Les nutraceutiques, des armes à double tranchant

Deux chercheurs de l’Université des sciences médicales de Babol, en Iran, ont récemment synthétisé les données probantes d'environ 120 études précliniques et cliniques menées entre 2015 et 2024 afin d'élucider les effets thérapeutiques et toxicologiques des nutraceutiques. Leur revue1, récemment publiée dans Frontiers in Nutrition, se concentre sur quatre d’entre eux: la curcumine (CUR), un bioactif obtenu à partir du curcuma (Curcuma longa);la pipérine (PPR), obtenue à partir du poivre noir;le resvératrol (RSV), un composé polyphénolique présent dans les raisins et les produits à base de raisin;la quercétine (QUE), un flavonoïde présent dans plusieurs fruits et légumes.Bien que très prometteurs pour améliorer la santé grâce à leurs propriétés antioxydantes, anti-inflammatoires, pro-apoptotiques et régulatrices du métabolisme, les nutraceutiques présentent également des risques potentiels souvent négligés, notamment en ce qui concerne la toxicité spécifique au dosage, la biodisponibilité et les interactions avec les produits pharmaceutiques. D’après les observations des deux chercheurs, tous les nutraceutiques évalués offrent des effets protecteurs et thérapeutiques bénéfiques sur le plan médical, mais chacun présente ses propres effets secondaires, notamment à fortes doses. La curcuminePotentiel thérapeutiqueLe CUR, sans doute l'antioxydant et l'anti-inflammatoire le mieux étudié dans cette revue, est couramment utilisé dans la prise en charge du diabète, de l'arthrite et des maladies cardiovasculaires (MCV). Il cible également plusieurs voies impliquées dans la progression tumorale et présente des effets neuroprotecteurs significatifs – il réduit notamment les plaques bêta-amyloïdes dans la maladie d'Alzheimer, module la neuroinflammation et améliore la fonction cognitive. Risques et défis potentielsL'un des effets indésirables les plus fréquemment rapportés est l'irritation gastro-intestinale, qui peut se manifester par des nausées, des diarrhées et des douleurs abdominales, en particulier à fortes doses. Des cas d'altération hépatique associés à son utilisation ont également été rapportés. Ses effets sur la fonction thyroïdienne semblent dépendre de l’âge, des études montrant des niveaux d’hormones altérés chez les personnes âgées, mais un impact minimal chez les populations plus jeunes.À fortes doses, les effets pro-oxydants de la CUR ont également suscité des inquiétudes quant à son potentiel à endommager l'ADN et à provoquer une toxicité cellulaire.La CUR modifie la pharmacocinétique des médicaments contre l'hypertension, compromettant potentiellement leur efficacité ou leur sécurité.La pipérinePotentiel thérapeutiqueLa PPR contribue à améliorer la biodisponibilité, à réduire l'inflammation, à combattre le stress oxydatif, à inhiber la progression du cancer et à protéger la fonction neuronale. Ces propriétés s'attaquent collectivement aux mécanismes clés impliqués dans les maladies chroniques. La PPR est d’ailleurs un bon candidat pour la gestion de l'obésité et du diabète de type 2, selon les auteurs de la revue. À lire aussi: Six produits naturels courants potentiellement nocifs pour le foieEn inhibant les enzymes métabolisant les médicaments (comme le cytochrome P450, l'UDP-glucuronosyltransférase) et en améliorant l'absorption intestinale, la PPR inhibe significativement la P-glycoprotéine (P-gp) et améliore l'efficacité des composés co-administrés tels que la CUR et le RSV, ce qui en fait un complément essentiel dans les formulations nutraceutiques.Par ailleurs, la PPR démontre des propriétés anticancéreuses en inhibant la prolifération des cellules cancéreuses et en induisant l'apoptose dans les cancers du sein, du côlon et de la prostate. Risques et défis potentielsL'une des principales préoccupations concernant la PPR est sa transformation métabolique en métabolites potentiellement nocifs. En raison de la présence de groupes amides dans sa structure, la pipérine peut présenter une activité pro-oxydante dans certaines conditions, augmentant la production d'espèces réactives de l'oxygène et le stress oxydatif. Ces risques incluent des modifications spécifiques aux organes, une toxicité pour la reproduction et des interactions médicamenteuses. Par ailleurs, l'inhibition de l'enzyme UDP-glucuronosyltransférase par la pipérine peut prolonger l'activité du médicament, ce qui constitue un avantage pour les thérapies, mais un risque de toxicité avec des médicaments comme les anticoagulants. Des études précliniques font ainsi état de risques d'augmentation des effets secondaires de médicaments comme la carbamazépine et la warfarine. Le resvératrolPotentiel thérapeutiqueLe VRS suscite un intérêt scientifique croissant en raison de ses bienfaits cardiovasculaires métaboliques, neurologiques, pro-apoptotiques et anti-inflammatoires, notamment. Son efficacité pour retarder la maladie d’Alzheimer a été cliniquement prouvée, et il permet de réduire le stress oxydatif, d’améliorer le métabolisme lipidique et de diminuer la tension artérielle. Risques et défis potentiels L'une des principales préoccupations concernant le VRS réside dans ses effets biphasiques et hormétiques dose-dépendants. Il présente des effets hormétiques – protecteurs à faibles doses, mais nocifs à fortes doses: à concentration élevée, le VRS agit comme un pro-oxydant et augmente le stress oxydatif, entraînant notamment une insuffisance rénale et un dysfonctionnement thyroïdien. Ce comportement est influencé par des facteurs tels que la concentration, la durée du traitement et le type cellulaire.Des différences chronobiologiques dans l'administration du VRS ont également été observées, certaines données suggérant que le moment de la journée pourrait influencer la peroxydation lipidique et le métabolisme des médicaments.La quercétinePotentiel thérapeutiqueCe flavonoïde abondant dans les fruits et légumes comme les oignons et les pommes, a la capacité de neutraliser les radicaux libres et à atténuer le stress oxydatif, ce qui en fait un nutraceutique reconnu comme un traitement potentiel contre le cancer, les maladies cardiovasculaires (MCV) et le vieillissement. À lire aussi: Suppléments alimentaires: les études sont mitigéesEn neuroprotection, la QUE s'avère prometteuse dans la lutte contre les maladies neurodégénératives telles que la maladie d'Alzheimer et la maladie de Parkinson. Parmi ses bienfaits métaboliques et immunitaires, une meilleure sensibilité à l'insuline et une meilleure régulation du métabolisme du glucose, essentielles à la prise en charge des troubles métaboliques. Risques et défis potentielsÀ fortes doses (100 mg/kg), la QUE augmente les marqueurs du stress oxydatif et réduit les antioxydants clés (par exemple, le glutathion et la catalase), aggravant les lésions rénales. Elle induit aussi un stress oxydatif, entraînant des lésions neuronales et une exacerbation des conditions neurodégénératives dans des modèles expérimentaux in vitro de neurodégénérescence.Bien que la quercétine interagisse avec certains agents chimiothérapeutiques (par exemple, le méthotrexate) pour renforcer ses effets anti-inflammatoires, elle peut également interférer avec des médicaments comme la cyclosporine. La forme aglycone présente dans les suppléments offre une meilleure biodisponibilité, mais aussi une plus grande probabilité d'interaction avec les enzymes et les transporteurs métabolisant les médicaments.ConclusionLa double nature dose-dépendante des nutraceutiques, caractérisée par des effets protecteurs à faibles doses et des effets toxiques à fortes doses, en font des armes à double tranchant. Bien que généralement sûrs pour un usage alimentaire, la FDA américaine ne les a pas approuvés officiellement en tant qu'agents pharmaceutiques pour le traitement ou la prévention des maladies.Cette étude souligne «la nécessité d’élaborer des lignes directrices fondées sur les données probantes pour optimiser l'utilisation des nutraceutiques chez les populations polypharmaceutiques, en privilégiant la collaboration interdisciplinaire pour gérer les interactions», concluent les auteurs.À lire aussi: Produits de santé naturels: un projet de loi fédéral veut revoir leur surveillanceEn plus de l’éducation des patients, «les modèles de soins collaboratifs impliquant des pharmaciens et des experts en nutrition sont essentiels pour concilier l'utilisation des nutraceutiques avec les médicaments prescrits», écrivent-ils.Ces travaux suggèrent par ailleurs des innovations telles que la nanoencapsulation et les systèmes d'administration guidés par l'intelligence artificielle qui pourraient faire passer les nutraceutiques du statut de compléments alimentaires à celui d'adjuvants de médecine de précision.Référence: Ashrafpour, S. et Ashrafpour, M. The double-edged sword of nutraceuticals: comprehensive review of protective agents and their hidden risks. Frontiers in Nutrition. 2025(vol. 12). DOI: https://doi.org/10.3389/fnut.2025.1524627

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