Libre choix du patient en pharmacie: un sommet pour «recentrer le débat»

L’événement réunissait une centaine de professionnels tous secteurs confondus – pharmaciens, médecins spécialistes, industriels, patients partenaires, assureurs, avocats – en plein cœur de Montréal, ce jeudi 4 septembre.Au programme de ce premier sommet interdisciplinaire sur le parcours du patient en pharmacie, une présentation des enjeux actuels du secteur, plusieurs témoignages de patients partenaires, un panel sur le consentement du patient... «L’objectif est de ramener l’intérêt du patient au centre des discussions», a d’emblée annoncé la maîtresse de cérémonie, Mélanie Bourassa Forcier, experte en droit et politiques de la santé et conseillère stratégique externe chez Ryan Affaires publiques Communication, organisateur de l'événement. Un sujet pour le moins sensible a aussi été longuement abordé au cours de la matinée: le choix du patient en ce qui concerne son pharmacien.Parmi les instances représentées, l’Ordre des pharmaciens du Québec (OPQ) et l’Association professionnelle des pharmaciens salariés (APPSQ) par la voix de son président, Patrick Hemery. Plus discret, le Regroupement des pharmacies de médicaments de spécialité (RPMSQ) était l’un des commanditaires de l’événement aux côtés de Pharmascience, de Sandoz ou encore de Pfizer. «Le sujet nous a beaucoup interpellés», précise la présidente du RPMSQ, Brigitte Viel. «Le sujet du libre choix des patients en pharmacie est un sujet chaud, car la pratique évolue, donc l’offre de soins aussi.»«On n’impose pas une pharmacie à un patient, c’est le patient qui la choisit»Plus de 8 Québécois sur 10 veulent pouvoir choisir parmi différents types de pharmacies selon un sondage Léger commandé par le RPMSQ et cité par Me Paul Brunet, président du Conseil pour la protection des malades. Un souhait que soutient Patrick Hemery, président de l’APPSQ. «On n’impose pas une pharmacie à un patient, c’est le patient qui la choisit. Et tous les pharmaciens ne sont pas égaux», a-t-il affirmé. En effet, «avec 9000 médicaments disponibles au Canada et 2000 médicaments en vente libre, on ne peut pas être expert de tous les médicaments!», a-t-il ajouté, en mentionnant également certains domaines complexes de prise en charge, comme la fertilité, l’oncologie ou les maladies orphelines, pour lesquels seuls quelques pharmaciens sont formés à travers la province. À lire aussi: Médicaments de spécialité: l'AQPP lance une campagne de dénonciationD'où l'intérêt des cliniques de pharmacie et de la spécialisation des pharmaciens en milieu communautaire, ont plaidé plusieurs intervenants dont l'ancien président de l'OPQ Bertrand Bolduc. «Avec l'essor des médicaments de spécialité, les coûts vont exploser. Donc la sélection des patients sera d’autant plus importante, tout comme la spécialisation en pharmacie», a-t-il affirmé lors de sa conférence d'ouverture.Le choix du patient, un droit en théorie, un casse-tête en pratiqueMais entre le manque de ressources humaines et matérielles, la disparité dans l’application des nouvelles activités cliniques en pharmacie, les compétences cliniques des pharmaciens… L’obtention de soins prime souvent sur le choix du professionnel pour les patients. «Le choix des patients est a priori garanti par la loi, mais il dépend en réalité de la disponibilité des ressources, de la nature des services requis et des besoins des autres usagers», a résumé Me Paul Brunet.Et comment permettre aux patients de faire un choix, s'ils ne savent pas ce qu'ils doivent choisir? Pour Jean-Philippe Adam, chef-adjoint aux soins pharmaceutiques au Centre hospitalier de l'Université de Montréal (CHUM) et membre du conseil d’administration de l'OPQ – qui a d'ailleurs souligné parler en son nom propre et non en celui de l'Ordre –, si les patients connaissent encore si peu l’offre de soins en pharmacie, c'est notamment la faute à un code de déontologie encore trop contraignant sur la publicité – dont l’objectif premier de lutter contre la promotion des médicaments n’a pas suivi les évolutions de la profession –, mais aussi à l’absence de partage d’informations pharmaceutiques, notamment lors de la transition du patient d’un milieu de soins à un autre, ainsi qu'au manque d’uniformité des outils de communication. Avec, à la clef, un fonctionnement en silo délétère.Reste que le choix des patients concernant leurs professionnels de santé est bien plus accessible en pharmacie qu’en médecine de famille par exemple ont affirmé plusieurs intervenants comme Me Patrick Martin-Ménard, avocat au Cabinet Ménard Martin. «On parle de dirigisme en pharmacie, mais on oublie que les médecins de famille réfèrent, et donc dirigent, leurs patients vers des médecins spécialistes pas selon leur choix, mais selon leur situation géographique et leur disponibilité.»Enfin, contrairement au système public, qui repose sur la gestion relative des ressources avec l’objectif de soigner le plus grand nombre, le système de santé privé dans lequel s'inscrivent les pharmacies communautaires est selon lui davantage propice au respect du droit de choisir des patients, qui peuvent «réellement magasiner le professionnel qui va leur dispenser des services de santé», avec «une relation contractuelle et une dynamique de consommateur. Si les gens ne sont pas satisfaits, ils peuvent changer de professionnel».«Ne pas instrumentaliser» le droit des patients S’il est nécessaire, et souhaité par les patients eux-mêmes, cet objectif du libre choix en termes de soins de santé doit rester centré sur le patient, et non être détourné pour répondre à des objectifs financiers ou politiques, a prévenu Me Jean-Raphaël Champagne Gilbert, avocat au sein du cabinet Fasken Martineau DuMoulin, dans sa prise de parole. «La liberté de choix est un droit du patient, pas d’une compagnie pharmaceutique ni d’une pharmacie. Sinon, on s’oriente vers une sorte de dérive où certains acteurs essaient de l’instrumentaliser pour leurs propres agendas.» Et de citer, notamment, l’action collective en cours déposée par l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires (AQPP) contre une dizaine de ses membres accusés de dirigisme et de concurrence déloyale. L’AQPP dont deux des membres étaient justement dans la salle ce matin-là. «Qui instrumentalise le choix du patient?», s’est ainsi demandée Geneviève Pelletier, Directrice principale des Services pharmaceutiques et affaires externes de l’AQPP, interrogée par Profession Santé. «Peut-on vraiment parler de choix libre et éclairé lorsque le patient est orienté vers une pharmacie, sans accès à son ordonnance?» À lire aussi: Bouleverser le système des réseaux de pharmacies privilégiées: comment s'adapter pour les contrerAccompagnée de Me Marie-Ève Gagné, Directrice des Affaires juridiques et négociation à l’association, qui a déploré plusieurs raccourcis au cours des différentes prises de parole, Geneviève Pelletier a toutefois reconnu que ces discussions étaient nécessaires pour mieux comprendre les difficultés rencontrées par les patients dans leur parcours pharmaceutique, tout en regrettant que la demande de l’AQPP de pouvoir s’exprimer et faire valoir ses arguments pendant cet événement n’ait pas été acceptée. Interrogée sur ce point, Brigitte Viel affirme ne pas en avoir été informée, mais reconnaît un climat actuel tendu. «Ça va s'apaiser», augure-t-elle. La présidente du RPMSQ rappelle que le système de santé a «besoin de ressources», et que «tout le monde contribue à sa façon», en gardant le patient au centre des considérations. «Nous sommes dans une période de transformation. Le changement se fait rarement sans heurts.»

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