Quitter la médecine sans se quitter soi-même

Jusqu’à quel point la médecine peut-elle façonner une vie? Et combien de temps peut-on rester médecin sans y perdre son âme? Ces questions, plusieurs se les posent à voix basse, mais un récent sondage du média en ligne Medscape, mené auprès de 1028 médecins à travers le pays, leur donne un écho tangible. L’enquête, réalisée entre mars et juillet 2025, dresse un portrait nuancé de la relation des praticiens à la retraite: ni fuite en avant ni fin inéluctable, mais souvent un lent décollement d’une identité forgée au fil d’une carrière souvent riche et intense.Selon le sondage, près de 72% des répondants disent vouloir quitter la pratique durant leur soixantaine ou leur soixante-dizaine, plus de la moitié prévoyant prendre leur retraite vers la fin de leur sixième décennie ou le début de leur septième. Mais cette «sortie» est souvent toute théorique. «J’aime ce que je fais, et je sens que j’ai encore quelque chose à apporter», confie par exemple un médecin cité par Medscape. Ce sentiment d’utilité, partagé par 68% des praticiens qui comptent prolonger leur carrière, illustre bien la force du lien entre profession et identité.À l’opposé, 57% des médecins de moins de 45 ans prévoient de tourner la page avant 60 ans, évoquant surtout la fatigue et la soif de liberté. Parmi ceux qui rêvent d’un départ précoce, 73% citent l’épuisement professionnel et 72% le besoin de «temps pour soi».Chez les plus anciens, la passion l’emporte souvent sur la lassitude:39% disent rester «par amour du métier»;35% parce que «la médecine fait partie de leur identité»;29% par préoccupation pour leurs patients.«J’aime encore voir mes patients, certains depuis plus de 40 ans. Ce travail garde l’esprit vif», peut-on lire parmi les commentaires laissés par les répondants.Les données de Medscape reflètent un paradoxe bien connu: la médecine attire par son sens, mais elle use par son intensité. Près d’un tiers des répondants comptent cesser toute activité après leur départ (34%), tandis que 31% envisagent plutôt une transition douce, à temps partiel ou dans des fonctions de mentorat. «La retraite n’est pas une fin, c’est un changement de tempo», résume un des médecins sondés.Les émotions anticipées sont d’ailleurs partagées: 32% s’attendent à se sentir «bien», 22% s’imaginent qu’ils seront «soulagés», et 15% anticipent qu’ils éprouveront de la tristesse. Autrement dit, ni euphorie ni rupture – plutôt une recomposition.La plupart restent toutefois sereins vis-à-vis de leur avenir. Près de 70% se disent «confiants» ou «très confiants» de mener une vie enrichissante après la médecine. «Il faudra simplement apprendre à exister autrement», note l’un d’eux.À lire aussi: 5 épiphanies qui ont changé ma carrière de médecinDes particularités québécoisesLes réponses des médecins québécois, comparées à celles de leurs pairs ailleurs au Canada, tracent un profil légèrement différent. Les cliniciens d’ici sont plus nombreux à planifier un projet «de rêve» après la médecine (41% contre 31% ailleurs) – voyage, voilier, maison sous les tropiques. Ils misent aussi davantage sur les placements financiers (71% contre 62%) et moins sur l’immobilier ou les pensions d’employeur pour les rares qui sont des salariés.Quant à la perception de l’âge comme facteur limitant, les avis sont partagés: 46% des médecins québécois jugent que l’âge influence la capacité à pratiquer, contre 47% ailleurs. Et l’âge «idéal» pour décrocher? Autour de 74 ans au Québec, à peine moins que dans le reste du Canada.À lire aussi: La retraite un mercredi midiCette longévité professionnelle résonne avec la pyramide des âges publiée par le Collège des médecins du Québec. En 2024, près du tiers des médecins québécois avaient plus de 60 ans, une proportion appelée à croître. De quoi alimenter la réflexion sur le renouvellement de la relève, mais aussi sur la place qu’occupent les praticiens expérimentés.Et après?Rares sont les métiers où l’on «cesse d’être» aussi brutalement. La médecine en fait partie. Certains y voient une chance de se réinventer; d’autres redoutent de s’y perdre. Reste que, comme le signale un répondant, «il n’y a rien qui m’intéresse autant que soigner». Au fond, partir à la retraite ou rester en pratique n’est peut-être qu’une question de rythme – et de sens à préserver.

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