Le privé, la bouée de sauvetage du Titanic

Empêcher les médecins d’aller pratiquer au privé à la fin de leurs études, pour une durée d’une année… ou plus. Il faut se questionner sur la pertinence de cette suggestion qu’on pourrait comparer à mettre un band-aid sur une plaie béante qui saigne. Évidemment, ce serait selon moi une erreur de jugement et une erreur médicale flagrante. Pourtant, ça semble une intention valable pour le ministère de la Santé et le Collège des médecins du Québec (CMQ). L’idée de vouloir protéger le patient est bonne, mais la méthode est inappropriée à la gravité de la situation, si elle est prise seule et sans aller colmater le saignement à sa source. Il est impossible que le CMQ et le ministère ne sachent pas ce qui cause la piètre qualité des soins, le départ d’un faible nombre de médecins au privé chaque année et ce qui empêche certains médecins, parfaitement formés, à pratiquer au public plutôt qu’au privé. Pourtant, ils n’osent pas s’y attaquer. Le privé sert à quoi? Le privé est né et survit en partie grâce à l’inefficacité du système public de fournir des soins de qualité aux Québécois. Il est une solution non seulement au manque d’accès, mais aussi à la dégradation de la qualité des soins de plus en plus évidente. Les patients consultent de plus en plus au privé bien qu’ils aient un médecin de famille au public. Pourquoi? Le privé sert aussi à rassurer la population. Les Québécois se disent: si je n’ai pas de soins, ou si les soins ne répondent pas à mes attentes dans le réseau public, j’irai au privé. Pourquoi? Qu’offre le privé que le public n’offre pas? Si j’ai un restaurant ou un commerce qui fonctionne mal et qui n’est pas rentable, est-ce que le fait d’empêcher les gens d’aller dans les autres commerces va améliorer la qualité des services que j’offre? Forcer les médecins qui ne veulent pas faire de la médecine McDo ne va en rien améliorer la qualité des soins. Enlever des canots de sauvetage du Titanic ne va pas l’empêcher de couler. J’ai tenté depuis un an, sans succès, d’intégrer le système public. Me voyant dans les médias à ce sujet, nombre de mes patients m’ont contacté pour me dire de ne pas poursuivre mes démarches, de peur que si je pratique au public, ils doivent attendre trop longtemps pour me voir, que j’aurais moins de temps à leur consacrer en rendez-vous, et que je devienne «comme les autres médecins au public». Je ne m’attendais pas à de telles réactions et cela m’a tout de même fait réfléchir. Lire aussi: Les nouveaux médecins formés au Québec devront exercer au public… et au QuébecIl faut aussi se demander ce que fera le médecin après un, deux ou trois ans de pratique forcée dans le système public tel qu’il est actuellement? Il va quitter sa pratique en laissant des centaines de patients orphelins. Des patients qui ont besoin d’un suivi actif, des patients qui attendent des résultats d’examens, etc. Qui a-t-il de pire que ne pas avoir de médecin de famille pour les patients? Perdre son médecin de famille. Je le constate régulièrement dans mon bureau. Les Québécois ne sont pas dupes. Quelle sera l’option pour des médecins sans PREM à la sortie de la faculté? Faire comme certains, attendre un an et réappliquer aux PREM l’année suivante? Une année de pratique perdue. Aller en Ontario? Payer une amende? Est-ce qu’une loi comme celle-là est conforme à la charte des droits? Il faut prévoir des solutions à ces problèmes et pas seulement se mettre la tête dans le sable. Lire aussi: La FMRQ juge discriminatoire le nouveau projet de loi de DubéOn imagine tous évidemment que cette règle va s’appliquer à tous les professionnels de la santé qui exercent au privé: psychologues, ergothérapeutes, physiothérapeutes, infirmières, etc. Si c’est une solution miracle, elle s’applique à tout le monde étant donné la pénurie de main-d’œuvre de tous les professionnels dans le réseau public. En résumé, tout le monde sait que cette mesure ne va en rien améliorer l’accès ni la qualité des soins offerts aux Québécois. Elle risque même de leur causer un préjudice lorsque le médecin va quitter sa pratique publique sans être capable de transférer ses dossiers et ainsi remettre des centaines de patients sur la liste d’attente, d’où ils pensaient qu’ils étaient finalement sortis. Certains vont peut-être même sentir une pression de suivre ce médecin pour éviter une interruption de leurs suivis. Qui a fait une étude pour connaître les raisons qui poussent les médecins à quitter le système public ou qui les empêche de l’intégrer? Les décideurs sont vites à imposer des solutions sans connaître réellement le problème, et on se demande pourquoi rien ne bouge en santé depuis des années. Lire aussi: Le CMQ veut mettre un frein à la croissance du privé en santéPourquoi ne pas s’attaquer à la source des problèmes pour trouver des solutions? Qui ne veut pas voir encore l’éléphant dans la pièce? Proposer un band-aid en ce moment est la dernière chose dont les Québécois ont besoin. Ils ont besoin d'une chirurgie majeure et je le répète, ils ne sont pas dupes.La Dre Marie-Lou Sauvé est omnipraticienne, spécialisée en santé mentale. Elle exerce au privé depuis le début de sa carrière, mais elle a entrepris des démarches pour intégrer le régime public tout en conservant sa pratique.Vous souhaitez vous aussi faire valoir votre point de vue sur un enjeu du système de santé? Apporter une réflexion vis-à-vis de votre profession?Envoyez-nous un texte d'opinion à titre de professionnel de la santé ou d'association en santé, afin qu'il soit relayé sur le site. Plus d'infos >

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