Modernisation des ordres professionnels: la concorde est de mise

«Les travaux suivent leurs cours.» C’est, en substance, le message de la ministre responsable de l'Administration gouvernementale et présidente du Conseil du trésor, Sonia LeBel, lorsqu’on l'interroge sur l’avancement de ce vaste chantier.Les grèves dans le secteur de la santé et les actuelles négociations des conventions collectives avec la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ) l’auraient pourtant presque fait oublier. Mais il n’en est rien. Un chantier conséquent donc, lancé en mai 2023 à l’occasion des 50 ans du Code des professions, qui encadre les 46 ordres du Québec – pour un total de 55 professions et plus de 422 000 professionnels. Le système doit être dépoussiéré d’urgence selon le cabinet de Sonia LeBel, contacté par Profession Santé: «Il faut le rendre plus agile et plus moderne si l'on veut que les ordres remplissent leur mission principale de protection du public.» À lire aussi: À l’aube d’une transformation majeureUn avis partagé par le principal mandataire de cette mission, l’Office des professions. «Je salue le courage de la ministre et du gouvernement d’entreprendre un chantier aussi important, car cela répond à un besoin, estime Jacques Nadeau, conseiller stratégique à la présidente. Les citoyens québécois ont une confiance totale envers leurs professionnels de santé, mais pas dans les ordres, à cause d’une méconnaissance du système professionnel. Il s’agit de revitaliser la conversation entre les ordres et la population.»Plus de 1000 pages de propositions émanant des ordresÀ l’automne 2023, soit six mois après l’annonce de cette refonte et des trois volets d’action retenus pour y parvenir (allègement réglementaire, modernisation du Code des professions, élargissement des professions), l’Office des professions a mené les premières consultations et a constaté un engouement inattendu. «Nous avons rencontré toute une série d’acteurs, principalement les ordres, auxquels nous avions préalablement soumis une liste de questions autour de quatre thèmes: la protection du public, l’allègement réglementaire, le pouvoir de l’Office et les fondements et structures du système professionnel. Nous avons reçu plus de 1000 pages de propositions!» se félicite Jacques Nadeau.Cet engouement, Jean-François Desgagné, président de l’Ordre des pharmaciens du Québec (OPQ) le partage volontiers: «Nous constatons une grande appétence pour ce processus de modernisation. C'est en effet un grand privilège de pouvoir s’autoréguler. Dans le même temps, nous n’avons pas l’impression que les décisions soient prises dans une tour d’ivoire, avec un gouvernement qui arriverait avec un beau livre blanc tout prêt sous le bras. Les ordres sont consultés, notre parole est écoutée.»Le président de l’OPQ annonce d’ailleurs que son ordre sera en première ligne dans les travaux sur l’indépendance professionnelle et la simplification des processus réglementaires: «C’est une occasion unique, historique, de redéfinir des choses aussi banales que la protection du public. Qu’est-ce que ça signifie, qu’est-ce que ça voudra dire dans 30 ans?» Sur ces questions, les ordres québécois peuvent se référer à des précédents, puisque des modifications similaires ont déjà eu lieu en Saskatchewan et en Colombie-Britannique. Les pouvoirs de l'Office des professions étendusAssistera-t-on à des fusions, ou à la création de nouveaux ordres comme celui des ambulanciers préconisé par le ministre de la Santé Christian Dubé? La question reste ouverte, répond-on en demi-teinte au cabinet de Sonia LeBel: «L’Office des professions devra déterminer si l’encadrement [de certaines professions] au sein du système professionnel est nécessaire pour assurer la protection du public. Le gouvernement souhaite maximiser la contribution [de certaines professions] afin d’améliorer l’accès à la première ligne pour la population. L’Office se prononcera aussi sur la meilleure voie d’encadrement, le cas échéant.» Jean-François Desgagné dit toutefois veiller à ce que «les petits ordres, avec de grandes responsabilités et peu de moyens, puissent réaliser leur mission de protection du public». À lire aussi: Ordres professionnels: la consultation laisse entrevoir une transformation radicaleDe son côté, l’Office des professions pourrait voir ses pouvoirs étendus. Le cabinet de Sonia LeBel explique en effet que la refonte du Code des professions pour une meilleure protection du public nécessitera «de donner à l’Office des professions les pouvoirs nécessaires pour qu’il puisse assurer pleinement son rôle de protecteur de la confiance du public envers le système professionnel». Si le principal intéressé choisit d’éluder la question pour l’instant, le président de l’OPQ, lui, ne s’en inquiète pas outre mesure: «Si on donne aux ordres une souplesse dans leur gestion réglementaire, on va demander à l’Office une vigie plus serrée sur ce travail, c’est normal.»Une rampe de lancement pour le Plan SantéEt parce que la ministre LeBel ne souhaite pas laisser ce chantier à son ou sa successeur, les prochaines étapes devraient se faire au pas de course. L’Office des professions annonce d’autres consultations à venir courant 2024, avec une priorité sur les sujets faisant consensus. «On aura ensuite le temps de s’attaquer aux sujets qui réclament plus d’attention, de discussions», explique Jean-François Desgagné.Sera-ce le cas du volet sur l’élargissement des professions, qui doit permettre de déployer le vaste (et contesté) Plan Santé du ministre Dubé? «Nous avons de beaux exemples de réussite en élargissement des professions, comme l’ajout d’activités réservées aux pharmaciens ainsi qu’aux infirmières praticiennes spécialisées», indique le cabinet de Sonia LeBel, qui ajoute vouloir aller plus loin.À lire aussi: Un nouveau directeur principal des enquêtes à l’OPQ«Certains amalgames pourront être faits, regrette d’ores et déjà le président de l’OPQ. Mais quand on fait des modifications réglementaires, tout s’imbrique. C’est très bien si ce renouvellement peut accélérer la mise en place du Plan santé.» La gestion de la discipline pourrait être aussi un gros dossier: «On pourrait établir un principe de conciliation comme c’est le cas en France par exemple. Aujourd’hui, un grand nombre de demandes d’enquêtes concernent des reproches de patients vis-à-vis d’un pharmacien qui n’a pas posé un acte.» Il faut donc une meilleure communication avec le public, assurent en chœur Jean-François Desgagné et la présidente du Conseil du Trésor: «La confiance doit être renforcée entre la population et les différents ordres, leur crédibilité s'appuyant notamment sur la perception qu'en a le public. [...] Cette perception peut en partie découler de l’expérience du public lors de recours en discipline professionnelle.»

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