Médicaments de spécialité: l’AQPP dépose une action collective contre certains de ses membres

C’est une première: l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires (AQPP) a déposé ce matin auprès de la Cour supérieure une demande d’action collective contre dix de ses membres, propriétaires de six pharmacies, ainsi que trois gestionnaires de programmes de soutien aux patients (PSP) et trois réseaux de cliniques de perfusion, pour pratiques anticoncurrentielles. Cette démarche vise notamment à obtenir des réparations pour les dommages financiers subis par les autres pharmaciens propriétaires québécois. En effet, les six pharmacies en question – dont les propriétaires ont presque tous déjà fait l'objet de radiations temporaires ou d'amendes par le conseil de discipline de l’Ordre des pharmaciens du Québec (OPQ) pour avoir obtenu des clients via des PSP – accapareraient à elles seules 40% du marché des médicaments de spécialité au Québec, soit près d’1,5 milliard de dollars. À lire aussi: Le nœud gordien des médicaments de spécialité«Relations privilégiées et préférentielles»«Malgré la pression de ces dernières années, les choses n’évoluent pas, et empirent même, regrette le président de l’AQPP, Benoit Morin, auprès de ProfessionSanté.ca. On veut dénoncer l’impact sur nos revenus, et aboutir à des résultats. Il faut que ça change avant que ça ne devienne dramatique.» Les données dévoilées par l’Association dans son communiqué parlent en effet d’elles-mêmes: alors que le chiffre d'affaires annuel moyen d'une pharmacie au Québec est de 7 M$, celui de certaines pharmacies dites de spécialité peut atteindre plus de 310 M$. Dans sa requête, l’AQPP dénonce ainsi des «ententes formelles ou informelles prévoyant des relations privilégiées et préférentielles» entre ces pharmaciens propriétaires et certaines cliniques de perfusion et gestionnaires de PSP. «Le modèle d’affaire que nous prônons en pharmacie communautaire est le contraire de celui proposé dans ces pharmacies dites de spécialité: c’est la prise en charge complète des patients», souligne Benoit Morin. Le marché est donc détourné, selon lui, au profit de ces quelques pharmacies. Certaines d’entre elles – devenues de simples centres de distribution, écrit l’AQPP –, contrôleraient même jusqu’à 90% du volume d'ordonnances de certains médicaments parmi les plus dispendieux.À lire aussi: Médicaments de spécialité: la non-conformité des programmes de soutien aux patients, c’est l’affaire de tous!Des patients dirigés vers des pharmacies «inconnues»Au-delà de cette concurrence déloyale et de l’accusation de «désorganisation du marché des médicaments de spécialité», Benoit Morin rappelle que, in fine, ces pratiques nuisent à la sécurité du patient et à son libre arbitre en matière de santé. «Qu’un patient soit dirigé par un tiers vers une pharmacie qu’il ne connaît pas est inacceptable, scandaleux, intolérable.» Ce dirigisme est contraire aux lois et règlements entourant la pratique de la pharmacie, ajoute-t-il. De plus, ces pharmacies ne remplissent pas leur rôle communautaire, fait-il valoir. «Elles font 0,1% des activités cliniques du réseau! Elles sont là pour le produit, pas pour le patient.» Cela se traduit donc par des dossiers patients incomplets et une continuité des soins impossible à tenir, dénonce-t-il. «Quand on essaie de récupérer les ordonnances, on se bute à du chantage fait au patient vulnérable.» Certains centres de perfusion iraient même jusqu’à empêcher certaines pharmacies communautaires d’accéder aux informations, en privilégiant les pharmacies partenaires. «On a essayé de sensibiliser les pharmaciens [concernés] à cet enjeu», reconnaît Benoit Morin. L’effort a semblé vain pour certains. Après avoir également envoyé plus de 40 dénonciations à la RAMQ en quatre ans, le président de l’AQPP dit avoir informé le ministre de la Santé et des Services sociaux de cet «écosystème opaque». Si Christian Dubé est sensible à la question, celle-ci ne semble pas prioritaire pour l’instant par rapport aux autres dossiers du ministre, notamment la mise en action de son plan pour le réseau de la santé. «Nous attendons que la loi santé soit resserrée et appliquée avec beaucoup plus de fermeté pour obtenir des résultats. L’esprit de la loi est clair, mais son application, moins.»À lire aussi: Des pharmaciens de spécialité se regroupent pour promouvoir leur pratique

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