Quand une communauté se prend main pour offrir des soins à la population

On n’est jamais mieux servi que par soi-même. Plutôt qu’attendre après Québec, un entrepreneur mécène et la municipalité de Mont-Tremblant se sont associés pour construire le Campus Santé Mont-Tremblant. Selon les vœux des promoteurs du projet, évalué à plus de 50 millions de dollars, ce «centre de soins et de services sociaux intégrés» hébergera à terme un centre local de services communautaires (CLSC), un groupe de médecine familiale (GMF), une pharmacie, des professionnels de la santé divers et variés, un centre d’imagerie, un centre médical spécialisé (CMS), un centre de réadaptation, une résidence pour aînés et un centre d’hébergement de soins de longue durée (CHSLD).Situé à proximité du centre-ville de Mont-Tremblant, sur le bord de la route 117, le Campus occupera une superficie de 44 acres, soit l’équivalent de 25 terrains de football. Le terrain a été cédé gracieusement par la Fondation Lise et Giuseppe Racanelli. «La société m’a beaucoup donné. Comme immigrant italien, j’ai fait mon bout de chemin au Québec et j’y ai gagné ma vie dans le domaine de la santé. C’est une façon de redonner à la société», explique l’homme d’affaires Giuseppe Racanelli qui a fait fortune dans le secteur de la ventilation. Âgé de 78 ans, il vit à Mont-Tremblant avec sa femme depuis 25 ans. «Ici, c’est notre communauté. On veut laisser notre empreinte en lui donnant les meilleures installations en santé afin que la population reçoive des soins et des services dignes du 21e siècle», ajoute l’entrepreneur qui a convaincu la municipalité d’embarquer dans le projet.Le maire de Mont-Tremblant n’a pas été difficile à convaincre. «C’est un projet rassembleur et c’est un beau partenariat qui répond à un besoin», observe Luc Brisebois qui dirige la municipalité depuis 12 ans. L’édile mentionne que le tiers des habitants de la MRC n’ont pas de médecin de famille et que les deux urgences des Laurentides — aux hôpitaux de Rivière-Rouge et Saint-Agathe — sont débordées. «Si on n’avait rien fait, il ne se serait rien passé. Pour avoir des soins plus rapidement, on a trouvé des solutions sans attendre que le gouvernement les trouve à notre place», indique l’élu qui signale que l’équipe municipale a «travaillé fort pour faire aboutir le projet».En plus des multiples démarches administratives auprès de Québec, la municipalité a joué un rôle de facilitateur en accélérant le changement de zonage du terrain. Elle s’est aussi engagée à construire les infrastructures d’égout et d’aqueduc sur le site, un lien piétonnier avec le centre-ville ainsi qu’une piste cyclable et un arrêt pour le transport en commun. Des travaux évalués à quatre millions de dollars. «L’investissement sera remboursé par les taxes. On sera gagnant et la population aussi», signale Luc Brisebois en ajoutant que le Campus va favoriser le développement économique de la région. «Quand des gens veulent s’installer quelque part, ils regardent deux choses, la santé et l’éducation», souligne-t-il.Un service public géré par le privéDirecteur général du Campus Santé Mont-Tremblant, Normand Laberge est un nom connu dans le domaine de la santé. Il a autrefois été le directeur général du CMS Chirurgie DIX30, sur la Rive-Sud de Montréal, et de l’Association médicale du Québec. Il considère que le Campus est un projet «ambitieux» et «spécial» dans le sens où il repose sur un «partenariat public-privé entre une ville et un entrepreneur philanthrope. Le concept, c’est d’avoir un centre intégré de tous les éléments de la santé, où le service public est géré par le secteur privé. Ce n’est pas un projet à but lucratif», insiste-t-il en ajoutant que les patients n’auront rien à payer. «Ils n’auront qu’à présenter leur carte RAMQ.»En regroupant sur un même site un CLSC, un GMF, une pharmacie qui n’aura qu’un comptoir pour les médicaments, un centre d’imagerie, un CMS, Normand Laberge est convaincu que cette proximité va améliorer la qualité des soins et l’efficacité des services rendus à la population, tout en favorisant l’interdisciplinarité.«Les dossiers patients seront partagés entre les médecins et la pharmacie. Ça va simplifier les démarches. Idem avec la radiologie, on va gagner du temps. On va également décharger les médecins. La pharmacie sera équipée d’espaces de consultation où les infirmières pourront faire des suivis médicamenteux ou de maladies chroniques. Elles pourront aussi faire des évaluations pour orienter les patients vers le bon professionnel. S’il a un mal de dos, elle pourra par exemple l’orienter vers le physiothérapeute. Si son problème est plus complexe, elle l’adressera aux médecins», égrène le directeur général qui prévoit qu’à terme une cinquantaine d’omnipraticiens et de médecins spécialistes collaboreront au Campus. «On aura en tout plus d’une centaine de professionnels de la santé.»Lire aussi: Coopératives de santé: quand les citoyens créent leur première ligne«La seule façon d’améliorer l’efficience des soins»Le Dr Simon-Pierre Landry, qui a fondé la Clinique médicale du Mont-Tremblant en 2017, a prévu d’y déménager les activités de son GMF. Jadis président du Regroupement des omnipraticiens pour une médecine engagée (ROME), il indique que ses valeurs n’ont pas changé. «Je suis toujours pour le régime public, pour l’universalité des soins et je refuse qu’on fasse du profit avec la santé des gens.» En revanche, après ses expériences de médecin-conseil au ministère de la Santé, de chef de département à l’urgence de l’hôpital de Sainte-Agathe et après avoir créé deux GMF, le médecin de famille dit s’être fait une idée de ce qui fonctionne ou pas. «J’en suis arrivé à la conclusion que la seule façon d’améliorer l’efficience des soins et d’optimiser les ressources, c’est d’avoir une gestion privée dans un système de santé publique.»Quand Giuseppe Racanelli l’a approché, «c’est comme si les astres s’étaient alignés», observe le Dr Landry. «On réfléchissait à déménager, car nos locaux sont vétustes et comme on a pas mal grossi, on y est à l’étroit. D’ici 2026, on va pouvoir aller dans un espace plus grand et plus moderne qui va nous permettre de recruter et d’attirer la relève. L’idée est de créer une polyclinique avec d’un côté le CLSC et de l’autre notre GMF», indique le médecin de famille qui songe aussi à y intégrer une clinique d’urgence pour desservir les Hautes-Laurentides. «On ne va pas remplacer l’hôpital de Rivière-Rouge, mais les urgences y vont mal, alors on a beaucoup de besoins insatisfaits à Mont-Tremblant.»Première pelletée de terreEn attendant, les travaux du futur CLSC ont officiellement commencé la semaine dernière. Ils sont effectués par le Groupe LBP Immobilier, qui sera propriétaire des locaux et les louera ensuite au CISSS des Laurentides. D’ici septembre 2025, l’établissement devrait ainsi pouvoir y regrouper ses deux points de service actuellement situés à Mont-Tremblant où travaillent 97 employés, excluant les médecins. Sur place, les usagers retrouveront le centre de prélèvements et de vaccination, les services de périnatalité, de soins à domicile et de soutien psychosocial, le centre de jour pour les aînés et la clinique externe de réadaptation.Lire aussi: Quand la pénurie de médecins fait émerger des solutions innovantes au Bas-Saint-LaurentDu côté du CISSS des Laurentides, on voit d’un bon œil le projet du Campus Santé. «Au cours des prochaines années, les besoins de santé et de services sociaux de la population seront en augmentation en raison de (sa) croissance et (de son) vieillissement», écrit la direction des communications de l’établissement dans un courriel transmis à Profession Santé. «Dans ce contexte, tous les partenariats sont les bienvenus pour s’assurer de bien répondre aux besoins. (…) C’est en travaillant tous ensemble que nous réussirons à soutenir et soigner adéquatement toutes les personnes de notre région.»Sollicité pour obtenir son opinion au sujet du partenariat public-privé à l’origine du Campus Santé, le cabinet du ministre Christian Dubé a répondu par écrit que «notre vision du privé en santé est claire: qu’il soit complémentaire au réseau public, dans le respect de l’universalité et de la gratuité des soins. C’est d’ailleurs ce qui est déjà fait avec les GMF construits par le privé, mais opérés par le public. Notre objectif est d’améliorer l’accès tout en renforçant le réseau public dans l’ensemble des régions, pour les patients québécois et pour le personnel qui y travaille.»Les travaux de la future polyclinique du Campus devraient quant à eux débuter dans les prochains mois. Giuseppe Racanelli en est le maître d’œuvre et il sera propriétaire de l’édifice de 40 000 pi2 qui comptera quatre étages où se répartiront le GMF du Dr Landry, le centre d’imagerie, la pharmacie et le CMS. «On est en train de faire les dernières esquisses avec les médecins, les architectes et les ingénieurs», indique l’homme d’affaires qui se languit de voir le bâtiment sortir de terre.

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