Secret professionnel: l’ex-mari d’une médecin la dénonce au Collège

Un divorce est rarement une partie de plaisir pour un couple. Au mieux, la séparation se règle à l’amiable. Au pire, elle peut tourner au règlement de compte émaillé de coups bas, ce qu'illustre une décision récente du Conseil de discipline du Collège des médecins du Québec (CMQ) visant la Dre Marjolaine Bourque, reconnue coupable d’avoir violé son secret professionnel à la suite de la dénonciation de son ex-mari. Pendant près d’une décennie, la chirurgienne a sauvegardé de très nombreuses photos de nature médicales sur iCloud, le service de stockage infonuagique d’Apple. La décision du Conseil de discipline mentionne quelque «1182 fichiers contenant des renseignements médicaux confidentiels»: des images de listes d’opérations, d’histoires de cas, de comptes-rendus de consultations, d’ordonnances, de notes d’évolution et autres documents versés aux dossiers médicaux de 250 patients; de même que des photos (non nominatives) de certains d’entre eux. La médecin a pris ces clichés lorsqu’elle exerçait à l’Hôpital de l’Archipel aux Îles-de-la-Madeleine (de 2010 à 2019), puis dans des hôpitaux du Centre universitaire de santé McGill (CUSM) où elle a effectué son fellowship en chirurgie colorectale (de 2019 à 2021). Selon elle, il s’agissait d’une «pratique répandue parmi les résidents et fellows», dont le but était «essentiellement académique». Durant toutes ces années, la Dre Bourque téléchargeait ses photos sur l’espace iCloud auquel son mari — en qui elle avait alors confiance — pouvait également accéder. Peu après le dépôt de sa demande de divorce, elle constate (le 16 décembre 2021) qu’elle ne peut plus se connecter à iCloud et que son iPhone, son iPad et son ordinateur ont tous été désactivés, sans préavis. La chirurgienne comprend vite que le iCloud était exclusivement lié à l’adresse courriel de son ex-époux et qu’il en contrôlait les droits d’accès. Six mois plus tard, ce dernier signale son ex-femme au syndic du Collège. Dans un courriel daté du 29 mai 2022, il écrit qu’il détient «des centaines et des centaines de dossiers patients en format photo» et qu’il a aussi «des centaines et des centaines de photos de patients». Le mari éconduit écrit de nouveau au syndic, le 22 juin suivant, pour réclamer le retrait de sa demande d’enquête. Le dossier est fermé le lendemain. Fin août, l’ex-conjoint de la Dre Bourque change d’avis. Il recontacte le syndic afin qu’il réactive l’enquête. Il formule alors de nombreuses allégations à l’endroit de la clinicienne et transmet à l’enquêtrice le millier de fichiers en question tout en précisant qu’il a montré certaines photos à des avocats et à des journalistes. Entre-temps, la chirurgienne avait spontanément contacté le Service de l’inspection professionnelle du Collège, la Commission d’accès à l’information du Québec et le CUSM en les informant, à la mi-août, de la situation dans laquelle elle se retrouvait et de ses conséquences. Par la suite, la Dre Bourque reconnaîtra devant l’enquêtrice du syndic — qui a dénombré «au moins 500 bris de confidentialité» — que son ex-conjoint a bien eu accès à l’espace iCloud et qu’elle y conservait des renseignements de nature confidentielle concernant ses patients. Mots de passe partagés sur fond de convictions religieuses Dans un courriel cité dans la décision du Conseil, la médecin indique qu’avant le 16 décembre 2021, elle n’avait pas conscience que ce iCloud ne lui appartenait pas et que son ex-mari en était le seul propriétaire. «Je savais qu’(il) pouvait voir ces photos, mais je n’ai pas considéré que je devais lui bloquer un accès à des documents qu’il savait confidentiels», explique-t-elle. Elle précise qu’elle choisissait ses propres mots de passe, «mais mon mari les connaissait, car il avait insisté pour que tous nos mots de passe soient centralisés sur une application du nom de One Password pour, selon ses dires, assurer une plus grande sécurité des informations s’y trouvant. Compte tenu de nos convictions religieuses, je ne pouvais pas refuser une telle demande de lui communiquer mes mots de passe.» A posteriori, la Dre Bourque convient qu’elle aurait dû refuser cette demande. «Toutefois, à l’époque, je n’étais pas dans une situation où je croyais pouvoir refuser», avoue-t-elle. Lire aussi: Comment un collège a mis en place une procédure plus efficace et moins punitive S’appuyant tant sur la dénonciation de son ex-mari que sur les aveux de la clinicienne, le syndic est catégorique. Pour lui, il ne fait aucun doute que la chirurgienne a «fait défaut de préserver le secret professionnel (…) dans l’exercice de sa profession», dérogeant ainsi à l’article 20 du Code de déontologie des médecins, à l’article 11 du Règlement sur les dossiers, les lieux d’exercice et la cessation d’exercice d’un médecin ainsi qu’à l’article 60.4 du Code des professions. Le Conseil de discipline du CMQ partage cet avis. «Malgré les explications fournies de bonne foi par (la Dre Bourque) concernant la façon dont l’accès à cette plateforme infonuagique a été créé et la méconnaissance qu’elle avait en informatique ou en particulier sur le fonctionnement d’une plateforme infonuagique, (sa) conduite contrevient aux obligations de tout médecin en cette matière», écrivent ses pairs. Ils estiment qu’en agissant de la sorte et en faisant confiance à son ex-conjoint, la médecin «ne s’est pas conformée à des dispositions cruciales dont elle demeure personnellement imputable, lesquelles visent à protéger les droits des patients prévus dans plusieurs lois concernant le secret professionnel et le droit à la confidentialité des renseignements de nature médicale.» Soulignant qu’il appartient au médecin d’assurer la confidentialité des dossiers médicaux en toutes circonstances et d’en «restreindre l’accès aux seules personnes autorisées», le Conseil a déclaré la Dre Bourque coupable. Sa sanction sera déterminée lors d’une audience ultérieure, dont la date n’est pas encore fixée.

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