Réorganisation du réseau de la santé: quels rôles pour les pharmaciens?

Le plan pour «mettre en œuvre les changements nécessaires en santé», présenté fin mars par Christian Dubé, souligne que «la pandémie a montré que les pharmaciens communautaires peuvent être mis à contribution. Facilement accessibles et bénéficiant désormais d’une autonomie accrue, ils sont efficaces pour assurer une continuité dans les soins donnés aux patients.» Partant de là, le ministre de la Santé a signifié son intention de confier «davantage d’autonomie» aux pharmaciens pour qu’ils puissent offrir plus de services aux patients, peut-on lire dans son plan. À court terme, on comprend entre les lignes que le volet «davantage d’autonomie» ne semble pas être une priorité. «Je tiens à mentionner qu’au sujet des nouvelles compétences, nous sommes sur la même longueur d’onde que l’OPQ [Ordre des pharmaciens du Québec] et l’AQPP [Association québécoise des pharmaciens propriétaires]», indique l’attachée de presse de Christian Dubé, Marjaurie Côté-Boileau. «Déjà, avec la Loi 31, nous avions fait avancer comme jamais le décloisonnement de la profession. Avec la pandémie, nous avons pu aller encore plus loin», signale-t-elle par courriel en rappelant la contribution des pharmacies communautaires à la campagne de vaccination contre la COVID-19 ainsi que leur récente autorisation à prescrire Paxlovid. «Maintenant, il faut s’assurer de maximiser l’application de ces nouvelles compétences sur le terrain et ça passe principalement par la prise en charge en première ligne», ajoute la relationniste. À lire aussi: Réorganisation de la santé: Dubé présente son plan Dans l’absolu, les pharmaciens ne sont pas contre l’idée d’en faire plus, même si d’un point de vue réglementaire, «il n’y aurait rien à changer», considère le président de l’OPQ, Bertrand Bolduc. «On a une large palette d’activités qui nous permet d’en faire beaucoup. On peut déjà ajuster la médication pour certaines maladies comme le diabète, la migraine ou l’hypertension. On pourrait peut-être le faire pour d’autres conditions», envisage-t-il. Son homologue à l’AQPP est du même avis: «On pourrait élargir certaines compétences à la marge. On peut par exemple amorcer un traitement pour le zona, mais on ne peut pas traiter les douleurs liées au zona. On pourrait aussi s’impliquer dans le suivi des antidépresseurs ou des traitements des troubles de déficit de l’attention qui nécessitent beaucoup d’ajustements», indique Benoît Morin qui pense néanmoins que «la première des choses serait d’utiliser au maximum nos compétences en fonction des ressources dont on dispose.» Ressources humaines et charge de travail En effet, la question ne serait pas tant de savoir si les pharmaciens veulent en faire plus, mais s’ils peuvent en faire plus. «Ont-ils les moyens humains de le faire?» interroge ainsi Bertrand Bolduc en soulignant les difficultés des pharmacies à recruter des techniciens, mais aussi des pharmaciens. Dans les officines, ces derniers ont multiplié l’an dernier les actes issus des lois 41 et 31 et se retrouvent débordés. «Il y a cinq ans, je faisais le même travail, à ressources égales, sans ces actes cliniques qui ont été transférés», note le président de l’Association professionnelle des pharmaciens salariés du Québec (APPSQ), Patrick Hemery, qui a fait de la surcharge de travail son cheval de bataille. «Les pharmaciens salariés n’en peuvent plus, ils se rendent vulnérables aux erreurs pour essayer de répondre au souhait du ministère de la Santé.» Selon lui, il faut revoir à la baisse les horaires d’ouverture des pharmacies communautaires pour permettre au «pharmacien clinicien d’être doublé en tout temps. Il devrait pouvoir travailler uniquement sur rendez-vous avec un bureau de consultation digne de ce nom, pas sur un bout de comptoir.» À lire aussi: Lois 41 et 31: près de 4 millions d’actes posés en 2021 par les pharmaciens D’autant plus qu’avec l’avènement des guichets d’accès à la première ligne (GAP) que le ministère veut déployer d’ici le 1er juin, ces «nouveaux» actes cliniques sont appelés à croître. «L’intention du ministre Dubé est en effet de renforcer le rôle des pharmaciens en première ligne afin que les Québécois aient accès plus rapidement à un professionnel de la santé», confirme Marjaurie Côté-Boileau. «Pour ce faire, on mise notamment sur le projet du GAP où les patients avec une condition de santé mineure pourront être référés à un pharmacien, lorsqu’il est jugé que cela entre dans leur champ de compétences.» Dans le Bas-Saint-Laurent, où le concept du GAP est né il y a deux ans sous la forme d’un projet-pilote, 16% des appels des patients orphelins ayant accès à ce service aboutissent à une consultation en pharmacie. «Ça va prendre un exercice de planification de la main-d’œuvre pour que les pharmaciens puissent s’ajuster en conséquence», avance Bertrand Bolduc tout en apportant un bémol. «Les pharmaciens ont le dos large, mais ils ne pourront pas remplacer les médecins», prévient le président de l’OPQ. À lire aussi: Objectif 1er juin pour le déploiement des GAP Quelle rémunération? L’autre enjeu, et non des moindres, concerne la rémunération de ces actes de nature clinique. Le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) «déshabille Paul le médecin pour habiller Pierre le pharmacien», résume Patrick Hemery. «Or, Paul n’a pas de vêtement à donner à Pierre, donc le MSSS doit lui en acheter! J’entends par là que les nouveaux actes que le pharmacien peut réaliser pour servir la population québécoise doivent être rémunérés à leur juste valeur, ce qui n’est pas le cas à l’heure actuelle.» Un point de vue partagé par Bertrand Bolduc qui affirme que «le gouvernement ne paye pas pour tous les actes qu’on peut accomplir en pharmacie.» En la matière, l’AQPP se montre plutôt confiante. «Les négociations autour de la rémunération des actes cliniques posés par les pharmaciens ne sont pas un frein, dans le sens où la volonté politique est là», indique Benoît Morin. «Encore faut-il que cette volonté percole au sein du MSSS», ajoute-t-il en constatant le besoin d’accorder la vision du ministre avec celle de son ministère.

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