Lundi au gym

Il y a quelques semaines, je m’entraînais au gym du Centre Cummings. J’ai un faible pour cet endroit, le «Golden Age», comme l’appelaient mes parents, ou «Mineh Cloob», comme disait ma Bubby, ma grand-mère.En entrant dans l’immeuble, j’aperçois la grande sculpture rouge vif créée par ma grande-tante, qui semble toujours danser bien qu'elle soit saupoudrée de neige printanière. Sur le tapis roulant, je domine la cour arrière de mon enfance, et je vois la résidence pour aînés où j’ai déjà été médecin attitrée. Le gym est adapté et accueille surtout des personnes ayant subi un AVC ou vivant avec d’autres handicaps. Je fais partie du petit nombre de gens sans limitation physique qui s’y entraînent. Cet environnement me ressemble beaucoup plus que les gyms clinquants et bondés d’athlètes où je pourrais aller.À consulter: À la ménopause, savez-vous que le risque cardiovasculaire augmente? L’activité physique peut aiderAprès ma séance – pendant laquelle mon entraîneur m’a fait souffrir avec amour –, je flânais à la boutique souvenir, cherchant des chaussettes originales pour mon mari et une carte pour la Bat-Mitsva de ma petite-fille. C’est alors qu’un appel a retenti dans les haut-parleurs: «Urgence médicale, cafétéria!» J’ai laissé mes achats sur le comptoir et j’ai filé vers la cafétéria, où un petit attroupement entourait un homme âgé.Je me suis présentée: «Je suis la Dre Feldman.» L’homme était d’une pâleur cireuse, il transpirait et se tenait la poitrine. Pas besoin d’être urgentologue pour comprendre ce qui se passait. Sa femme, à côté, se tordait les mains en répétant son nom. Une travailleuse sociale et la directrice du centre étaient déjà là, au téléphone avec le 911. «Oui, 5700, rue Westbury», disait-elle en me voyant arriver. Le Centre Cummings se trouve à trois pâtés de maisons de deux hôpitaux; l’ambulance ne devrait donc pas tarder.Je suis allée vers le patient, qui respirait avec difficulté, tandis que la directrice sortait un appareil pour prendre les signes vitaux. En quelques secondes, j’ai compris qu’il ne parlait que le russe, avec un français très rudimentaire. La travailleuse sociale m’a regardée: «Je vais chercher Natalya», a-t-elle dit avant de partir en courant.À ce moment-là, mon mari, Dave, m’a appelée. Il m’attendait dehors. Je lui ai expliqué que je ne pouvais pas partir tout de suite; il a accepté d’attendre l’arrivée de l’ambulance.À lire aussi: Une étude identifie 56 facteurs de risque pour la santé cardiaqueÀ l’aide du tensiomètre de la trousse d’urgence, j’ai constaté que le pouls du patient était à 50 battements par minute, sa tension artérielle très élevée et sa saturation en oxygène basse. «Avez-vous une pompe à nitro?» lui ai-je demandé. Il a sorti de sa poche un vieux vaporisateur étiqueté en russe. Je lui ai administré une dose, et sa couleur s’est améliorée au bout de quelques minutes. «Où est cette fichue ambulance?» ai-je pensé.J’ai levé les yeux et aperçu l’une de mes collègues, Judy, affublée d’un filet à cheveux, d’une casquette et d’un tablier. Elle faisait du bénévolat dans une entreprise sociale qui emploie des adultes neurodivergents pour préparer les repas de la cafétéria. «Salut, Jude!» ai-je lancé, surprise et soulagée. Je lui ai brièvement expliqué la situation; heureuse d’avoir une autre médecin à mes côtés.À consulter: Cinq facteurs de risque représentent 50% du fardeau des maladies cardiovasculairesNatalya, l’animatrice du cercle russe, est revenue pour nous servir d’interprète. Grâce à elle, nous avons appris que le patient était arrivé de Russie il y a deux ans. Il avait déjà fait un infarctus là-bas et possiblement reçu des stents. À la demande de Natalya, il a sorti de sa poche une liste de médicaments de sa pharmacie. Son teint est redevenu verdâtre. «Mais où est donc cette ambulance?!»Judy lui a soulevé les jambes. Nous nous sommes regardées, et je lui ai donné une autre dose de nitro. Soudain, Dave m’a rappelée: «Je viens de voir l’ambulance tourner du mauvais côté sur Westbury!» La travailleuse sociale a aussitôt repris le téléphone.En attendant, j’ai jeté un œil à la liste de médicaments, étrange à première vue: des gouttes pour le glaucome, rien d’autre de pertinent. À ma question, le patient a expliqué qu’il était suivi par un ophtalmologiste. Mais aucune trace de médicament cardiaque: ni bêtabloquant, ni inhibiteur calcique, ni antiplaquettaire, ni même de nitro. Il faisait renouveler ses ordonnances dans diverses cliniques sans rendez-vous: quelques suppléments vitaminiques, une statine (au moins) et une dose quotidienne d’oxazépam.«Et celui-ci, c’est pour quoi?» lui ai-je demandé en pointant la prescription. «C’est mon médicament pour le cœur,» m’a-t-il répondu.La travailleuse sociale répétait d'un ton ferme: «Pas 5400 Westbury, 5700!»À lire aussi: Cas prise de tête: quand une image surprenante vaut mille motsUne minute plus tard, Dave m’a rappelée pour me dire que l’ambulance était enfin arrivée. Les techniciens ont pris nos notes, ont installé l’homme sur la civière, nous ont remerciées et sont repartis.Judy et moi nous sommes prises dans les bras. La dame de la cafétéria m’a offert un muffin. Natalya s’est effondrée en larmes: «Je me souviens de mon père!» a-t-elle sangloté, et nous l’avons consolée.«Au moins,» ai-je pensé en le voyant partir, «il sera hospitalisé et ses médicaments seront revus. Tout cela aurait été tellement plus simple s’il avait un médecin de famille et accès à des traducteurs.»Soudain, la fatigue m’a rattrapée. J’ai ramassé mon sac de sport, suis rentrée chez moi et j’ai fait une sieste.Je ne sais pas dans quel hôpital il a été transporté ni ce qu’il est devenu, mais j’espère qu’il va bien.La Dre Perle Feldman est médecin de famille et pratiquait jusqu'ici à Montréal.Vous souhaitez vous aussi faire valoir votre point de vue sur un enjeu du système de santé? Apporter une réflexion vis-à-vis de votre profession?Envoyez-nous un texte d'opinion à titre de professionnel de la santé ou d'association en santé, afin qu'il soit relayé sur le site. Plus d'infos >

Lundi au gym

Pour accéder au contenu, connectez-vous ou créez un compte gratuit.

Catégories connexes