Santé Québec: les expectatives des médecins et pharmaciens

À 15 jours de l’entrée en fonction de Santé Québec, l’impatience est de mise. Chez les patients, naturellement, qui espèrent que la société d’État va remplir son rôle, dévolu par le projet de loi 15, de «s’occuper des opérations et de la performance des activités du réseau (de la santé et des services sociaux) afin d’assurer la satisfaction des usagers et usagères». Mais aussi chez les associations professionnelles de médecins et de pharmaciens, dont les attentes sont à la hauteur des enjeux.Patients orphelins, accessibilité de la première ligne, temps d’attente aux urgences, retards dans les chirurgies et les consultations en médecine de spécialité, etc. «Il faut être réaliste, les défis sont énormes. J’ai hâte de voir ce que ça va donner», déclare le président de l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires (AQPP), Benoit Morin. Devant la situation préoccupante du réseau, il convient qu’«il faut essayer quelque chose. En théorie, [Santé Québec] tient la route. En pratique, on verra si elle livre la marchandise. Au moins, on est en mouvement et c’est ça qui compte.»Son homologue à la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ), le Dr Vincent Oliva, partage le même constat. «Notre système de santé n’a jamais été aussi mal en point», estime le radiologiste qui considère que «la pente est raide» pour Santé Québec. «La priorité des priorités, c’est l’accès aux services, en première ligne et dans tous les domaines de la médecine de spécialité.» Il sait pertinemment qu’«il y a trop d’attente pour obtenir une consultation, des examens d’imagerie ou une chirurgie» et, selon lui, «ça prend une réforme d’organisation» pour avoir un réseau plus accessible et plus efficace. «C’est là le défi de Santé Québec: rendre rapidement l’organisation plus efficiente», affirme le Dr Oliva, qui cite en exemple les salles d’opération, dont le tiers seraient fermées à travers la province.Le président de la FMSQ ne veut pas être cynique et entend laisser la chance au coureur. Cependant, comme plusieurs observateurs, il nourrit quelques inquiétudes. «Santé Québec rajoute une couche en plus» à un réseau qui en compte déjà de nombreuses, souligne-t-il. Néanmoins, le médecin ne désespère pas que la société d’État fasse une différence. Pour qu’elle y parvienne, il met de l’avant trois prérequis, sous la forme de trois verbes d’action: dépolitiser, débureaucratiser et décentraliser.«Moins de personnes pour gérer, plus pour soigner»«Le gouvernement ne se désintéressera jamais des enjeux en santé, et ce n’est pas souhaitable», précise le Dr Oliva. «Mais les décisions prises [sur le plan opérationnel] ne doivent pas être teintées d’enjeux électoraux. Par exemple, le ministre de la Santé est préoccupé par les listes d’attente en chirurgie — nous aussi —, mais il doit garder une saine distance pour que Santé Québec ait une indépendance de gestion» afin de trouver les solutions les plus adéquates.S’agissant de la bureaucratisation, le président de la FMSQ juge qu’«il y en a beaucoup trop, à tous les niveaux, partout dans le réseau de la santé». Il en veut pour preuve le nombre «astronomique» d’employés qui ne délivrent pas des soins à la population. «Geneviève Biron (la PDG de Santé Québec) veut couper un milliard dans les dépenses des établissements de santé sans couper dans les soins. Ça revient à couper dans la bureaucratie, mais il faut que ce soit dit», implore le Dr Oliva.Enfin, s’il est conscient que des directives standards et une certaine coordination sont nécessaires à l’échelle provinciale, le radiologiste ajoute dans la foulée que le «one size fits all» n’est pas approprié. «La planification doit tenir compte des besoins spécifiques à chaque milieu et les solutions les plus adaptées viennent du terrain», assure-t-il. Ainsi, «plutôt que leur dire quoi faire, Santé Québec doit aider les acteurs de terrain en leur donnant les moyens et les outils pour accomplir leur travail».Lire aussi: Les gros défis de Santé Québec [DOSSIER]Pas d’interlocuteur pour les pharmaciensDe son côté, l’Association des pharmaciens des établissements de santé (APES) rappelle que lorsque le projet de loi 15 a été déposé, «on s’est montré favorable à l’arrivée de Santé Québec», dans la mesure où elle «s’occuperait véritablement des enjeux opérationnels — c’est ce qu’on nous annonce — et pas des orientations politiques», mentionne sa directrice générale, Linda Vaillant. Cela dit, «on espère vraiment être capable d’avoir des vis-à-vis plus proches du terrain, qui comprennent mieux les réalités», poursuit-elle, en soulignant le grand besoin d’une coordination des soins et services pharmaceutiques au Québec, tant dans les établissements qu’au niveau communautaire. «Pour l’heure, ce n’est pris en charge par personne», regrette la DG de l’APES. Elle spécifie avoir demandé qu’il y ait une direction spécifique pour les services pharmaceutiques au sein de Santé Québec; une direction «qu’on attend toujours».Cette absence préoccupe également le président de l’Association professionnelle des pharmaciens salariés du Québec (APPSQ). À la suite de l’adoption du projet de loi 67, qui élargit encore le champ d’exercice des pharmaciens, et «si l’on veut reconsidérer l’organisation de la première ligne en y incluant les pharmacies communautaires, on doit être représentés et avoir un interlocuteur au sein de Santé Québec», soutient Patrick Hémery. «Pas très optimiste», il signale que les médecins et les infirmières y auront une direction dédiée, mais craint que les pharmaciens soient les oubliés de la liste. «Le ministère de la Santé a dernièrement coupé des postes de pharmaciens dans les CRSP [comités régionaux sur les services pharmaceutiques]. Ça ne présage pas du positif pour la suite», observe le président de l’APPSQ qui, jusqu’à présent, n’a pas eu de relation directe avec quelqu’un chez Santé Québec, «comme on n’en avait pas non plus avec le ministère de la Santé».Lire aussi: Pour ou contre la médecine privée?Premiers échangesLe président de l’AQPP a quant à lui rencontré Geneviève Biron le mois dernier. «C’était une première prise de contact, pour faire connaissance. On lui a décrit l’AQPP, notre rôle, le réseau des pharmacies communautaires, les services qu’on organise, etc. On lui a aussi présenté quelques réflexions sur notre capacité en première ligne et nos enjeux en lien avec la rareté de la main-d’œuvre», relate Benoit Morin, qui estime avoir eu une «bonne écoute». «On sent une ouverture à la collaboration avec nos réseaux», ajoute-t-il tout en abondant dans le même sens que l’APES et l’APPSQ. «Je reste inquiet. Comment va-t-on nous inclure si on n’a pas de personne-ressource dédiée aux pharmaciens chez Santé Québec? On espère vraiment qu’on aura quelqu’un avec qui on pourrait réfléchir à notre participation et s’impliquer dans la recherche de solutions.»Le Dr Vincent Oliva ne nourrit pas les mêmes inquiétudes. Deux médecins spécialistes figurent déjà parmi les administrateurs de la société d’État — les Drs David Lussier et Stanley Vollant — et une direction vouée aux soins médicaux doit vraisemblablement y être créée. Lui aussi a déjà eu une première rencontre de travail avec Geneviève Biron au cours de l’été. «On ne partait pas de zéro, car on s’est déjà croisé dans nos parcours professionnels», signale le président de la FMSQ. Il a notamment échangé avec la PDG sur l’état du réseau de la santé et sur sa vision des réformes à y apporter. Il indique que des discussions plus concrètes ont été amorcées entre Frédéric Abergel, le vice-président aux opérations et à la transformation, et le Dr Serge Legault, vice-président de la FMSQ, concernant les enjeux en chirurgie. «On sent une volonté de collaboration. La volonté d’amélioration est aussi là. C’est positif.»Sollicités par Profession Santé, la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ) et son président, le Dr Marc-André Amyot, ont décliné notre demande d’entrevue. «Nous n’accordons pas d’entrevue sur ce sujet. Nous préférons attendre d’en savoir plus sur la forme réelle que Santé Québec prendra.»

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