Les différentes directives relatives au suivi du cancer de la peau sont incohérentes. Que doivent faire les médecins?

L'incohérence est le mot du jour lorsqu'il s'agit de lignes directrices portant sur le suivi des patients atteints de cancer de la peau. C'est la conclusion préoccupante d'un examen de plusieurs lignes directrices de pratique clinique, tant au Canada qu'à l'étranger, publié dans JAMA Dermatology. Nous avons constaté «qu'il y a peu de consensus parmi les lignes directrices de pratique clinique sur la fréquence de suivi appropriée après le traitement du carcinome kératinocytaire. Cela est dû en grande partie au fait qu'il existe peu de données soutenant un régime de suivi plutôt qu'un autre», a commenté la coauteure de l'étude, Sara Mirali, étudiante en médecine au doctorat à l'Université de Toronto. Les visites de suivi sont importantes car elles permettent de détecter les récidives, les métastases et les nouvelles tumeurs primaires. D’après l’étudiante, «Les cliniciens varient dans la fréquence à laquelle ils suivent les patients après un traitement pour un carcinome kératinocytaire... Malheureusement, la fréquence optimale de suivi n'est pas claire, ce qui a des implications pour les résultats des patients et les ressources en soins de santé.» Le cancer des kératinocytes englobe le carcinome épidermoïde cutané (CE) et le carcinome basocellulaire (CBC), qui sont les formes les plus courantes de cancer de la peau dans le monde. Une revue systématique a été menée pour déterminer les lacunes éventuelles en matière de preuves, et les variations dans les recommandations actuelles. L'examen s'est concentré sur le suivi des patients atteints de carcinome des kératinocytes et a été réalisé dans le cadre d'un projet du Réseau canadien d'investigation de la peau. Les chercheurs ont identifié 14 lignes directrices en anglais qui répondaient aux critères de l'étude et ont utilisé un système de notation pour déterminer leur qualité. Les directives ont été publiées entre 2010 et 2022. La moitié d’entre elles (sept) ont fourni des recommandations pour le carcinome basocellulaire uniquement, six n’ont traité que du carcinome épidermoïde cutané, et une seule traitait des deux. Au total, huit lignes directrices provenaient d'Europe, cinq d'Amérique du Nord et une d'Australie. «La plupart des directives provenaient d'organisations dermatologiques, bien que les groupes de travail sur les directives comprenaient généralement des médecins d'autres spécialités telles que les soins primaires, l'oncologie, la pathologie, l'oto-rhino-laryngologie et la chirurgie plastique», a indiqué Mme Mirali. Parmi les lignes directrices sur le carcinome basocellulaire, trois n'avaient pas stratifié leurs recommandations en fonction du risque de récidive. «Deux ont suggéré un suivi annuel, tandis qu'une recommandait un suivi tous les 6 à 12 mois pendant les 5 premières années, suivi de visites annuelles. En ce qui concerne la durée totale du suivi, deux lignes directrices recommandent une surveillance à vie, tandis qu'une ne fait aucun commentaire», précise l'étude. Cinq des lignes directrices ont stratifié leurs recommandations de suivi par groupe de risque. Pour le carcinome basocellulaire à faible risque, deux d'entre elles suggèrent un suivi annuel, tandis qu'une autre suggère une visite à 6 mois suivie de visites annuelles. Aucune ne décrit la durée du suivi des patients. Les variations sont également importantes pour les patients à haut risque. Quatre des cinq directives suggèrent un suivi tous les 6 à 12 mois, deux recommandaient un suivi tous les six mois au départ, puis un suivi annuel les années suivantes. «Une ligne directrice était plus prudente, recommandant des visites tous les trois mois pendant les deux premières années», précise l'étude. Les chercheurs ont constaté qu'une seule des directives sur le carcinome épidermoïde cutané n’avait pas stratifié les patients en fonction du risque de récidive, et recommandait un suivi annuel pour tous les patients. Il n'y avait aucune recommandation concernant la durée totale du suivi. Les six autres directives sur le carcinome épidermoïde cutané ont classé les recommandations de suivi en fonction du risque de récidive du patient. Pour les carcinomes épidermoïdes cutanés à faible risque, deux d'entre elles recommandaient un suivi tous les 6 à 12 mois, tandis que deux autres ont suggéré des visites annuelles. «Une ligne directrice a suggéré que les patients soient suivis tous les 3 à 12 mois pendant les deux premières années, puis tous les 6 à 12 mois pendant trois autres années, et finalement tous les ans à vie. Enfin, une directive ne suggère qu'une seule visite de suivi “lorsque cela est approprié”», indique l'étude. Pour les patients atteints de carcinome épidermoïde cutané à haut risque, les recommandations ont également varié de manière significative d'une directive à l'autre. Il y avait également des différences dans les éléments recommandés lors d'une visite de suivi du carcinome épidermoïde cutané. En examinant toutes les lignes directrices de l'étude, «nous avons trouvé surprenant que certaines lignes directrices recommandaient un suivi fréquent sur des périodes prolongées alors que d'autres suggéraient un suivi minimal ou aucun suivi», a ajouté Mirali. En termes de chevauchement, «la recommandation la plus courante pour le carcinome basocellulaire à faible et à haut risque était un suivi annuel. La recommandation la plus courante pour le carcinome épidermoïde cutané à faible risque est un suivi annuel et pour le carcinome épidermoïde cutané à haut risque, un suivi tous les 6 mois», a-t-elle ajouté. Mais il y a un clairement un besoin pour des études supplémentaires. Mme Mirali a poursuivi en pointant qu'«il y a une variation considérable entre les directives concernant la durée totale du suivi des patients, et la durée entre les intervalles de suivi. Il est difficile de dire quelles sont les recommandations les plus importantes, étant donné le manque de preuves soutenant un protocole de suivi spécifique». En attendant, que doivent faire les médecins? Pour l'instant, jusqu'à ce que d'autres études soient réalisées, les médecins canadiens peuvent se référer à l'une des lignes directrices énumérées pour obtenir des conseils sur la fréquence de suivi des patients atteints de carcinome basocellulaire ou de carcinome épidermoïde cutané. Or, par l'intermédiaire du Réseau canadien d'investigation de la peau, «les chercheurs et les patients partenaires prévoient d'aborder cette importante question clinique par le biais de recherches supplémentaires», a-t-elle déclaré. Selon le Dr Maxwell Sauder, oncodermatologue, «je pense que c'est un excellent article. Il montre vraiment l'hétérogénéité des pratiques en matière de prise en charge du carcinome épidermoïde cutané». Il est professeur adjoint de médecine à l'Université de Toronto et n'a pas participé à l'étude. «On estime que le taux de mortalité du carcinome épidermoïde cutané sera deux fois plus élevé que celui du mélanome aux États-Unis - nous n'avons pas de données canadiennes - et pourtant, nous disposons de directives bien établies sur le suivi et la prise en charge du mélanome, mais pas du carcinome épidermoïde cutané. Cet article devrait être un appel à l'action: nous avons besoin de conseils plus cohérents et de parcours de soins pour cette malignité potentiellement mortelle.» Toujours dans le domaine de la dermatologie, une étude réalisée au début de l'année 2022 a révélé des incohérences en termes de qualité des lignes directrices relatives au psoriasis. Ces conclusions ont été publiées dans le British Journal of Dermatology. Cinq des 33 lignes directrices évaluées étaient d'excellente qualité. Les chercheurs ont conclu que «la plupart des lignes directrices sur le psoriasis n'ont pas été en mesure de démontrer de manière cohérente leur haute qualité à travers de multiples outils d'évaluation».

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