À l'Hôpital Charles-Le-Moyne, la zoothérapie pour soutenir les patients en cancérologie

«Oh, c’est Kozak!» À chacune de ses apparitions dans les services de cancérologie de l’Hôpital Charles-Le Moyne de Longueuil, la nouvelle mascotte de l’établissement est accueillie par de larges sourires, visibles même sous les masques. Mais Kozak n’est ni un interne, ni un patient partenaire, ni un médecin, ni même un clown. Il s’agit d’un samoyède de trois ans, ou, pour les personnes moins familières des canidés, d’une grosse boule de poils blanche comme neige. «Kozak est un chien très enjoué et sociable, il adore les gens. Il est notamment très proche des personnes en chaise roulante, contrairement aux autres chiens», observe Isabelle Turcotte, son accompagnatrice. Depuis plus d’un an maintenant, Kozak (ou son accolyte Simba, un labrador blond de six ans) et elle, sillonnent les couloirs des cliniques externes d’hémato-oncologie, de radio-oncologie et certaines unités d’hospitalisation chaque mardi et jeudi matin. «On est ici pendant deux heures, et on a toujours la même routine, raconte Isabelle Turcotte. On va d’abord en radio, puis on monte à l’étage et on va voir les patients dans les différentes salles d’attente. Et je m’assure toujours que les gens soient à l’aise avec le chien. Certains peuvent avoir peur, d’autres ne pas se sentir à l’aise, on doit respecter leurs choix. Mais ils ne peuvent pas les nourrir.» À lire aussi: La magie de la zoothérapie à l'Hôpital de Montréal pour enfantsUn passage que certains patients attendent avec fébrilité. «Une personne m’a dit un jour qu’elle n’avait pas envie de venir à ses rendez-vous, mais que la présence du chien lui donnait une raison de venir. Ça amène beaucoup de positif», observe Isabelle Turcotte. Une présence agréable, réconfortante, rassurante, distrayante… Autant de qualificatifs répétés par les patients rencontrés dans les salles d’attente, à l’image de Marie-Thérèse et Reynald, qui doivent venir respectivement une et deux fois par an dans l’unité de cancérologie, ou encore José et Maria, qui, eux, sont ici deux fois par semaine. «Ça change les idées, et ça rend l’attente moins pénible», confie Marie-Thérèse en caressant Kozak, qu’elle finit par prendre dans ses bras. «En général, quand j’arrive, la salle est silencieuse, mais quand je repars, le chien a mis des sourires sur les visages, et sa présence a lancé des discussions entre les patients», remarque l’accompagnatrice canine. «Parfois ils me disent qu’ils sont en rémission, ils partagent un peu et je les écoute. Mais je ne suis pas là pour intervenir. Certains ont même des larmes de soulagement, car leur pression retombe, le temps d’une interaction avec l’animal. » C’est ce qui s’est passé pour Viviane. Ayant rendez-vous pour recevoir les résultats de sa biopsie, la jeune femme était particulièrement inquiète. «C’est la première fois que je vois ce chien. C’est bien, car ça réduit mon anxiété, c’est réconfortant. Il me rappelle le mien», sourit-elle à travers son masque. Elle a d’ailleurs confié à Isabelle Turcotte qu'elle était rassurée de pouvoir revoir Kozak si elle devait revenir dans le service. Au-delà du soin thérapeutiqueEn temps normal, les chiens de la Fondation Leski accompagnent les victimes d’actes criminels, les enfants atteints d’un trouble du spectre de l’autisme ou les personnes aux prises avec des troubles de santé mentale, comme un trauma ou de l’anxiété. Intervenir dans le cadre d’un service hospitalier d’oncologie est une grande première, initiée par la Dre Catherine Prady, cogestionnaire médicale du Centre intégré de cancérologie de la Montérégie (CICM) et du Réseau de cancérologie de la Montérégie (RCM), qui s’est inspirée de l’Institut Curie à Paris. Cet institut de cancérologie a été le premier établissement français à proposer, en 2023, la présence d’un chien de médiation dans l'unité de recherche plaie et cicatrisation en oncologie. «Ce qui est intéressant, c’est qu’on va toucher une autre gamme de soins et de services aux patients, explique Julien Terrier, le directeur adjoint du programme de cancérologie qui a participé au projet. On va au-delà du soin purement thérapeutique, de l’administration de chimiothérapie, de la chirurgie ou de la radiothérapie.»Les animaux sont généralement proscrits dans les hôpitaux. Les risques pour les patients étaient nombreux, reconnaît Julien Terrier. «On a construit notre projet avec le service de prévention et de contrôle des infections. Nous avons débuté seulement dans les salles d’attente car c’est un contexte encadré, le plus semblable à la réalité à l’extérieur de l’hôpital», précise-t-il. L’établissement a revu et adapté toutes ses politiques relatives à la présence animale, puis les chiens ont été amenés en salles ambulatoires et en salles de traitement. Afin de limiter les risques au maximum, Kozak est désinfecté à son arrivée à l’hôpital et la Fondation s’assure que son statut vaccinal soit à jour.À lire aussi: À l’Hôpital Général Juif, des bénévoles au chevet des patients âgés D’après les recherches préalables de l’équipe, la zoothérapie – ou thérapie assistée par l'animal – a un impact majeur sur la réduction du stress et de l’anxiété chez les patients. «C’était vraiment notre moteur numéro un, affirme Julien Terrier. Nos patients se retrouvent dans la salle d’attente après que leur médecin leur ait conseillé de voir un oncologue. Ils ont passé des examens. Et ils peuvent arriver parfois une heure avant leur rendez-vous. Ils sont seuls avec eux-mêmes, en train d’anticiper ce qu’on va pouvoir leur annoncer.» Le deuxième effet recherché par ce projet est l’augmentation du bien-être physique et psychologique. «Nous avons été largement surpris de voir que les chiens de la Fondation Leski avaient une sensibilité et pouvaient détecter les besoins, des patients comme des personnes qui les accompagnent, sourit Julien Terrier. Ils font naître la discussion, l’échange, le partage d’expérience en salle d’attente. Et Isabelle fait opérer la magie. C’est une intervenante fantastique.» L’accompagnatrice n’hésite d’ailleurs pas à faire savoir au personnel soignant qu’un patient rencontré pendant sa tournée est particulièrement vulnérable ou fragile.Une bulle d'oxygène pour les soignantsLes patients ne sont pas les seuls à profiter de la présence des toutous. Kozak est aussi attendu de pied ferme par le personnel de l’hôpital. «Les jours où les chiens viennent, on est toutes excitées, rit Nadège, agente administrative. C’est étonnant de les voir sur notre lieu de travail. Ils ont un effet calmant, ça atténue la pression du quotidien. On tourne le dos à nos tâches pendant quelques minutes… On en prendrait tous les jours!» À ses côtés, Marylène, infirmière, acquiesce. «On les attend, et ils passent toujours nous voir. C’est un bonheur. »Une petite respiration plus que bienvenue dans des journées souvent éprouvantes, observe Isabelle Turcotte. «Les gens qui travaillent ici sont très humains. Ce ne sont que quelques secondes, mais c’est important.» Pendant l’entrevue, une infirmière interpelle Kozak, le serre dans ses bras et repart travailler. «Le toucher est très important, observe l’accompagnatrice. Si j’arrivais moi-même pour les prendre dans mes bras, ce serait intimidant. Alors que le chien est plus naturel, ça amène de la douceur dans la souffrance, aussi bien pour les patients que pour les soignants.»À lire aussi: L'oncogériatrie, une pratique où le patient est le héros«On n’avait pas du tout prévu cet aspect-là, car on était essentiellement concentrés sur le bénéfice pour les patients, reconnaît Julien Terrier. Nous avions construit notre projet autour des salles d’attente, un endroit peu fréquenté par le personnel soignant. Et on voit que cette nouvelle manière de prendre soin des patients, pas seulement dans le curatif, leur permet d’appréhender leur rôle différemment. On peut leur apporter du bonheur autrement.» Sur ce point, le sondage mené par le Centre intégré de cancérologie auprès des patients et du personnel est sans équivoque: la présence des chiens satisfait à 100% leurs attentes, et la totalité des personnes interrogées a déclaré vouloir poursuivre le projet, affirme le directeur adjoint du programme de cancérologie.Si le projet, rendu possible grâce à un couple de donateurs anonymes, en est toujours à sa phase 1, l’hôpital souhaite développer les interventions particulières auprès de patients claustrophobes devant passer une IRM, ou des patients qui ont peur des piqûres et qui doivent se faire poser un cathéter par exemple. «On aimerait augmenter les heures pour se déplacer davantage du côté hospitalisation, vers les salles de traitement de chimiothérapie, mais il reste encore un travail de fond à faire avec la prévention et le contrôle des infections», explique Julien Terrier. En attendant, d’autres services d’accompagnement ont été introduits en plus de Kozak et Simba, comme Docteur Clown, ou encore une musicothérapeute.

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