Radié 10 semaines, un médecin octogénaire s’engage aussi à prendre sa retraite

Pendant cinq ans, le Dr Gilles Mercier est intervenu activement dans le suivi et la prise en charge des problèmes de santé d’un proche parent qui souffrait de douleurs aigües. L’obstétricien gynécologue qui pratique à l’Hôpital général du Lakeshore, à Pointe-Claire, et en cabinet privé, lui a notamment prescrit de multiples tests et examens cliniques de même que des opioïdes et un puissant analgésique. Il a ainsi contrevenu à l’article 70 du Code de déontologie des médecins, qui plus est en agissant en dehors de son champ d’exercice habituel.«Le médecin doit, sauf dans les cas d’urgence ou dans les cas qui manifestement ne présentent aucune gravité, s’abstenir de se traiter lui-même ou de traiter toute personne avec qui il existe une relation susceptible de nuire à la qualité de son exercice, notamment son conjoint et ses enfants.» — Article 70 du Code de déontologie des médecinsPoursuivi devant le Conseil de discipline du Collège des médecins suite à une inspection professionnelle, le clinicien âgé de 83 ans a plaidé coupable aux accusations de la syndique adjointe, la Dre Anne-Marie Houle. Il s’est entendu avec elle pour présenter à ses pairs une recommandation conjointe qu’ils ont entérinée dans une décision rendue le 9 octobre. En vertu de celle-ci, le clinicien se voit imposer une radiation temporaire de 10 semaines. Fait plutôt inusité, il s’est aussi engagé auprès du Bureau du syndic à «prendre sa retraite et de cesser de pratiquer la médecine d’ici le 1er octobre 2025».La visite d’inspection professionnelle de contrôle à l’origine de la plainte contre le Dr Mercier a été effectuée dans le cadre du programme «Syndic» du Collège les 27 et 28 septembre 2022. L’examen du profil de prescriptions de la RAMQ a montré que l’obstétricien gynécologue a commencé à s’occuper de son proche parent (la nature de leur lien n’est pas précisée dans la décision) en 2017. Il souffrait alors de douleurs aiguës au membre supérieur gauche, l’obstétricien gynécologue expliquant qu’il l’a «dépanné», sans se justifier davantage.Ce dépannage s’est étendu durant cinq années. Durant les trois premières, le médecin a prescrit trois CT Scan en l’espace de huit mois: deux des poumons, puis un des poumons, de l’abdomen et du pelvis. Il a également signé une requête pour que son proche consulte un interniste de l’Hôpital général du Lakeshore.Courant 2020, son parent est diagnostiqué d’un cancer au niveau de l’apex du poumon gauche. En septembre, le Dr Mercier lui prescrit de nouveau un CT scan des poumons, de l’abdomen et du pelvis. Six mois plus, soit en mars 2021, il lui délivre une ordonnance pour des radiographies de la région cervicale et des poumons, que le médecin justifie en suspectant une «discopathie causant douleur cou + épaule et jusqu’au pouce gauche» et pour «tabagisme + nodule poumon gauche depuis 3 ans». Ces rayons X montrent que la tumeur de son proche progresse et s’attaque dorénavant au plexus brachial de son bras gauche.Lire aussi: L’ABC des inspections professionnelles au CMQEn avril, l’obstétricien gynécologue demande des prélèvements en hématologie, biochimie et endocrinologie et une nouvelle radio du poumon gauche. En mai, il prescrit à son proche patient un électromyogramme puis, en juin, un CT scan du thorax, de l’abdomen et du pelvis ainsi qu’une IRM de l’épaule gauche et de la colonne cervicale.En parallèle à ces multiples examens, le Dr Mercier lui a aussi prescrit plusieurs médicaments, dont des opioïdes (DémérolMD, DilaudidMD, EmpracetMD) et du LyricaMD, un analgésique, antiépileptique et anxiolytique, «laissant à l’occasion au [proche parent] le choix de déterminer lequel prendre, le tout sans tenir véritablement un dossier médical conforme», précise la décision.À l’audience, le médecin a expliqué que ses prescriptions d’opioïdes «se justifient amplement par les douleurs aiguës et sévères dont [son parent] souffre et la gravité de la maladie qui l’affecte». Il a également souligné qu’après son diagnostic de cancer, son proche avait entamé des traitements de chimiothérapie, lesquels ont été cessés en raison des effets secondaires trop importants. Celui-ci finira par décéder à une date qui n’est pas spécifiée dans la décision.Jugement professionnel biaiséPour la syndique adjointe, le Dr Mercier a surtout «prescrit ce que ce proche parent désire plutôt que de s’en tenir à ce qui est requis d’un point de vue médical». Elle souligne qu’il lui a également conféré «une grande latitude dans la gestion de sa médication».Selon la Dre Anne-Marie Houle, l’attitude de l’obstétricien «met ainsi en évidence le risque que cela comporte de traiter une personne de son entourage proche». Elle explique qu'il existe avec cette dernière «une relation susceptible de nuire au jugement professionnel du médecin et ce faisant, à la qualité des services professionnels rendus, en raison des liens affectifs qui les unissent». En outre, la syndique adjointe mentionne que cette proximité a amené le Dr Mercier «à exercer des activités professionnelles et à poser des diagnostics qui outrepassent son champ d’expertise comme médecin spécialiste en obstétrique et gynécologie».Parmi les facteurs jaugés par le Conseil de discipline avant d’approuver la recommandation conjointe, ses pairs ont entre autres retenu: la durée significative de l’infraction reprochée au médecin, la fréquence élevée à laquelle il prescrit les opioïdes — «des médicaments contrôlés et puissants dont l’usage à mauvais escient peut présenter des risques importants pour la santé» —, la difficulté qu’éprouve le proche parent à respecter les limites qui lui sont imposées, ainsi que l’âge du Dr Mercier.Déjà radié par le passéDurant sa carrière débutée en 1967, l’obstétricien a eu maille à partir avec le Conseil de discipline du Collège à deux reprises. La première en 2012, pour cause de retards importants dans la tenue de ses dossiers. Après avoir été averti à ce sujet pendant 14 ans, le médecin avait été radié deux mois et a dû s’acquitter d’une amende de 14 000$. En 2015, il a été poursuivi pour avoir tardé à dicter ses protocoles opératoires. Il a de nouveau été radié, cette fois-là pour trois mois et s’est vu imposer une amende de 15 000$.Le bottin des membres du Collège signale que le Dr Mercier s’était engagé en novembre 2020 «à cesser ses activités chirurgicales majeures en gynécologie». Il pouvait néanmoins poursuivre ses activités en obstétrique, «incluant les césariennes et autres activités chirurgicales en lien avec l’obstétrique».

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