 10% des Canadiennes et Canadiens, ce qui représente l’un des taux de prévalence les plus élevés au monde. Cette étude publiée dans The Lancet Gastroenterology and Hepatology pourrait surprendre plusieurs de ces personnes souffrant de ce syndrome.Ses auteurs soulignent que le SCI peut être perturbateur et invalidant, et que sa cause sous-jacente n’est pas clairement établie. Leurs travaux de recherche ont porté sur des adultes ayant reçu un diagnostic clinique de SCI et qui ont déclaré se sentir mieux grâce à un régime sans gluten. Les participants ont reçu des barres de céréales contenant soit du gluten, soit du blé entier, soit aucun de ces deux ingrédients. Dans cet essai croisé randomisé, en double aveugle et contrôlé par placebo, ni les 29 participants ni les chercheurs ne savaient à aucun moment quelle barre était consommée. Dans cette cohorte, 26 des 28 participants (93%) étaient des femmes et 79% étaient de race blanche. Parmi eux, 17 suivaient un régime sans gluten à long terme (durée médiane de 6,75 ans) et 11 avaient commencé un régime sans gluten peu avant l’étude (durée médiane de 3 semaines). Dans le cadre de cette étude, un diététicien a dispensé une formation standardisée sur le régime sans gluten à tous les participants au moment de leur inscription.Après chaque test, ces derniers ont rapporté leurs symptômes et des échantillons de selles ont été analysés afin de mesurer objectivement leur consommation de gluten. Même si la plupart des participants ont déclaré avoir consommé les barres contenant du gluten ou du blé, les tests en laboratoire ont montré que ce n’était pas le cas pour beaucoup d’entre eux. Selon les résultats, seul un tiers environ a réellement suivi le régime tel qu’il était prescrit, ce qui suggère que certains n’ont pas consommé les barres afin d’éviter les symptômes.L’équipe a constaté que le nombre de personnes ayant présenté des symptômes plus graves était similaire dans les trois groupes, y compris celui du placebo sans gluten, ce qui suggère que dans de nombreux cas, ce sont les attentes et les croyances, plutôt que les ingrédients eux-mêmes, qui peuvent être à l’origine des symptômes.«Tous les patients qui pensent réagir au gluten n’y réagissent pas nécessairement. Certains sont réellement sensibles à cette protéine alimentaire, mais pour beaucoup d’autres, c’est la croyance elle-même qui provoque leurs symptômes et les choix qui en découlent pour éviter les aliments contenant du gluten», indique l’auteur principal, le Dr Premysl Bercik, professeur au département de médecine de l’Université McMaster à Hamilton, en Ontario.Testez vos connaissances: Que savez-vous du gluten?L’effet nocebo à l’œuvreL’étude a été conçue pour mieux comprendre quels composants du blé étaient responsables de l’apparition des symptômes chez les patients atteints du SCI. Les chercheurs ont analysé le gluten seul ou en combinaison avec d’autres protéines immunogènes, telles que les inhibiteurs de l’amylase trypsine (ATI). Ils seraient ainsi en mesure d’expliquer pourquoi de nombreuses personnes atteintes du SCI continuent d’éviter le gluten, même s’il n’est peut-être pas la véritable cause de leurs symptômes. Selon eux, l’effet nocebo – ce phénomène psychologique qui se manifeste quand l’attente de résultats négatifs entraîne des symptômes réels –, pourrait être une partie de la raison. Le Dr Bercik affirme que le rôle puissant des réseaux sociaux et des communautés en ligne peut également alimenter l’idée que le gluten est nocif.«Nous avons constaté que l’exposition au blé provoquait des symptômes similaires à ceux induits par le gluten purifié, et que l’exposition simulée déclenche des symptômes comparables à ceux du gluten ou du blé. Cela suggère que l’effet nocebo est très fort chez ces patients et que l’ATI a des effets additifs minimes sur la sensibilité au gluten», signale le clinicien chercheur au Medical Post, la publication sœur de Profession Santé ailleurs au Canada.Ces résultats sont étonnants à plusieurs égards, notamment du fait que seul un tiers des patients ont respecté le protocole de l’étude, selon l’évaluation objective et sensible d’un biomarqueur (résidus de gluten dans les selles). «Nous devons améliorer la prise en charge clinique de ces patients en travaillant davantage avec eux, plutôt que de simplement leur dire que le gluten n’est pas le déclencheur et passer à autre chose. Beaucoup d’entre eux pourraient bénéficier d’un soutien psychologique et de conseils pour les aider à déstigmatiser le gluten et le blé et à les réintroduire en toute sécurité dans leur alimentation», estime le Dr Bercik.Bien que l’étude ait utilisé des méthodes rigoureuses, la taille relativement réduite de la cohorte peut limiter la généralisation des résultats. Cependant, ils suggèrent que la restriction de la consommation de gluten ou de blé ne serait bénéfique que pour un sous-groupe de patients atteints du SCI qui se perçoivent comme sensibles au gluten.Professeur à la faculté de médecine et de santé publique de l’Université de Newcastle, au Royaume-Uni, le Dr Nicholas Talley observe que de nombreuses personnes pensent être sensibles ou allergiques au gluten. Cependant, d’autres composants du blé peuvent également entraîner une sensibilité alimentaire. «Cela a contribué à une croissance exponentielle des produits sans gluten disponibles, qui augmentent de près de 9% par an. Un marché qui devrait atteindre plus de 4 milliards de dollars d’ici 2030», souligne le médecin. «Le public pense souvent que les produits sans gluten sont plus sains, mais un régime sans gluten chez les personnes qui ne souffrent pas de la maladie cœliaque peut entraîner des carences nutritionnelles, et ces produits compensent souvent le gluten par une teneur beaucoup plus élevée en sucre ou en graisses.»À lire aussi: Les aliments sans gluten contiennent souvent moins de fibres et plus de sucre que leurs contreparties avec glutenLa sensibilité au blé (et/ou au gluten) chez les personnes non atteintes de la maladie cœliaque est un concept controversé, en partie parce qu’il est surdiagnostiqué. Le fait d’être atteint du syndrome du côlon irritable et de croire que l’on est sensible au blé ou au gluten ne signifie pas nécessairement qu’on l’est réellement. «Cette étude confirme ce fait. Dans les études précédentes, la grande majorité, environ 84%, des personnes ayant déclaré être sensibles au gluten se sont avérées ne pas être réellement plus sensibles lors de tests de provocation en aveugle», mentionne le Dr Talley.L’interaction intestin-cerveau est impliquéeProfesseur émérite à la faculté de médecine de l’Université de Tohoku, au Japon, et membre du Research Center for Accelerator and Radioisotope Science (RARIS), le Dr Shin Fukudo estime que les résultats de cette étude sont tout à fait sensés considérant le SCI comme un trouble représentatif de l’interaction intestin-cerveau: «Les patients atteints du SCI se répartissent selon une sévérité légère, modérée ou sévère. Chez les patients présentant une forme légère, les symptômes du SCI sont attribués principalement à une immunité intestinale accrue, une sensibilité intestinale augmentée, une réactivité intestinale exacerbée et une perméabilité muqueuse accrue. En revanche, chez les patients présentant une forme sévère, les symptômes du SCI sont considérés comme résultant principalement du traitement central de la perception viscérale. »Le degré d’implication de la physiopathologie intestinale et/ou cérébrale dépend de chaque patient atteint du SCI. Le Dr Fukudo précise que les patients atteints du SCI qui ont participé à l’étude ont été recrutés parmi ceux qui avaient répondu au régime d’élimination du gluten et/ou du blé. «Leur conviction quant à l’effet de l’élimination du gluten et/ou du blé sur les symptômes du SCI semblait donc solide. Cette conviction renforce les réseaux analgésiques dans le cerveau», explique le médecin japonais.Professeur de clinique et directeur du programme de bourses de recherche en gastro-entérologie à la Mayo Clinic, en Floride, le Dr Brian E. Lacy indique pour sa part que les patients atteints du SCI souffrent d’un trouble de la sensation intestinale. Ils sont plus sensibles que les autres patients. «Il est important de noter qu’au moins 40% des patients atteints du SCI présentent également une dyspepsie fonctionnelle, des symptômes liés aux repas tels que des douleurs, une sensation de pression, une satiété précoce, une gêne, des nausées et des ballonnements», détaille le Dr Lacy. «La véritable maladie cœliaque, une réaction immunitaire au gluten présent dans le blé, l’orge et le seigle, touche 0,5% à 1% de la population américaine et canadienne. Cela représente donc environ 1 personne sur 100.»À lire aussi: Des pernioses aux doigts et aux orteils qui cachaient une maladie intestinaleCependant, on estime qu’environ 30% de la population canadienne pense être sensible au gluten, ce qui est différent de la réaction auto-immune observée chez les patients atteints de la maladie cœliaque. Cette préoccupation a influencé l’industrie alimentaire. «Les régimes sans gluten peuvent être coûteux et difficiles à mettre en œuvre. Cette étude démontre que les patients atteints du SCI qui se disent sensibles au gluten réagissent de la même manière à un produit factice qu’au gluten et au blé. Cela signifie que ces patients n’ont pas besoin de consacrer du temps et de l’argent supplémentaires à des produits alimentaires spéciaux», affirme le Dr Lacy. «La relation entre l’alimentation et le développement de symptômes gastro-intestinaux est complexe et nous devons en apprendre davantage. Cette étude, qui explore la relation complexe entre le blé et le gluten chez les patients atteints du SCI, constitue un grand pas en avant dans notre compréhension de l’alimentation et des troubles de la sensation intestinale, dont le SCI fait partie», conclut le médecin américain.Référence:Seiler CL, Rueda GH, Miranda PM, et coll. Effect of gluten and wheat on symptoms and behaviours in adults with irritable bowel syndrome: a single-centre, randomised, double-blind, sham-controlled crossover trial. The Lancet Gastroenterology & Hepatology, Volume 10, Issue 9, 794 - 805. doi: 10.1016/S2468-1253(25)00090-1

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