On sait maintenant pourquoi le lupus et d’autres maladies auto-immunes touchent beaucoup plus les femmes

Les femmes sont beaucoup plus susceptibles que les hommes de contracter des maladies auto-immunes, c’est-à-dire des affections dans lesquelles un système immunitaire déréglé s’attaque à leur propre corps. Une nouvelle étude pourrait enfin expliquer pourquoi. Selon des chercheurs de l’Université de Stanford, la façon dont l'organisme gère le chromosome X supplémentaire des femmes pourrait être en cause. Cette découverte pourrait permettre de mieux détecter une longue liste de maladies difficiles à diagnostiquer et à traiter.«Cette découverte transforme la façon dont nous envisageons l’ensemble du processus d’auto-immunité, en particulier le biais homme-femme», indique l’immunologue à l’Université de Pennsylvanie, le Dr E. John Wherry, qui n’a pas participé à l’étude.Plus de 24 millions d’Américains, voire 50 millions selon certaines estimations, souffrent d’une maladie auto-immune — des affections telles que le lupus, la polyarthrite rhumatoïde, la sclérose en plaques et des dizaines d’autres. Environ quatre patients sur cinq sont des femmes, un mystère qui déconcerte les scientifiques depuis des décennies. L’une des théories avancées est que le chromosome X serait l’un des coupables. Après tout, les femmes ont deux chromosomes X, tandis que les hommes ont un X et un Y.Cette nouvelle étude, publiée dans la revue Cell, montre que le chromosome X est bel et bien impliqué, mais d’une manière inattendue.Notre ADN est hébergé à l’intérieur de chaque cellule dans 23 paires de chromosomes, dont la dernière détermine le sexe biologique. Le chromosome X contient des centaines de gènes, bien plus que le chromosome Y des hommes, beaucoup plus petit. Chez la femme, chaque cellule doit désactiver l’une de ses copies du chromosome X pour éviter de recevoir une double dose toxique de tous ces gènes.L’inactivation du chromosome X est réalisée par un type spécial d’ARN appelé Xist, qui se prononce comme «existe». Ce long tronçon d’ARN se fixe à certains endroits du chromosome X supplémentaire d’une cellule, attire des protéines qui se lient à lui en formant des amas complexes, et rend le chromosome silencieux.Dermatologue à Stanford, le Dr Howard Chang étudiait la manière dont Xist accomplit son travail lorsque son laboratoire a identifié une centaine de ces protéines agglomérées. Le Dr Chang a constaté que nombre d’entre elles étaient liées à des troubles auto-immuns de la peau: les patients peuvent avoir des «auto-anticorps» qui s’attaquent par erreur à ces protéines normales.«Cela nous a fait réfléchir, car ce sont des protéines connues. Qu’en est-il alors des autres protéines de Xist?», relate le médecin. Peut-être que cette molécule, que l’on ne trouve que chez les femmes, «pourrait d’une manière ou d’une autre organiser les protéines de manière à activer le système immunitaire».Si c’est le cas, la Xist ne pourrait pas, à elle seule, provoquer une maladie auto-immune, sinon toutes les femmes seraient touchées. Les scientifiques ont longtemps pensé qu’il fallait une combinaison de susceptibilité génétique et d’un déclencheur environnemental, tel qu’une infection ou une blessure, pour que le système immunitaire s’emballe. Le virus d’Epstein-Barr, par exemple, est lié à la sclérose en plaques.Des diagnostics plus rapides?L’équipe du professeur Chang a décidé de créer des souris de laboratoire mâles pour qu’elles produisent artificiellement Xist — sans faire taire leur seul chromosome X — et voir ce qui se passait. Les chercheurs ont également sélectionné des souris sensibles à une maladie semblable au lupus, qui peut être déclenchée par un irritant chimique.Les souris qui produisaient le Xist formaient des amas de protéines caractéristiques et, lorsqu’elles étaient déclenchées, elles développaient une auto-immunité de type lupus à des niveaux similaires à ceux des femelles, a conclu l’équipe.«Nous pensons qu’il est très important que l’ARN Xist s’échappe de la cellule pour être visible par le système immunitaire. Il fallait encore ce déclencheur environnemental pour que tout se mette en marche», explique le Dr Chang, qui est rémunéré par l’Institut médical Howard Hughes, qui soutient également le département Santé et Sciences de l’Associated Press.Lire aussi: Nouvelles lignes directrices pour la prise en charge du lupus érythémateux cutanéOutre les souris, les chercheurs ont également examiné des échantillons de sang de 100 patients et ont découvert des auto-anticorps ciblant des protéines associées au Xist que les scientifiques n’avaient pas encore associées à des troubles auto-immuns. Une raison possible, selon le Dr Chang: les tests standard d’auto-immunité ont été réalisés à partir de cellules mâles.De nombreuses autres recherches sont nécessaires, mais ces résultats «pourraient nous permettre de diagnostiquer plus rapidement des patients qui semblent cliniquement et immunologiquement très différents», observe le Dr Wherry.«Vous pouvez avoir des auto-anticorps dirigés contre la protéine A et un autre patient peut avoir des auto-anticorps dirigés contre les protéines C et D», mais le fait de savoir qu’ils font tous partie du complexe Xist permet aux médecins de mieux traquer les schémas de la maladie, ajoute l’immunologue. «Maintenant, nous avons au moins une grande partie du puzzle du contexte biologique.»Le Dr Chang se demande quant à lui s’il est même possible d’interrompre un jour le processus:«Comment passe-t-on de l’ARN aux cellules anormales, ce sera la prochaine étape de notre recherche.»

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