Les enjeux de santé d’hier, d’aujourd’hui et de demain

Irène Giannetti a consacré près de 40 ans au merveilleux monde de la santé à travers différentes fonctions: cheffe de service des relations de travail, directrice administrative, directrice des ressources humaines, directrice des services hospitaliers, puis en septembre 1988, directrice générale de l’hôpital Santa Cabrini, et ce jusqu’à son départ à la retraite en juin 2011. Le Centre d’accueil Dante, dont elle a été la première directrice administrative et qu’elle a contribué à créer en 1980-1981, est toujours resté sous sa responsabilité directe malgré les diverses autres fonctions qu’elle a exercées au fil du temps.Irène Giannetti a été témoin de transformations profondes du système de la santé, bien avant l’arrivée de Santé Québec. Les défis d’aujourd’hui sont-ils réellement différents?Quelles transformations a connu le système hospitalier québécois? Avant la loi fédérale de 1961 sur l’assurance-hospitalisation, les hôpitaux étaient tous autonomes et gérés par des organismes à but non lucratif. La plupart de ces OBNL étaient des congrégations religieuses, qui avaient fondé ces hôpitaux et qui en étaient les propriétaires.L’Hôpital Santa Cabrini a d’ailleurs été créé en 1960 par les Sœurs missionnaires du Sacré-Cœur de Jésus – congrégation fondée par Mère Xavière Cabrini, d’où le nom de l’hôpital – pour venir en aide aux immigrants italiens, nombreux à s’installer à Montréal dans les années 1950.À partir du début des années 1970, le train du changement était en marche, faisant en sorte que tous les hôpitaux ont été mis sous la responsabilité du ministère de la Santé de l’époque. Les corporations propriétaires ont conservé un droit de regard sur les décisions grâce à trois représentants au conseil d’administration de l’hôpital.Rappelons également que le premier ministère de la Santé et Services sociaux date de 1985. C’est à ce moment que s’est concrétisé le rapprochement nécessaire entre les soins de santé physique et les soins psychosociaux.Quel a été l’impact sur la cohabitation privé-public? D’une pratique médicale privée, on passait alors à une de nature publique voulant ainsi garantir l’accès universel et gratuit aux soins et services hospitaliers. Déjà à l’époque, certains médecins se sont objectés à cette nouvelle orientation. Certains ont donc refusé de s’intégrer et ont plutôt opté pour une pratique en cabinet privée, hors du régime de la régie de l’assurance maladie du Québec. Donc, rien d’étonnant si cette rivalité public-privé existe encore aujourd’hui.Quelles revendications avez-vous rencontrées au cours de votre carrière? J’ai été un témoin privilégié de cette époque de transformation sociale. Cela a été une école de formation qu’aucun diplôme universitaire ne pouvait me donner. Cela m’a appris l’importance de bien connaître les rapports de force en présence, de savoir être attentive à ce que vivent les employés dans leur unité ou service, mais aussi à bien saisir les enjeux de nature plus politique.Prenons la notion de mobilité du personnel. Déjà en 1975, c’était un enjeu. Les employeurs voulaient la favoriser. Certains employés y voyaient même une opportunité d’élargissement de leurs perspectives d’emploi, mais les syndicats rejetaient cette notion en contestant toute tentative de l’employeur. Plusieurs griefs sont allés à l’arbitrage. Cette période de transformation a été de pair avec l’évolution de la médecine, qui créait de nouvelles spécialités et qui introduisait de nouvelles façons de traiter les patients: médicalisation toujours plus complexe, services diagnostiques toujours plus sophistiqués et précis. Le nombre de diagnostics étant en augmentation, le nombre de pathologies aussi, tout cela a mené les différents professionnels à réclamer eux aussi la création de nouveaux titres d’emploi. Prenons l’exemple des infirmières. Plusieurs titres d’emploi découlent de cette multiplication des spécialités: infirmière clinicienne, infirmière en soins intensifs, infirmière en gérontologie, conseillère en soins infirmiers, infirmière en oncologie… Celle-ci favorise les connaissances spécifiques des titulaires d’un poste dans ces domaines, mais elle réduit d’autant la mobilité possible des employés. Comment les plus récentes réformes ont-elles fait évoluer notre système de santé?Au fil du temps, et particulièrement depuis la réforme Barrette (2015) et la réforme Dubé (2024), l’autonomie de gestion et la participation citoyenne ont été mises de côté. Les adresses des établissements de santé existent toujours, mais la gestion locale et les équipes locales ont été fusionnées en une structure sous-régionale (CIUSSS, CISSS), et depuis décembre 2024, sous une mégastructure: Santé Québec. Les conseils d’administration ont été abolis en 2015. Avec la réforme de 2024, ils seront réintroduits par des conseils d’établissement. Quel sera leur impact réel sur les orientations locales, la planification d’activités, l’étendue des services, les plans de rénovation ou d’agrandissement, les budgets, les liens avec les communautés locales? Tout ceci reste à voir.Quel est l’objectif de Santé Québec?L’objectif est de réduire les listes d’attente, donc d'améliorer l’accès. L’objectif est aussi d’augmenter la productivité alors que plusieurs quittent le bateau pour se joindre au privé et que le recrutement du personnel reste difficile. Tout un défi!Quels autres défis Santé Québec doit-elle relever?Les défis budgétaires constants, une compétition pour le recrutement de médecins et d’employés, une course à l’implantation d’outils innovants (techniques et technologiques ou informatiques), l’introduction de nouveaux protocoles de soins dont ceux reliés aux cancers et soins palliatifs, le vieillissement de la population, l’évolution du rôle des différents professionnels dont les pharmaciens qui exercent un rôle clinique grandissant, la mise à niveau des connaissances techniques, technologiques, et informatiques des membres du personnel, leur motivation au travail, ne sont que quelques exemples qui s’ajoutent aux défis quotidiens du nouvel employeur qu’est Santé Québec. Et quoi dire des volumes d’activité sur lesquels existent peu de contrôles: comment maîtriser les coûts quand on a peu de leviers sur la demande de soins et quand les médecins sont de libres entrepreneurs?Allons-nous perdre les caractéristiques distinctives de chaque établissement?Santé Québec fait face à un grand défi, car chaque établissement a beau avoir été fusionné et même intégré à un CIUSSS ou à un CISSS, chacun a ses forces et faiblesses, chacun a ses points de vulnérabilité, chacun a une composante technique, technologique ou informatique différente du voisin, chacun a son historique, chacun a sa réputation, chacun a évolué avec des moyens financiers différents, chacun a sa culture locale, chacun a une composition de main-d’œuvre qui lui est propre, chacun a son bassin d’usagers avec un profil socioéconomique souvent différent.Les niveaux de production et les statistiques, pour être utiles, devront forcément tenir compte de ces particularités locales.Quelles préoccupations partagez-vous face à Santé Québec?Santé Québec saura-t-elle relever ces défis alors que l’environnement est vulnérable, comme la pandémie COVID nous l’a démontré? Alors que tout semble tourner autour de la médecine de spécialité et même de surspécialité, quelle est la place que Santé Québec réserve aux médecins de médecine générale qui sont pourtant la clé de voûte pour l’accès aux soins de spécialité et pour la prise en charge des patients? Ainsi… après une énième réforme, que va-t-il advenir? La population sera-t-elle mieux servie? Les établissements seront-ils des lieux de soins humains et de qualité, outre que des lieux de production? À suivre!