Le bloc opératoire peut être un endroit dangereux pour les médecins

Objets tranchants, câbles sur lesquels on peut trébucher, bruits forts, gaz, sols glissants... Les salles d'opération sont pleines de dangers pour les personnes qui y travaillent.Et ces risques peuvent entraîner des lésions telles que des douleurs articulaires et des microtraumatismes répétés en raison de la manipulation de médicaments, des lésions chroniques du dos et du cou dues à des position inconfortables tenues pendant de longues périodes – par exemple lors d'opérations chirurgicales ou d'accouchements –, des maladies pulmonaires et bien plus.Une gynécologue-obstétricienne a raconté en entrevue qu'elle avait développé des douleurs dorsales chroniques en pratiquant des accouchements. La douleur s'est atténuée après qu'elle ait pris plusieurs semaines de congé à la suite d'une blessure sans rapport avec sa pratique. Les problèmes de dos «sont donc clairement liés au travail».On a également signalé le cas d'un anesthésiste «qui a glissé et fait une chute dans une salle d'opération, a heurté une surface saillante et a perdu un œil», révèle le Dr Eric Greenwood, un anesthésiste consultant spécialisé dans la sécurité des salles d'opération. Professeur adjoint de médecine à l'Université de Toronto, il est intervenu lors de la récente réunion annuelle de l'Ontario Anesthesia sur les dangers du bloc opératoire.À lire aussi: Épuisement professionnel: comment prendre soin de soi avant les vacances?Mais bon nombre de ces dangers peuvent être éliminés en réaménageant les salles d'opération et en y installant des équipements plus ergonomiques selon lui. «La conception des salles d'opération est généralement axée sur les soins aux patients, les mouvements des patients, l'équipement nécessaire dans la salle et le nombre d'ordinateurs. La façon dont les praticiens se déplacent et interagissent dans l'environnement est souvent négligée», observe le Dr Greenwood. Par exemple, les équipements mal conçus sur le plan ergonomique sont légion. C'est le cas des appareils d'anesthésie, équipés d'un ou deux moniteurs placés sur une étagère statique en hauteur et d'un clavier situé plus bas. Une personne de petite taille doit ainsi pencher la tête vers l'arrière pour voir les moniteurs et risque de se fatiguer le cou, tandis qu'une personne de grande taille doit se pencher vers l'avant pour utiliser le clavier et risque de souffrir de maux de dos, surtout si les postes sont utilisés de manière répétée et pendant de longues périodes. Le fait de les rendre réglables pourrait contribuer à prévenir ces problèmes.Le bruit est un autre problème.«Les outils tels que les réchauffeurs à convection, les ordinateurs, les lasers, l'électrocautère et l’aération ont tous des ventilateurs qui ajoutent au bruit de fond. De plus, les instruments chirurgicaux augmentent les niveaux sonores dans la salle d'opération», précise le spécialiste. « Les outils tels que les réchauffeurs à convection, les ordinateurs, les lasers, l'électrocautère et la ventilation ont tous des ventilateurs qui ajoutent au bruit de fond. De plus, les instruments chirurgicaux augmentent les niveaux sonores dans la salle d'opération », ajoute-t-il. Bien que les études n'aient pas porté sur la perte d'audition (ce qui ne veut pas dire qu'elle n'existe pas), le bruit peut créer des distractions et nuire à la communication. D’autres recherches montrent toutefois qu'un bruit excessif ou constant peut contribuer au stress, aux troubles du sommeil et à l'hypertension.À lire aussi: Horaire atypique et hypervigilance: certains métiers sont plus propices à l'insomnieLes études sur les accidents du travail en salle d'opération sont rares, probablement parce que nombre d'entre eux ne semblent pas être signalés. Surtout si les hôpitaux ne disposent pas d'un bon mécanisme pour traiter les blessures signalées.Cependant, une enquête menée auprès de 1645 chirurgiens orthopédiques aux États-Unis a révélé que ces derniers avaient subi pas moins de 2702 lésions musculo-squelettiques liées au travail: 17,9% de ces lésions ont nécessité un traitement chirurgical. Au total, 61 chirurgiens ont déposé des demandes d'invalidité; parmi eux, 66% seulement ont repris le travail et 34% ont pris une retraite anticipée. En outre, 17,4% des répondants ont reçu un diagnostic de cancer depuis qu'ils ont commencé à exercer, et 93,8% ont déclaré avoir été victimes d'une piqûre au doigt à un moment ou à un autre.La prévalence des lésions et douleurs musculo-squelettiques liées au travail est élevée chez les chirurgiens, selon une métanalyse qui a examiné les différences entre les sous-spécialités. L'étude a en effet révélé que les chirurgiens souffraient fréquemment de problèmes au niveau du cou, des épaules, du haut et du bas du dos et des extrémités supérieures. On apprend aussi que la chirurgie assistée par robot entraînait moins d'inconfort post-opératoire, mais qu'elle pouvait conduire à des positions statiques du cou entraînant une raideur du dos.Selon une autre étude réalisée par des chercheurs britanniques, les gastro-entérologues sont eux aussi fréquemment victimes de lésions musculo-squelettiques liées à la coloscopie. Leur enquête, menée auprès de 368 gastro-entérologues, indique que les lésions professionnelles les plus courantes se situent dans le bas du dos, le cou et le pouce gauche et sont dues à des positions inconfortables et à des efforts répétitifs.En ce qui concerne les blessures par perforation, ou «blessures par objets tranchants», une étude publiée dans l'International Journal of General Medicine et menée par un groupe de chirurgiens a démontré que les étudiants en médecine et les médecins étaient nettement moins enclins à signaler ces blessures que les infirmières. Les médecins avaient moins le réflexe de signaler les blessures par perforation s'ils estimaient que le patient présentait peu de risques. «Malheureusement, cette perception de sécurité peut être dangereuse car les patients peuvent volontairement ou involontairement dissimuler des informations médicales», écrivent les chercheurs. À lire aussi: La sécurité des cliniciens, un enjeu à mettre de l'avantUne autre préoccupation courante est l'infection du personnel médical du bloc opératoire, à la fois par des blessures par piqûre et par des maladies transmises par l'air. Un article de synthèse coécrit par le Dr Greenwood indique que, bien que l’on sache depuis longtemps que des maladies peuvent être transmises d'un patient à un prestataire de soins de santé, «les moyens efficaces pour réduire le risque de transmission et le respect des recommandations ne sont toujours pas optimaux». Par exemple, la transmission du virus de l'herpès simplex 1 (HSV-1) causant le blanchiment herpétique du patient à l'anesthésiste a été reconnue en 1970, et malgré cela, «des infections continuent de se produire en raison du respect variable du port des gants». La dermatite de contact est un problème courant parmi le personnel des salles d'opération, qu'il s'agisse de réactions allergiques au latex des gants ou d'irritations causées par les savons et les désinfectants pour les mains. Selon le Dr Greenwood, il est possible de remédier en partie à ce problème en adoptant des gants sans latex et des lotions et produits de qualité médicale.Selon une étude publiée dans l'Asian Journal of Surgery, les gaz et la fumée présents dans la salle d'opération peuvent également être dangereux. Les couteaux électriques, les scalpels à ultrasons et les lasers peuvent tous produire des fumées chirurgicales, dont certaines sont potentiellement cancérigènes.«Bien que 95% de la fumée chirurgicale soit constituée de vapeur d'eau, les composants des 5% restants peuvent présenter des risques pour la santé. Il s'agit de plusieurs types de composants comme des particules inactives, des produits chimiques, des agents pathogènes et des cellules actives». Les auteurs indiquent que les masques chirurgicaux, les dispositifs d'aspiration et les systèmes portables d'évacuation de la fumée peuvent réduire les risques, mais ils ajoutent que, souvent, les membres du personnel de salle d'opération ne se protègent pas correctement. Les ventilateurs qui permettent d’évacuer la fumée sont toutefois utiles.À lire aussi: Qui vit plus longtemps, un médecin généraliste, un psychiatre ou un urgentologue?Dans son exposé, le Dr Greenwood fait également valoir qu'un autre risque devrait être inclus dans la liste des risques liés aux salles d'opération: les troubles liés à l'utilisation de substances psychoactives (TLU), en particulier chez les médecins qui ont facilement accès à des médicaments puissants entraînant une dépendance.Une étude portant sur 44 736 résidents en anesthésiologie, et menée aux États-Unis entre 1977 et 2013, a révélé que 601 (1,3%) ont développé un TLU; 114 (19%) d'entre eux en sont morts, et sur les 487 qui ont survécu à leur consommation de substances, 32% ont rechuté une fois, et 11% plusieurs fois. Les substances les plus couramment consommées sont les opioïdes (55%), l'alcool (40%) et le propofol (20%). Que peut-on faire? «Il faut être conscient des signes et des symptômes des troubles liés à l'utilisation de substances sur le lieu de travail», affirme-t-il. Il peut s'agir de sautes d'humeur, d'un retrait du cercle amical, de la prise de gardes supplémentaires, de demandes fréquentes de travailler seul, du refus de faire des pauses ou même de prendre davantage de pauses. La collaboration avec la pharmacie peut permettre un accès plus sûr aux médicaments.Lors de la modernisation ou de la conception des salles d'opération, le personnel médical qui y travaille devrait être inclus dans le processus, y compris les soignants de spécialités qui utilisent des équipements variés et peuvent avoir des besoins ergonomiques différents.

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