Sanctions disciplinaires pour absence de notes au dossier: «ça a créé du malaise et de la peur»

Dans le sillage des récentes sanctions du Conseil de discipline de l’Ordre des pharmaciens du Québec (OPQ) visant deux pharmaciens pour des manquements dans le suivi d’un patient vulnérable et non observant, les questionnements et les critiques vont bon train au sein de la profession. «C’est une décision qui n’est pas comprise», résume le président de l’Association professionnelle des pharmaciens salariés du Québec (APPSQ), Patrick Hemery. «Ça a créé du malaise et de la peur»Ce dernier pointe plusieurs sujets de préoccupation soulevés par les pharmaciens, aussi bien sur les réseaux sociaux que dans la section commentaires du site de Profession Santé: les méthodes employées par le syndic, le processus disciplinaire en vigueur et la disproportionnalité des sanctions appliquées. Des inquiétudes et des critiques résumées dans une lettre ouverte adressée à la Direction des enquêtes du syndic et à l’Ordre des pharmaciens du Québec (OPQ), auxquelles l'association joint plusieurs pistes de solutions (lettre consultable en fin d'article). Des syndics «déconnectés des réalités du terrain»Concernant le syndic tout d’abord, les méthodes employées sont souvent vécues comme «une humiliation» pour les pharmaciens d’après Patrick Hemery, qui estime que «les syndics poussent à plaider coupable d’emblée, ce qui n’est pas normal.» L’un des enjeux principaux est lié à la longueur des procédures selon lui. «Une simple enquête prend parfois six mois, alors que ça pourrait être réglé en 15 jours. Ça engendre des frais importants et une pression pour les pharmaciens, qui ne doivent pas en parler.»Mais surtout, le président de l’APPSQ critique des syndics encore trop déconnectés des réalités du terrain, selon lui. «Les syndics ne pratiquent plus depuis des années, commente-t-il auprès de Profession Santé. Il faudrait revoir leur mode de recrutement, peut-être les embaucher avec des contrats à durée déterminée de cinq ans, ce qui les obligerait à retourner pratiquer ensuite», propose-t-il, en s’interrogeant également sur la manière dont est évalué le travail des syndics.Une obligation de moyens, pas de résultatsConcernant les décisions du Conseil de discipline en elles-mêmes, Patrick Hemery rappelle – tout comme le président de l’OPQ Jean-François Desgagné l’a lui-même fait dans une lettre aux pharmaciens et pharmaciennes publiée le 9 juillet dernier sur le site de Profession Santé – que leurs fondements sont l’«importance de la documentation», le «rôle de surveillance thérapeutique» et la «responsabilité collective». Malgré cela, la principale pierre d'achoppement reste le message véhiculé par les deux décisions. «Ça a été perçu comme une obligation de résultat», explique le pharmacien. «Or, nous avons seulement une obligation de moyens.»Dans sa lettre ouverte, le président de l’APPSQ rappelle en effet que ces décisions reprochent aux pharmaciens «de ne pas avoir documenté certains rappels verbaux visant à soutenir l’adhésion au traitement.» Des rappels qui ont pourtant bien eu lieu selon les témoignages disponibles, écrit-il.Les reproches adressés aux pharmaciens sont par ailleurs impossibles à réaliser dans la pratique quotidienne en pharmacie communautaire. «On travaille dans un flux continu d’action et de patients, et si on doit être amenés à consigner tous nos ordres verbaux, c’est sans fin, déplore Patrick Hemery. Nous finirons par prendre 15 patients par jour au lieu de 50.» Ce flou ajoute une inquiétude à celle engendrée par le nouveau cadre de pratique prévu dans le PL67, dont l’entrée en vigueur est imminente. «Même une pratique responsable, répétée et pertinente pourrait désormais être jugée insuffisante si elle n’est pas consignée selon des standards élevés de formalisme, souvent irréalistes dans la charge de travail clinique actuelle», poursuit le président de l’APPSQ dans sa lettre ouverte. Il alerte sur le fait que les notes au dossier pourraient être désormais une manière de se protéger d’une éventuelle poursuite du syndic plutôt qu’une action visant à améliorer la prise en charge des patients. En outre, aucun élément ne permet en l’état d’établir un lien de causalité entre le manque de notes au dossier et l’AVC du patient, depuis placé en institution dans un état végétatif. «Je suis conscient qu’un patient se retrouve en CHSLD, mais est-ce que c’est parce qu’il n’a pas pris son apixaban? Aucun rapport d’expert ne permet de le prouver.»«Une question d'équité interprofessionnelle»Enfin, le président de l’APPSQ dénonce une décision qui «semble s’écarter des balises de proportionnalité, de nuance et de réalisme clinique.»En cause, la proportionnalité des sanctions appliquées aux deux pharmaciens – des amendes respectives de 5000 et 4500$ – qui interroge, voire choque, alors qu’aucun «élément d’intention fautive ou de négligence grave n’a été démontré», poursuit Patrick Hemery. Fort de tous ces constats, le président de l’APPSQ demande aujourd’hui des actions rapides et concrètes de la part de la Direction des enquêtes du syndic afin de «faire changer les choses», afin de ne pas finir par «miner la confiance envers les mécanismes d’encadrement eux-mêmes.» «J’ai confiance que les choses évoluent rapidement», conclut-il auprès de Profession Santé.

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