Prorogation du Parlement: quel avenir pour la réforme des gains en capital?

Il faut que tout change pour que rien ne change. Dans le sillage de sa démission du poste de premier ministre du Canada et de chef du Parti libéral annoncée le lundi 6 janvier, Justin Trudeau a déclaré la prorogation du Parlement jusqu’au 24 mars afin de laisser le temps à son parti de désigner son ou sa successeur(e). Cette prorogation met ainsi un terme à tous les projets de loi qui se trouvaient encore dans le processus législatif, y compris une série de changements fiscaux que le dernier budget de son gouvernement proposait d’apporter. Parmi eux, l’augmentation du taux d’inclusion des gains en capital. Selon les règles actuelles, seuls 50% des gains en capital sont inclus dans le revenu imposable – c'est ce que l'on appelle le taux d'inclusion (TIGC). Les modifications fiscales proposées auraient porté le taux d'inclusion des sociétés à 66,67%. Pour les particuliers, le taux d'inclusion plus élevé se serait appliqué aux revenus de plus-values supérieurs à 250 000 dollars. Selon l’ancienne ministre des Finances du Canada, Chrystia Freeland, cette mesure, qui aurait dû toucher environ 40 000 personnes et 307 000 sociétés, devait générer 19,4 milliards de dollars sur cinq ans destinés à financer la construction de 4 millions de logements.La proposition fiscale avait été largement décriée par les groupes de médecins, comme l'Association médicale canadienne, arguant qu’elle nuirait au recrutement et à la fidélisation des médecins – puisque plus de la moitié des médecins au Canada sont constitués en société. À lire aussi: Gains en capital: l'AMC demande au gouvernement de reconsidérer les changements«C’est un sujet de préoccupation et d’inquiétude pour les médecins qui n’ont pas de fonds de pension et qui ne peuvent compter que sur leurs investissements et placements pour leur retraite. La très certaine hausse du taux d’inclusion peut devenir un obstacle pour leur accumulation d’épargne», observait début juin Sébastien Chevrier, conseiller principal en gestion de patrimoine chez Physicians Wealth Advisory, un cabinet de conseil financier basé à Toronto dont la clientèle est composée principalement de cliniciens, auprès de Profession Santé.Le projet du gouvernement libéral avait également soulevé un vent de panique chez les pharmaciens propriétaires concernés, comme nous le racontait alors Me Stéphane Martin, avocat associé chez Pharma Légal: «on a commencé à avoir des transactions à l’interne, des pharmaciens qui veulent vendre leur pharmacie à leur employé au mois de juin au lieu de septembre… Il faut bousculer beaucoup de personnes, comme les banquiers et les franchiseurs, et essayer de passer rapidement les processus de sélection et d’entrevues chez les bannières, qui veulent savoir avec qui elles vont s’affilier.»Le statut quo... pour l'instantToutefois, le ministère des Finances du Canada confirme à nos confrères du Devoir que «l’Agence du revenu du Canada administre les changements au taux d’inclusion des gains en capital entré en vigueur le 25 juin 2024.» Les formulaires de déclaration seront rendus disponibles à partir du 31 janvier. L’ARC respecte ainsi les changements énoncés dans l’avis de motion de voies et moyens déposé le 23 septembre 2024, même s’ils n’ont pas encore reçu l’approbation du Parlement. En effet, selon le ministère des Finances, «la convention parlementaire stipule que les propositions fiscales sont effectives dès que le gouvernement dépose un avis de motion de voies et moyens ; cette approche assure la cohérence et l’équité dans le traitement de tous les contribuables.»À lire aussi: Gain en capital: quelles conséquences pour les pharmaciens propriétaires?Cette application aura donc cours jusqu'à la reprise en fonction du Parlement le 24 mars prochain. À cette date, «si aucun projet de loi n’est adopté à la Chambre des communes, et si le gouvernement indique son intention de ne pas poursuivre la mesure proposée, l’Agence cesserait de l’administrer», indique le ministère au Devoir.Si cela se produit, les médecins ou les pharmaciens propriétaires ayant payé plus d’impôt sur les plus-values peuvent redéposer leur déclaration d'impôts pour obtenir un remboursement, assure le Dr Mark Soth, intensiviste universitaire basé à Hamilton (Ontario) et rédacteur du blogue Loonie Doctor sur les finances des médecins, au Medical Post. «Nous avons tous dû fonctionner comme si la loi était entrée en vigueur. S'il s'avère qu'elle est enterrée et que vous avez effectivement réalisé des plus-values au cours de l'année écoulée qui ont été soumises au taux d'inclusion le plus élevé, votre comptable peut modifier votre déclaration d'impôts afin de réduire l'impôt sur les sociétés et d'augmenter le montant de votre compte de dividendes en capital.»«Nous ne pouvons rien faire d'autre que d'attendre en retenant notre souffle et en espérant que la loi ne sera pas adoptée», conclut le médecin. La menace d'un nouveau vote de confiance et de prochaines électionsLorsque le Parlement reprendra ses travaux en mars, le gouvernement pourrait donc réaffirmer le projet de loi, mais il n'est pas certain qu'il soit en mesure de l'adopter avant un vote de confiance qui pourrait renverser le gouvernement. «Si [les libéraux] tirent les premiers, ce qu’ils feront probablement selon moi, ils pourraient [réintroduire ce projet de loi] avec le soutien du NPD, puisqu'il s'agit d'une augmentation d'impôts. Mais il faudrait qu'ils aient un projet de loi, qu'ils le déposent et qu'il soit soumis à un vote», observe le Dr Mark Soth. Le chef du NPD, Jagmeet Singh, s'est toutefois engagé à renverser le gouvernement par un vote de censure à la première occasion, rendant plus probable la chute du gouvernement sans que le projet de loi ne soit adopté. Ceci pourrait survenir dès le retour au Parlement, puisque le ou la nouvelle première ministre libérale devra se confronter au vote de confiance de la Chambre des communes, et au vote du budget. «Ces votes cruciaux multiplient les possibilités de se retrouver en élection quelques jours après le retour au Parlement», explique Patrick Taillon, professeur de droit constitutionnel à l’Université Laval, à nos confrères de Radio-Canada.À lire aussi: Augmenter l'impôt sur le gain en capital nuirait à l’investissement, selon l’IEDMDes élections qui pourraient voir le parti conservateur accéder au pouvoir, et enterrer définitivement le texte. Après un long silence de plusieurs semaines et malgré l’approbation de tous les autres partis, le chef de l’opposition s’était officiellement prononcé contre cette réforme lors d’une prise de parole à la Chambre des communes. Selon Pierre Poilièvre, cette «taxe Trudeau» allait «augmenter le coût de la nourriture», «rendre les médecins moins disponibles» et «rendre les chèques de paie plus petits», s’engageant par ailleurs à former un groupe de travail pour réformer le système d’imposition, simplifier les règles fiscales et réduire les subventions aux entreprises dans les 60 premiers jours suivant son accession au poste de premier ministre.

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