Les bébés du rationnement post-guerre, des adultes au cœur solide

Entre 1951 et 1956, certains enfants britanniques sont conçus et grandissent sous rationnement strict, d’autres naissent juste après la levée des quotas. Cette frontière historique est au cœur d’une étude publiée dans The BMJ par une équipe de recherche internationale. Leur objectif était de déterminer si une exposition réduite au sucre durant les 1000 premiers jours – de la conception à deux ans – se traduit, des décennies plus tard, par moins d’événements cardiovasculaires.Les auteurs rappellent que les sucres libres - c’est-à-dire les sucres ajoutés aux aliments et boissons, ainsi que ceux naturellement présents dans le miel, les sirops et les jus de fruits - saturent aujourd’hui notre alimentation. Y compris celle des femmes enceintes et des jeunes enfants, alors que la période dite des 1000 jours représentent une période de plasticité métabolique maximale. «La maturation des systèmes métabolique et cardiovasculaire durant les 1000 premiers jours est particulièrement sensible aux apports nutritionnels et aux conditions environnementales», écrivent-ils, soulignant que les interventions précoces sont plus efficientes que le traitement tardif des maladies chroniques. Le rationnement d’après-guerre devient ainsi un quasi-essai sur l’impact d’un environnement pauvre en sucres ajoutés.Leur analyse repose sur 63 433 participants de la UK Biobank nés au Royaume-Uni entre octobre 1951 et mars 1956, sans maladie cardiovasculaire initiale. L’exposition est estimée selon la date de naissance par rapport à la fin du rationnement du sucre en septembre 1953. À cette époque, presque tous les adultes recevaient une quantité limitée de sucre et de confiseries, tandis que les enfants de moins de deux ans n’avaient pas de ration dédiée. À consulter: Santé cardiovasculaire: les boissons sucrées sont vraiment nocivesLes chercheurs comparent les adultes jamais exposés à ce contexte à ceux exposés in utero seulement, in utero plus jusqu’à un an, ou in utero plus un à deux ans. Ils utilisent des modèles de survie ajustés pour l’âge, le sexe, l’ethnicité, le mois et le lieu de naissance, les prix des denrées, les antécédents parentaux, le tabagisme maternel, l’allaitement et des scores de risque génétique. Un sous-groupe bénéficie d’IRM cardiaques, et une médiation par diabète et hypertension est aussi évaluée.Des résultats significatifsChez les individus exposés au rationnement in utero et durant un à deux ans, comparativement aux non exposés, les chercheurs observent une diminution significative du risque de plusieurs maladies cardiovasculaires:• maladie cardiovasculaire: hazard ratio (HR) 0,80 (intervalle de confiance [IC] à 95% 0,73–0,90)• infarctus du myocarde: HR 0,75 (IC à 95% 0,63–0,90)• insuffisance cardiaque: HR 0,74 (IC à 95% 0,59–0,95)• fibrillation auriculaire: HR 0,76 (IC à 95% 0,66–0,92)• accident vasculaire cérébral: HR 0,69 (IC à 95% 0,53–0,89)• mortalité cardiovasculaire: HR 0,73 (IC à 95% 0,54–0,98)À lire aussi: L'environnement alimentaire du Canada est pitoyable, dit une étudePlus la durée d’exposition au rationnement couvre les 1000 jours, plus la protection observée est importante. L’âge moyen de survenue des événements cardiovasculaires est retardé d’environ deux ans et demi dans le groupe le plus exposé. Les différences observées à l’IRM – une légère hausse du volume et de la fraction d’éjection ventriculaire gauche – vont dans le même sens. «Nos résultats suggèrent le potentiel de stratégies nutritionnelles ciblées en début de vie pour améliorer la fonction cardiaque adulte», concluent les auteurs. Ces données prolongent des travaux antérieurs montrant que les enfants du rationnement présentaient, à l’âge adulte, moins de diabète et d’hypertension, deux facteurs de risque majeurs de maladie cardiovasculaire.L’étude comporte toutefois des limites. Il s’agit d’une analyse observationnelle. L’exposition n’était pas mesurée individuellement, mais estimée selon la période de naissance par rapport à la fin du rationnement du sucre en septembre 1953. Le contexte alimentaire d’après-guerre diffère des habitudes actuelles. Enfin, la population de la UK Biobank est globalement plus favorisée que la moyenne. Les chercheurs appellent donc à la prudence dans l’interprétation et l’extrapolation des résultats.Des résultats en phase avec les données récentesReste que la cohérence avec la littérature moderne est frappante. Plusieurs études montrent qu’une consommation précoce et élevée de sucres libres et de boissons sucrées entre zéro et cinq ans est liée à une adiposité accrue, à des profils lipidiques défavorables et à une tension artérielle plus élevée, autant de marqueurs associés plus tard au diabète de type 2, à l’hypertension et aux maladies cardiovasculaires. Dans l’étude publiée dans le BMJ, le diabète et l’hypertension incidents expliquent environ 31% de la relation entre rationnement et moindre risque cardiovasculaire, ce qui renforce la plausibilité d’une programmation métabolique durable par la réduction des sucres précoces.Cette cohérence rejoint les lignes directrices internationales qui recommandent de limiter les sucres libres à moins de 10% de l’apport énergétique, idéalement à 5%, et d’éviter les sucres ajoutés chez les enfants de moins de deux ans. Cette nouvelle étude inscrit ces recommandations dans une perspective historique unique. Réduire les sucres dès la grossesse et la petite enfance ne permet pas seulement de prévenir les caries ou l’excès pondéral, mais pourrait aussi contribuer à diminuer les infarctus, les AVC et l’insuffisance cardiaque de la génération suivante.À consulter aussi: Les aliments sucrés et salés sont moins chers que leurs équivalents «santé»Sans rêver d’un retour au carnet de rationnement, ces résultats offrent un levier concret pour la prévention précoce. Intégrer la question des boissons sucrées, des préparations commerciales et des collations sucrées dans le suivi prénatal et pédiatrique peut aider à modifier les habitudes dès le départ. Lire les étiquettes, proposer des options moins sucrées, soutenir l’allaitement lorsque possible: autant de gestes simples, appuyés par la recherche, qui peuvent infléchir le risque cardiovasculaire dès les premiers jours de la vie.Référence:Zheng J, Zhou Z, Huang J, Tu Q, Wu H, Yang Q, et coll. Exposure to sugar rationing in first 1000 days after conception and long term cardiovascular outcomes: natural experiment study BMJ 2025; 391 :e083890 doi:10.1136/bmj-2024-083890

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