Quand le PAMQ doit soigner le système autant que les médecins

Un médecin sur vingt a décroché le téléphone pour appeler le Programme d’aide aux médecins du Québec (PAMQ) en 2024-2025. Au total, 2254 cliniciens, résidents et étudiants ont sollicité le programme au cours de cette période, dont 2069 pour un accompagnement individuel. À cela s’ajoutent 106 demandes émanant de collègues ou de gestionnaires préoccupés par un pair, ainsi que 79 personnes rencontrées lors d’interventions en milieu de travail.Année après année, le PAMQ demeure très sollicité. La proportion de médecins et de résidents ayant fait appel au programme atteint 5,2%, contre 4,3% en 2023-2024. Si cette remontée reflète en partie une santé mentale fragilisée de la profession, la Dre Claude Johnson, codirectrice médicale du programme, refuse d’y voir un indicateur univoque: «Les médecins nous appellent en plus grand nombre. Pourquoi, on ne peut pas l’expliquer vraiment. Ce que nous constatons surtout, c’est qu’ils nous font confiance et qu’ils savent que nous pouvons répondre à leurs besoins.» La hausse observée pourrait aussi traduire une meilleure connaissance du PAMQ de même qu’un recul progressif des tabous entourant le fait, pour un médecin, de demander du soutien. Les appels adressés au PAMQ ne portent plus seulement sur un épisode d’épuisement passager. «On observe un grand désarroi, une perte de sens», rapporte la Dre Johnson. Certains envisagent même de «quitter la profession ou de partir exercer dans une autre province», signe d’un malaise plus profond.À cette intensité s’ajoute la complexité croissante des situations. Lorsqu’un médecin contacte le programme, «il y a souvent plusieurs sphères de sa vie qui sont atteintes» - surcharge professionnelle, difficultés familiales, tensions relationnelles, conflits au sein de l’équipe. «Auparavant, il pouvait y avoir une ou deux sphères à travailler. Aujourd’hui, on se retrouve parfois avec trois ou quatre», souligne la médecin-conseil, fidèle au poste depuis près de 20 ans.Ce cumul d’atteintes rend la récupération plus longue. Les équipes du PAMQ doivent avancer «par étapes», en s’attaquant progressivement à l’ensemble des facteurs en cause. Cela explique pourquoi de plus en plus de dossiers sont reportés d’une année à l’autre. Les appels sont aussi chargés d’émotions. «Les gens trouvent ça extrêmement difficile. Ils expriment beaucoup de tristesse, beaucoup d’inquiétudes.»L’indignation est palpable, mais elle s’exprime autrement. «Sur les réseaux sociaux ou dans les médias, les médecins partagent surtout leur colère. Chez nous, c’est davantage la détresse et l’inquiétude qui se manifestent», résume la Dre Johnson.À lire aussi: «J’ai décroché. Et je ne suis pas le seul.»Un surcroît d’appels après la Loi 2Les données du rapport s’arrêtent au 31 mai 2025. Mais, dès les premières secousses législatives du printemps, la tension a grimpé d’un cran. Après le projet de loi 106, le PAMQ a constaté une hausse nette des appels. Puis, dans la semaine qui a suivi l’adoption de la loi 2, «les demandes ont triplé».Et l’élan ne concerne pas que les démarches individuelles. «On a beaucoup plus de demandes de gestionnaires qui veulent soutenir leur équipe», constate la Dre Johnson. Elle mentionne aussi des requêtes pour animer des activités de soutien par les pairs, et même pour être présents lors de colloques, de congrès ou de rassemblements de médecins.Les émotions exprimées par les cliniciens ont également changé de registre. Ce n’est plus seulement la surcharge ou l’épuisement. «Les gens nous disent qu’ils ne se retrouvent plus dans leur travail, ni dans la manière dont il est perçu.» Certains évoquent un «manque de reconnaissance», un regard social perçu comme injuste, voire méprisant.Ce sentiment atteint le cœur de la vocation professionnelle. «Ça vient les heurter dans leur intégrité. Ça fait perdre le sens du travail.» Et derrière cette remise en question se glisse désormais une peur bien concrète. «Beaucoup ont de l’insécurité sur comment ils vont pouvoir exercer leur travail. Ils se demandent ce qui va arriver aux patients. Et ils observent des collègues qui partent…» Ce climat anxiogène alimente la fragilité actuelle de toute la profession.À lire aussi: Loi 2: le PAMQ est «inondé» d’appelsDu burn-out aux tensions dans les milieux de soinsL’épuisement professionnel demeure le motif principal des appels. Mais les causes ont changé de nature. «Les médecins sont des humains. Ils peuvent souffrir d’épuisement. Ils ne sont pas des machines», rappelle la Dre Johnson. Le PAMQ voit de plus en plus surgir des stresseurs organisationnels: conflits d’équipe, intimidation, harcèlement, violence de patients. Des tensions alimentées par les réorganisations et la pression croissante dans les milieux. «Un médecin qui semble poser problème peut être le symptôme d’un problème dans le milieu, manque de ressources ou climat de travail difficile par exemple», souligne la médecin-conseil.Dans ces situations, le risque n’est pas seulement l’épuisement. C’est la fragilisation de l’identité professionnelle. «Quand les repères se brouillent, tout ce qui donnait du sens au travail peut vaciller.»Face à une détresse qui prend racine dans l’organisation du travail, le soutien individuel ne suffit plus. «La résilience individuelle, ça ne peut pas régler tous les problèmes», insiste la Dre Johnson. Les interventions doivent aussi viser le milieu dans lequel les médecins exercent.Le PAMQ accompagne désormais les équipes dans leur fonctionnement quotidien. Clarification des responsabilités, gestion des tensions, prévention du désengagement, «les gestionnaires veulent faire les choses correctement et d’une manière bienveillante», observe-t-elle. L’objectif est de protéger la cohésion et d’éviter que les difficultés s’installent.Pour la Dre Johnson, l’enjeu est clair. «Si on n’agit pas au niveau systémique, on n’arrivera pas à des résultats.» Influer sur la culture de travail et soutenir les interactions professionnelles devient essentiel… y compris pour préserver la qualité et la sécurité des soins.À lire aussi: Retrouver le sens en médecine: quand les «moments sacrés» protègent du burn-outUn réseau d’entraide qui se structure sur le terrainCe virage vers l’organisation se traduit déjà dans les milieux. Les demandes visant à soutenir un collègue en difficulté ont atteint 106 en 2024-2025, un sommet. La solidarité change de visage. «On est plus sensibles à la détresse de nos collègues. On veut bien faire», observe la Dre Johnson.Pour agir plus tôt, le PAMQ déploie un réseau de médecins sentinelles. Il s’agit de pairs présents dans les équipes, formés à repérer les signaux d’alarme et à offrir un premier soutien. «Pendant la pandémie, des sentinelles avaient été mises en place pour d’autres employés, mais pas pour les médecins. On comble maintenant ce manque», indique la codirectrice médicale du programme. La demande pour ces formations augmente et de nouvelles sentinelles rejoignent le réseau.Ce maillage précoce vise à éviter que les difficultés s’installent. Il s’inscrit dans une approche plus large qui consiste à renforcer l’entraide, à prévenir le désengagement et à préserver la capacité des équipes à travailler ensemble… pour le bien-être des médecins comme pour celui de leurs patients.Depuis 35 ans, le PAMQ accompagne les médecins du Québec. Modèle pionnier de soutien par les pairs, il reste aujourd’hui une porte d’entrée précieuse, à un moment où la profession traverse de fortes turbulences. L’adoption récente d’un cadre de référence en éthique permet d’ailleurs de «mobiliser rapidement nos ressources et d’agir sans perdre de temps», souligne la Dre Johnson.Pour elle, l’essentiel tient en une phrase. «Les médecins aussi ont besoin d’écoute et de soutien. Et nous sommes là pour eux.» La campagne de financement actuelle du PAMQ le rappelle simplement: «Comment ça va?»Vous avez besoin d'aide? L'équipe des médecins-conseils du PAMQ est joignable au 1 800 387-4166 ou au 514 397-0888.

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