Le Dr Marc Lacroix échoue à faire reconnaître un biais contre sa pratique privée

Visé par une nouvelle plainte en déontologie, le Dr Marc Lacroix s’est présenté à trois audiences sur culpabilité en octobre et novembre 2024, les cinq autres devant se dérouler au printemps dernier. Le médecin fondateur du Groupe médical Lacroix, qui compte aujourd’hui une douzaine de cliniques privées, est accusé d’avoir fait la promotion des tests de dépistage de la COVID-19 et d’en avoir prescrit sans justification médicale. Entre-temps, il a présenté une requête en arrêt des procédures, invoquant un manque d’impartialité du Conseil de discipline du Collège des médecins du Québec (CMQ). Celle-ci vient d’être rejetée.Dans sa requête, le Dr Lacroix soutenait que l’indépendance et la sérénité des membres médecins du Conseil étaient compromises par les prises de position du Collège et de son président contre l’expansion du secteur privé en santé. Selon lui, les deux conseillères appelées à se prononcer sur sa cause, la Dre Vania Jimenez et la Dre Ginette Fortier, ne pouvaient dès lors pas le juger d’une manière équitable.La plainte déposée par le syndic ad hoc, le Dr Gilles Marion, contient cinq chefs d’infraction:prescription de sérologies SARS-CoV-2 IgG/IgM non médicalement justifiées, au moyen d’ordonnances collectives, entre mai 2020 et juillet 2021, dans plusieurs cliniques du réseau, «le tout contrairement aux principes scientifiques reconnus» et traduisant une pratique «marquée par le lucre et la commercialité»;défaut d’obtenir le consentement libre et éclairé d’un patient pour un test pratiqué en juillet 2021, privant ce dernier de l’information requise sur la nature, l’objectif et les conséquences possibles de l’examen;absence d’accompagnement médical pour ce même patient afin de comprendre le résultat obtenu, ce qui contrevient au devoir de suivi du médecin;propos inexacts, non conformes aux données de la science, tenus à la radio et sur Facebook au printemps 2020 pour promouvoir les tests de dépistage de la COVID-19 alors que leur utilité n’était pas encore démontrée;diffusion de publicités trompeuses ou incomplètes concernant les tests sérologiques dans le Journal de Montréal et le Journal de Québec en mai et juin 2020.Dans le fond, le Dr Lacroix considère que la plainte elle-même s’attaquait au caractère privé de sa pratique. «Les infractions reprochées sont en lien direct avec ma pratique privée. Le chef 1 vise le lucre et la commercialité, et tous les autres chefs s’y rattachent», a-t-il plaidé. Selon lui, les prises de position répétées du Collège sur la place du privé en santé rendent impossible un jugement serein. «L’Ordre véhicule son message auprès de ses membres et du public contre la médecine privée. Les membres médecins du Conseil ne peuvent faire abstraction de cette position.»Le médecin de famille affirme qu’«il y a un biais défavorable manifeste à l’égard des médecins pratiquant dans les cliniques privées, de surcroît l’un des plus importants propriétaires de clinique privée au Québec (...) L’état d’esprit des membres médecins ne peut qu’être teinté par l’esprit défavorable de l’Ordre qui les désigne dans cette ère anti-médecine privée.» Le Dr Lacroix est ainsi convaincu que la garantie d’apparence d’impartialité «ne satisfait pas, même minimalement, aux devoirs et principes applicables» à son dossier.À lire aussi: Le Dr Marc Lacroix sanctionné pour ses propos «hasardeux» sur la gestion de la pandémieUn Collège de plus en plus critique du privéL’argumentaire du Dr Lacroix s’appuyait sur une série de déclarations du CMQ et de son président, le Dr Mauril Gaudreault. À l’automne 2024, le conseil d’administration de l’Ordre a adopté des principes directeurs affirmant que «la santé est un droit fondamental et que les services de santé doivent être considérés comme un bien commun qui ne devrait donc pas faire l’objet de commercialisation». Le Collège a de plus demandé la suspension immédiate de l’expansion du secteur privé et rappelé que «le financement des services offerts au privé doit demeurer totalement public et n’occasionner aucun déboursé supplémentaire de la part du citoyen».Dans une entrevue accordée à Profession Santé, le Dr Gaudreault précisait: «On ne prône pas que le privé disparaisse complètement. On veut qu’il cesse de s’étendre et qu’il soit là uniquement pour soutenir le réseau public.» Autrement dit, qu’il ne concurrence pas et ne menace pas l’universalité des soins.En février 2025, dans un mémoire portant sur le projet de loi 83, le Collège est allé plus loin en réclamant l’abolition pure et simple du statut de médecin non participant à la RAMQ. Cette position, martelée dans des communiqués, sur son site web et jusque sur Instagram, visait à freiner l’essor de la pratique privée. Elle a été relayée lors d’un webinaire, le 17 mars 2025, qui a réuni plus de 3000 médecins. Ces prises de position ont nourri la crainte exprimée par le Dr Lacroix d’un manque d’indépendance du Conseil de discipline.Pour le syndic ad hoc, la plaidoirie du médecin de famille repose sur des hypothèses sans fondement. «L’arrêt des procédures est un recours réservé aux cas les plus manifestes. Ce n’est pas le cas ici», a-t-il observé. Selon lui, «de simples suspicions ou appréhensions ne sauraient démontrer une crainte objective de partialité».«Les allégations concernant l’état d’esprit des membres du Conseil ne sont appuyées par aucune preuve. Elles ne reposent que sur des hypothèses», a ajouté le Dr Marion. Insistant sur le cœur de la plainte, il a rappelé que «ce qui est visé, ce sont les actes posés dans l’exercice de sa profession sans égard au caractère privé de cette pratique.»À lire aussi: La Dre Caroline Quach-Thanh est bien experte en infectiologie et en microbiologieUne position «intenable»Dans sa décision, le Conseil, présidé par Me Lydia Milazzo, balaie les arguments du Dr Lacroix. «Le fait que le Collège des médecins prenne position sur la place du privé en santé ne suffit pas à conclure que les membres du Conseil sont incapables d’indépendance», peut-on lire. Les conseillères rappellent que leur rôle est de juger la conduite reprochée, et non de se prononcer sur les orientations politiques du Collège.Elles précisent que «ce n’est pas le caractère privé de la pratique (du Dr Lacroix) qui est reproché à la plainte. Ce n’est pas non plus le fait qu’il ait été payé pour ses services. C’est le fait d’administrer des tests non médicalement nécessaires, contrairement à la science, qui donne lieu au reproche de s’être prêté à un exercice de la médecine marqué par le lucre et la commercialité.»Le Conseil note en outre que si la requête du Dr Lacroix était acceptée, «aucun médecin en pratique privée ne pourrait faire l’objet d’une plainte visant des services non médicalement nécessaires du seul fait qu’il est payé pour ces services». L’inverse serait aussi problématique si des médecins du privé jugeaient un confrère. «Une telle logique mènerait à ce que l’intimé ne puisse être jugé par aucune formation, ce qui lui conférerait une immunité complète. Cette position n’est pas tenable.»Les audiences sur culpabilité du Dr Lacroix dans cette affaire vont donc reprendre. Leurs dates ne sont toutefois pas encore connues.

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