L’interdiction de la médecine privée obtient un faible soutien

C’est une fin de non-recevoir qui est implicitement adressée au Collège des médecins du Québec (CMQ). «Interdire complètement la pratique médicale privée au Québec» n’est perçu comme une mesure pertinente pour améliorer l’accès aux soins que par le quart de la population. Chez les médecins, cette proposition de leur ordre professionnel dans le cadre de l’étude du projet de loi 83 ne convainc que 23% d’entre eux, selon un sondage* de la firme SOM commandé par le CMQ dont Profession Santé publie en primeur les principaux résultats qui seront dévoilés ce lundi, sur l’heure du lunch, lors du webinaire sur la place du privé en santé organisé par le Collège.Présenté début décembre 2024 par le ministre de la Santé Christian Dubé, le projet de loi 83 vise à contraindre les nouveaux médecins à pratiquer cinq ans dans le réseau de la santé et des services sociaux (RSSS), sous couvert de lourdes pénalités financières. Dans son mémoire et par la voix de son président, le Dr Mauril Gaudreault, le Collège a affirmé que la pièce législative n’allait pas assez loin et que le gouvernement devrait tout bonnement abolir le statut de médecin non-participant à la Régie de l’assurance maladie du Québec.Si cette recommandation phare, destinée à endiguer l’exode des médecins vers le public, ne recueille l’assentiment que d’une minorité de Québécoises et Québécois, «c’est parce que les gens ne sont pas assez conscients des enjeux et des méfaits du privé en santé», estime le Dr Gaudreault. Il considère que ce débat est encore jeune et qu’«il y a de la pédagogie à faire» auprès de la population afin de «mieux sensibiliser à l’importance grandissante que prend le privé» ainsi qu’à ses conséquences. «La médecine à deux vitesses, on n’en est pas loin», signale le président du Collège en ajoutant que les chercheurs consultés par le CMQ sont unanimes: «Ils disent que le privé n’améliore pas l’accès aux soins et ne réduit pas les coûts de la santé. Cela, la population ne le sait pas.»Pour améliorer cet accès - qui s’est détérioré depuis 2022, montre par ailleurs le sondage SOM -, les répondants considèrent que «la participation accrue de professionnels de la santé autres que les médecins dans le réseau public» est l’avenue la plus pertinente (76%) entre toutes. Parmi les cliniciens, cette proposition arrive en troisième position (62%). Cette dynamique en faveur de l’interdisciplinarité, le Collège la soutient en collaborant avec les autres ordres professionnels de la santé pour que leurs membres puissent s’impliquer davantage, souligne le Dr Gaudreault. Il rappelle que pour qu’un chirurgien opère, il a besoin d’inhalothérapeutes et d’infirmières. «Si de plus en plus s’en vont au privé, il y en aura de moins en moins dans le réseau public. C’est un cercle vicieux. Je ne veux pas être alarmiste, mais une prise de conscience est nécessaire pour que cela change.»Dans le détail, la population se montre favorable aux mesures du projet de loi 83. «Obliger les nouveaux médecins à exercer au moins cinq ans au Québec avant de pouvoir exercer ailleurs» est jugé pertinent par 66% des personnes sondées, tandis que «obliger les nouveaux médecins à exercer au moins cinq ans dans le réseau public avant de travailler dans le secteur privé» l’est à 65%. Viennent ensuite le remboursement des frais payés au privé quand il s’agit de services couverts par le régime public (57%), puis «exiger des médecins exerçant au privé la même disponibilité que ceux du public», une proposition pertinente pour 55% des répondants.Chez les médecins, l’amélioration de l’accès aux soins passe en premier lieu par un assouplissement des exigences en lien avec les PREM, les plans régionaux d’effectifs médicaux (73%), de même que celles des AMP, les activités médicales particulières (63%). Arrivent après, à égalité: «exiger des médecins exerçant au privé la même disponibilité que ceux du public» et «harmoniser les honoraires perçus par les médecins exerçant au privé et dans le réseau public» (45%). «Limiter les possibilités pour un médecin d’alterner entre pratique dans le réseau public (et au) privé» est jugé pertinent par 35% des cliniciens sondés.Rôle social assuméCes cinq propositions ont été mises de l’avant par le CMQ dans le cadre de l’étude du projet de loi 83. Les trois dernières, qui tendent à encadrer la médecine privée, de même que celle qui vise à l’interdire carrément, ont provoqué un tollé chez les intéressés et les deux associations qui les représentent. Ils ont notamment reproché au Collège de sortir de son rôle, accusant son président de vouloir lancer une chasse aux sorcières et de faire de la politique.Lire aussi: Médecine privée: votre avis sur les recommandations du CollègeLe Dr Gaudreault assume ses prises de position. Il explique qu’elles procèdent de «la responsabilité sociale du Collège» et des autres ordres professionnels de la santé. «Il ne s’agit pas de se pencher uniquement sur la qualité de la pratique, mais aussi sur l’environnement général de la santé», déclare le président du CMQ, qui souhaite que celui-ci devienne «un acteur social qui se prononce sur les enjeux sociétaux de la santé». Et la place qu’y prend le privé en est un, selon lui.«Si (le gouvernement) ne va pas jusqu’à interdire la désaffiliation, on doit encadrer le privé et mieux l’organiser», insiste le Dr Gaudreault pour justifier l’harmonisation des honoraires du privé sur ceux du public, le frein aux allers-retours entre public et privé ou encore le raffermissement des conditions de pratique hors du RSSS pour que les praticiens soient disponibles pour leurs patients les soirs et les fins de semaine.Lire aussi: Médecine privée: haro sur le CMQ et son présidentLe recours au privé augmenteL’autre volet du sondage SOM montre que l’accès aux soins est de plus en plus difficile dans le réseau public, ce qui amène la population à consulter au privé. Plus de la moitié de la population (54%, contre 40% en 2022) ayant eu un souci de santé s’est ainsi privée de consulter un médecin au cours des 12 derniers mois. Près du tiers des sondés (29%) ne l’ont pas fait parce qu’ils n’ont pas pu obtenir de rendez-vous médical et 21% n’ont pas essayé d’en avoir un, car ils pensaient que ça prendrait trop de temps.Dans le même temps, un répondant sur quatre dit avoir plutôt consulté un médecin au privé. En 2022, 14% des gens interrogés ont indiqué qu’ils avaient choisi cette option. «On n’arrête pas de parler de l’accès aux soins. C’est le grand enjeu. [Ce sondage] vient démontrer que la situation est encore plus problématique qu’en 2022», commente de Dr Gaudreault. «Que la moitié (des sondés) n’aient pas pu consulter, ça me fait sursauter et que le quart ait eu besoin d’aller au privé, ça me préoccupe», ajoute-t-il en regrettant que le privé prenne une place toujours plus grande. «Je ne parle pas que des médecins, mais de tous les professionnels de la santé qui vont travailler au privé et ne sont plus disponibles pour le réseau public.»Tant les usagers du RSSS que les médecins se font une idée négative de l’accès aux services de santé. Les deux estiment qu’il est difficile d’obtenir une consultation médicale sans rendez-vous (respectivement à 81% et 82%) ou des soins de santé en urgence (62% et 40%). Prendre rendez-vous avec un médecin de famille semble compliqué pour 65% des sondés, ce chiffre montant à 82% chez les cliniciens. Plus de la moitié des gens (58%) et plus de deux tiers des médecins (70%) affirment enfin qu’il est difficile de savoir vers quelle ressource se tourner selon le problème de santé rencontré ou la situation médicale vécue.* Le sondage concernant la population a été réalisé en ligne, du 28 février au 10 mars 2025, auprès de 1031 adultes québécois (taux de réponse: 15%). Les données ont été pondérées pour s’assurer d’une bonne représentativité. La marge d’erreur maximale pour l’ensemble des répondants est de 3,6% (au niveau de confiance de 95%). Le sondage concernant les médecins a été réalisé en ligne, du 28 février au 10 mars 2025, auprès de 1 256 membres du Collège des médecins (taux de réponse: 4%). Les données ont été pondérées pour s’assurer d’une bonne représentativité. La marge d’erreur maximale pour l’ensemble des répondants est de 3,8% (au niveau de confiance de 95%).

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