Placébos en première ligne: pratique marginale, enjeu sérieux

Dans le quotidien des médecins de famille, certaines consultations se résument moins à un problème médical qu’à la gestion des attentes pressantes d’un patient, comme celui qui demande un antibiotique contre une infection virale banale. Refuser frontalement peut tendre la relation de confiance. Céder peut aller à l’encontre des données probantes. Entre les deux, certains glissent parfois vers ce que la littérature appelle un «traitement essentiellement placébo»; une ordonnance dont l’effet attendu n’est pas pharmacologique, mais psychologique ou relationnel.C’est ce phénomène qu’a voulu mesurer une vaste enquête publiée en septembre dans le JAMA Network Open. Réalisée auprès de 952 omnipraticiens répartis dans 21 pays, elle révèle que 84% d’entre eux ont déjà prescrit au moins une fois un tel traitement. La médiane? Une fois toutes les deux semaines, soit environ 0,7% de toutes les consultations. «Même si ces prescriptions ne concernent qu’une minorité de consultations, elles surviennent néanmoins régulièrement pour la plupart des médecins de famille», résument les auteurs.À lire aussi: Syndrome du côlon irritable: un fort effet «nocebo» concernant le glutenPour clarifier un terrain conceptuellement mouvant, les chercheurs ont retenu une définition simple. «Nous considérons un traitement comme essentiellement placébo lorsque, selon votre estimation, tout effet positif attendu sur les symptômes du patient n’est pas causé par les composantes pharmacologiques ou biologiques du traitement.» Dans les réponses, il s’agissait le plus souvent de vitamines, de suppléments ou de médecines alternatives; plus rarement d’antibiotiques ou de benzodiazépines.Résultats contrastésL’étude montre une variabilité selon les pays: de 0,1% des consultations au Royaume-Uni à 2,5% en France. Les différences liées aux caractéristiques des médecins apparaissent modestes, mais statistiquement significatives: les hommes, les plus expérimentés et ceux qui travaillent moins d’heures par semaine déclarent prescrire un peu plus souvent ce type de traitement. Les auteurs soulignent toutefois que chaque prescription reste rare: environ une sur 150 consultations.Pour Pekka Louhiala, philosophe et médecin finlandais invité à commenter ces résultats, l’essentiel n’est pas de multiplier les études de prévalence. «D’autres recherches sur la fréquence de ces prescriptions sont inutiles», tranche-t-il. En revanche, il accueille «favorablement la recommandation des auteurs selon laquelle les recherches futures devraient explorer de façon plus précise le processus décisionnel et les résultats cliniques de ces prescriptions». En d’autres termes: ce qui compte désormais, c’est de comprendre pourquoi les médecins cèdent parfois à ce geste, et quel impact cela a sur la confiance des patients.Au Québec, le cadre déontologique est clair. Le guide Le médecin et le consentement aux soins du Collège des médecins rappelle que «le consentement doit être libre, éclairé et donné pour un soin spécifique». Le Code de déontologie de la profession interdit toute tromperie ou soin non requis sans consentement explicite. En pratique, une prescription essentiellement placébo non divulguée s’écarte donc de ces principes et expose le médecin à des risques déontologiques, mais surtout relationnels.Pour aller plus loin: Mal de dos: 9 traitements sur 10 ne présenteraient aucun intérêtC’est là que l’exemple de l’antibiotique inutile pour une infection virale trouve sa pertinence. Prescrire pour calmer l’insistance d’un patient peut sembler un compromis pragmatique. Mais que se passe-t-il si ce dernier découvre que le traitement n’avait pas de justification médicale? «Du point de vue du patient, une chance sur 150 de recevoir un traitement essentiellement placébo peut susciter des inquiétudes», souligne l’étude publiée dans le JAMA. Le danger est encore plus grand avec des patients déjà fragiles ou «difficiles», pour qui ces prescriptions «destinées à réduire le conflit ou à rassurer, peuvent au contraire aggraver une relation thérapeutique déjà fragile».Alternatives crédiblesPlutôt que de recourir à un placébo implicite, Choisir avec soin Québec propose des stratégies pour soutenir le dialogue. Son site web fournit des outils concrets de décision partagée et des gabarits de prescription non pharmacologique, par exemple pour l’insomnie ou la lombalgie aiguë. Leur philosophie se résume ainsi: dans bien des cas, la meilleure ordonnance est de ne pas en émettre, mais d’investir dans l’éducation, le suivi et des interventions non médicamenteuses. Une approche qui répond aux attentes du patient tout en respectant l’éthique professionnelle.L’étude publiée par le JAMA et le commentaire de Louhiala rappellent une réalité paradoxale: ces prescriptions sont rares à l’échelle individuelle, mais fréquentes à l’échelle populationnelle. Elles révèlent la tension entre le désir de préserver la relation thérapeutique et l’obligation de fonder nos gestes sur l’évidence et la transparence. Comme le souligne Louhiala, «il est crucial d’examiner l’impact de ces prescriptions sur la relation médecin-patient et, plus largement, sur la confiance envers le système de santé ».

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