Relations des médecins avec l'industrie pharmaceutique: entre confiance et méfiance

En recevant un représentant de l’industrie, combien d’entre vous se sont déjà demandé: «Est-ce que j’y gagne en information, ou est-ce que je mets en jeu la confiance de mes patients?» Cette question, apparemment banale, trouve un écho dans une étude parue dans JAMA Health Forum qui a suivi les perceptions de médecins américains sur une période de treize ans. Les chercheurs rappellent d’emblée que «les fabricants pharmaceutiques dépensent plus de 35 milliards de dollars US par an en promotion, souvent directement auprès des professionnels de santé». Face à cette influence, ils avaient sondé en 2011 des étudiants et résidents en médecine sur leurs interactions avec l’industrie. Treize ans plus tard, ces mêmes répondants, désormais médecins en exercice, ont été recontactés afin de mesurer l’évolution de leurs attitudes.Cet article pourrait vous intéresser: Blogue | Pourquoi les réformes du système de santé du Québec semblent-elles toujours échouer?En 2011, près de 5300 étudiants et résidents avaient été invités à participer, avec un taux de réponse avoisinant 45%. En 2024, les chercheurs ont pu joindre 901 anciens participants; 294 ont répondu, dont 291 avec des données appariées sur les deux périodes. Âgés en moyenne de 41 ans, les répondants étaient en majorité des spécialistes (70,9%), pratiquant surtout en milieu hospitalier ou clinique (74,2%).Des résultats ambivalentsLes réponses mettent en lumière un double mouvement: méfiance accrue vis-à-vis des enjeux éthiques, mais reconnaissance de l’utilité de certaines interactions.Confiance fragilisée: 14,5% des répondants en 2024 (contre 5,6% en 2011, p = 0,004) estiment que «les interactions de marketing avec l’industrie menacent la confiance du public envers la médecine».Valeur éducative reconnue: dans le même temps, 76,9% jugent que ces interactions apportent une information utile (contre 66,3% en 2011, p = 0,005).Encadrement renforcé: les médecins se montrent beaucoup plus favorables à l’idée que «les facultés de médecine exigent des professeurs qu’ils divulguent leurs conflits d’intérêts avant leurs cours» (99,7% en 2024 contre 88,9% en 2011, p < 0,001). De même, 72,2% considèrent désormais que les représentants ne devraient pas avoir accès aux étudiants en milieu clinique (contre 59,6% en 2011, p = 0,004).Innovation et contraintes: légère progression de l’opinion selon laquelle restreindre les honoraires de consultation versés par l’industrie pourrait «freiner le développement de nouveaux médicaments» (28,5% contre 23,1%, p = 0,01).Cadeaux de l’industrie : la proportion de répondants déclarant avoir reçu des cadeaux est restée notable. En 2011 comme en 2024, environ un quart ont continué à en accepter (25,3%), tandis que 21,8% sont passés de «non» en 2011 à «oui» en 2024. À l’inverse, 19% ont arrêté d’en recevoir, et 33,9% sont demeurés constants dans leur refus.En somme, les praticiens apparaissent à la fois plus critiques et plus pragmatiques. «Cette enquête longitudinale montre une confiance croissante dans l’information issue du marketing, mais aussi une inquiétude accrue quant à son impact sur la confiance dans la médecine», écrivent les auteurs.À lire aussi: Paiements de l’industrie et plaintes des patients: un lien mesurable chez les médecins américainsSelon ces derniers, ces résultats sont loin d’être anecdotiques. Ils traduisent à la fois l’effet du passage du statut d’apprenant à celui de professionnel confirmé et des évolutions sociétales. Mais l’enjeu central reste la dépendance persistante des médecins à l’information fournie par l’industrie. «Des chercheurs de divers contextes ont montré de façon répétée des liens directs entre le démarchage pharmaceutique, les choix de prescription et, ultimement, les résultats pour les patients», rappellent-ils.Dans cette perspective, ils appellent les sociétés savantes, les assureurs privés et publics et les régulateurs à agir: «Ces acteurs devraient collaborer pour offrir des alternatives au marketing pharmaceutique aux médecins en début et milieu de carrière, qui pourraient accueillir ces occasions encore plus favorablement que lorsqu’ils étaient en formation.»Référence:Mooney H, Austad K, Campbell EG, Avorn J, Lu Z, Kesselheim AS. Physician Perspectives on Pharmaceutical Promotion. JAMA Health Forum. 2025;6(9):e253521. doi:10.1001/jamahealthforum.2025.3521

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