Les risques: Mettre en danger sa propre santé et celle de ses patients

Le présentéisme serait bien vu dans la société ou les organisations, croit-on encore aujourd’hui. « Plus j’en fais et mieux la chose est perçue », pourrait-on penser. À la limite, il y a une certaine noblesse et un esprit de sacrifice derrière ce phénomène : les gens s’oublient eux-mêmes. La médaille a cependant un revers. Dans le milieu médical, le présentéisme pratiqué à un degré élevé ou de façon trop répétitive n’est pas sans risque, tant pour les médecins que pour les patients qu’ils reçoivent.C’est d’abord sa propre santé que le médecin oublie quand il est malade et qu’il s’acharne à travailler. Selon une étude citée par le Dr Michel Vézina, du département de médecine préventive de la faculté de médecine de l’Université Laval, les médecins qui ne s’absentent pas présentent deux fois plus d’événements coronariens sérieux. Le Dr Michel Piraux, directeur des services professionnels (DSP) à l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec (IUCPQ), en sait quelque chose. Son père, qui était aussi médecin, est décédé à l’âge de 43 ans. Il n’avait pas vu les signes annonciateurs de la crise qui se préparait.Le Dr Piraux a constaté que des cas pouvaient survenir dans son propre hôpital. « De jeunes médecins ont subi des problèmes cardiaques, parfois même des cardiologues, parce qu’ils fonctionnent dans un état de fatigue et de stress. Ils ont fini par croire qu’il est normal de vivre comme cela. On est mauvais juge quant à ses propres soins. On ne veut pas reconnaître chez soi ce que l’on reconnaît chez ses patients », déplore-t-il.« Quand la machine est brisée, il faut s’arrêter pour la réparer, sinon elle s’use plus vite. Quand on est malade et qu’on ne s’absente pas, on risque d’avoir des complications et des maladies plus graves, rappelle le Dr Vézina. Prendre congé pour refaire ses forces ou guérir un malaise qui rend dysfonctionnel permet de revenir au travail en meilleure forme et de faire moins de rechutes. »Fautes professionnellesUn médecin qui travaille alors que ses facultés sont diminuées par la maladie, physique ou mentale, s’expose aussi à commettre des fautes professionnelles.« Quand on est malade, on a de moins bons réflexes. On peut faire plus d’erreurs, sans compter qu’on peut contaminer des patients déjà malades et fragiles. C’est dangereux aussi pour le reste du personnel soignant », résume le Dr Piraux, qui se dit très préoccupé par cette question en tant que DSP.« On ne doit pas travailler s’il y a incapacité, ce devrait être la règle de base. Le jugement pourrait en effet être altéré », croit aussi le Dr Vézina. « Je pense qu’un médecin qui n’est pas en forme ne performe pas aussi bien qu’un médecin en bonne santé et que, par conséquent, la qualité de l’acte est affectée, renchérit le Dr Piraux. Il y a des spécialités où la présence mentale est plus importante, d’autres où ce sont davantage certaines habiletés. Le raisonnement et la logique diagnostiques sont aussi très importants. »Conséquences sur les patientsLes conséquences du présentéisme peuvent se faire sentir sur la santé même des patients. « Il y a une certaine gradation dans le présentéisme. Actuellement, on n’arrive pas à bien asseoir les limites de ce comportement. Il y a un présentéisme qui serait tolérable et un autre, plus toxique. C’est le cas d’un médecin qui est à son poste, alors qu’il est malade. Il risque de contaminer ses patients », confirme le Pr Martin Lauzier, professeur en relations industrielles à l’Université du Québec en Outaouais.L’impact de l’état de santé des médecins sur leurs propres patients devrait être une source de préoccupation de la part des hôpitaux. « En tant que DSP et qu’établissement, nous avons l’obligation de nous assurer que les médecins qui se présentent au travail ne mettent pas en danger la sécurité des patients, insiste le Dr Piraux. L’Association canadienne de protection médicale est très concernée par les risques que font courir les médecins malades. »À l’IUCPQ, les règles vis-à-vis des maladies transmissibles sont les mêmes pour les médecins que pour le reste du personnel. Ils peuvent s’absenter deux à trois fois, selon la contagiosité. Mais le réflexe de venir au travail malgré tout est profondément ancré chez plusieurs cliniciens.« Lors d’épisodes de grippe ou de gastroentérite, tout médecin qui se présentait avec de la toux était retourné chez lui. Il a fallu intervenir pour en sortir plusieurs, car ils se présentaient malgré ces directives », se rappelle le Dr Piraux. À Lac-Etchemin, la consigne pour les médecins qui sont encore symptomatiques est de s’abstenir de rencontrer des patients, surtout dans un contexte où ils sont amenés à voir des personnes âgées et en CHSLD. « Il vaut mieux annuler sa journée et revenir deux ou trois jours plus tard, parce que l’on est en contact avec des gens vulnérables », suggère le Dr Sylvain Dion. Mais même malade, il n’est pas toujours facile pour un médecin de décrocher, reconnaît le Dr Vézina.« Il faut qu’un médecin se donne des limites, mais c’est très dur à appliquer. La solution consiste à apprendre à dire non. Mais dans les faits, il y a des pressions de toutes parts : de l’organisation de l’hôpital, des collègues et des patients.Au Collège des médecins, on indique qu’il n’existe pas de lignes directrices concernant le présentéisme, mais les consignes sont simples : un médecin malade devrait s’abstenir de se présenter au travail pour ne pas contaminer ses patients. « Quand on n’est plus capable d’assurer la même qualité de soins se pose alors une question d’éthique personnelle, celle de dire : “Non, je ne suis plus capable, j’arrête” », résume le Dr Piraux.Lire la suite du dossier «Le présentéisme»

Les risques: Mettre en danger sa propre santé et celle de ses patients

Pour accéder au contenu, connectez-vous ou créez un compte gratuit.

Catégories connexes