L’après-COVID-19: Une pratique différente

La pandémie aura un effet durable sur la vie clinique en cabinet. Des médecins témoignent de changements profonds.Au plus fort de la pandémie, le Dr Sylvain Dion, médecin de famille au GMF-U des Etchemins, à Lac-Etchemin, dans Chaudière-Appalaches, pouvait voir jusqu’à trois patients sur quatre en téléconsultation.Depuis le déconfinement, un certain retour à la normale s’est opéré, alors qu’il n’y a plus d’interdiction pour les consultations en clinique. « Il fallait recommencer à voir nos patients en personne. Nous ne pouvons pas tout régler par téléphone. »N’empêche, en juin, encore le quart de ses interactions avec ses patients demeurait sous la forme de la téléconsultation, une proportion qui était à zéro il n’y a même pas six mois.Au GMF-U Laurier, à Québec, la présidente du Collège québécois des médecins de famille (CQMF), la Dre Caroline Laberge, observe aussi qu’un bon quart de ses visites est demeuré virtuel depuis la fin du confinement. « Nous laissons le choix au patient de consulter par téléphone ou en personne. Généralement, ils savent ce qui est le mieux pour eux. »À quelques pâtés de maisons de là, au GMF-U Quatre-Bourgeois de Québec, la Dre Caroline Rhéaume a gardé un bon 30 % de ses consultations à distance.Avec une clientèle caractérisée par des problèmes de santé mentale omniprésents, le Dr Denis Audet, du GMF-U Saint-François-d’Assise, aussi dans la Capitale-Nationale, a quant à lui conservé les trois quarts de ses consultations par téléphone ou autre moyen de télécommunication.« Tous les systèmes de dossier électronique commencent à intégrer des fonctionnalités pour faciliter des consultations virtuelles. Je pense que le phénomène est irréversible », insiste-t-il.La téléconsultation est le phénomène le plus visible en matière de changement dans la pratique en clinique depuis le début de la pandémie, et il sera durable. Mais d’autres changements aussi laisseront leurs marques dans l’avenir.« La pandémie est venue accélérer l’implantation de la consultation à distance. On s’en allait vers ça de toute façon. Les médecins et les patients ne voudront pas revenir en arrière. Ils voudront poursuivre sur cette lancée », souligne le Dr Dion. « Les médecins et les patients ne voudront pas revenir en arrière. » Dr Sylvain Dion, médecin de famille au GMF-U des Etchemins, à Lac-Etchemin, dans Chaudière-AppalachesRedéfinir la pertinence des soinsEn accélérant l’implantation de la télémédecine, la pandémie a permis de réfléchir à la pertinence des soins, soutient le Dr Sylvain Dion. « Il y a des patients que nous faisions revenir à notre bureau pour rien. »Alors que la pertinence des soins fait l’objet de nombreuses initiatives et campagnes depuis plusieurs années, et qu’elle est au cœur même de la plus récente entente collective liant les médecins spécialistes au gouvernement du Québec, le cas de force majeure qu’a constitué l’épidémie de COVID-19 semble lui avoir donné des ailes.« J’ai vu moins de micromycoses, et ç’a a fait mon bonheur, se réjouit la Dre Caroline Laberge. L’occasion était parfaite pour redéfinir la pertinence de certains soins. Nous devons nous assurer que les gens consultent pour des raisons appropriées. »Selon elle, plusieurs personnes vont faire le constat qu’il n’est pas toujours nécessaire de consulter un médecin. « Par exemple, des gens qui ont eu des symptômes respiratoires ou des rhumes pendant le confinement ont constaté que ces maladies guérissent toutes seules, sans prise d’antibiotique. La prochaine fois, ils ne consulteront peut-être pas un médecin lorsqu’ils auront ces symptômes. »Le Dr Dion est du même avis : la pandémie fera prendre conscience qu’il n’est pas toujours nécessaire de consulter un médecin et que d’autres professionnels peuvent évaluer un patient. Par exemple, une infirmière peut décider si le patient a toujours besoin de revoir un médecin, ou s’il peut être dirigé vers l’autosoins.« Le but n’est pas de fournir une consultation médicale, mais de donner le service approprié, et de répondre aux besoins du patient », dit le Dr Dion, convaincu que la crise aura permis de renforcer la collaboration interprofessionnelle.Pour ce dernier, la pandémie permettra également de redéfinir la pertinence des rendez-vous en personne. « Un patient qui aura expérimenté une consultation téléphonique ne voudra peut-être plus que des rendez-vous téléphoniques par la suite. »Même l’examen physique peut s’avérer superflu, a constaté le Dr Audet. « Pour évaluer une lésion cutanée, on a une bonne idée avec une photo envoyée par le patient », dit-il. Pour une douleur musculosquelettique, le médecin peut diriger le patient, après lui avoir demandé où se situe sa douleur. « Si le patient n’est pas sûr ou s’il est un mauvais descripteur, je vais lui demander de venir à la clinique », ajoute-t-il.Baisse de productivitéEn dehors de la télémédecine, les consultations en personne demeurent laborieuses en raison des mesures sanitaires mises en place.À chaque fois qu’un patient quitte le bureau du médecin, les instruments médicaux, la table d’examen et la chaise où il s’assied doivent être désinfectés.La Dre Caroline Laberge estime que sa productivité a chuté de 25 % à cause de ces mesures. Et même sans ces dernières, la consultation est plus longue, puisqu’elle doit répondre aux nombreusesinterrogations de ses patients sur la COVID-19. « Nous avons enlevé tout ce que le monde pouvait “taponner”. » Dr Denis Audet, GMF-U Saint-François-d’Assise, à QuébecÀ cela s’ajoute le port du masque chirurgical qui peut rendre la communication plus difficile, selon le Dr Dion, qui a également noté une baisse de productivité avec les rendez-vous en personne. « Le masque crée une petite barrière. Comme il nous couvre le bas du visage, le patient voit moins notre non-verbal. Ainsi, il faut traduire dans des mots ce qu’auparavant on pouvait traduire par le non-verbal », dit-il.Pour lever en partie cette barrière, le médecin de famille permet à ses patients de retirer leur masque lorsqu’ils entrent dans son bureau.La télémédecine a également l’avantage de ne pas congestionner les salles d’attente. Cela a d’ailleurs facilité le respect des mesures de distanciation sociale. Au GMF-U Saint-François-d’Assise, à Québec, les trois quarts des chaises ont disparu et celles qui restent n’ont plus d’appuie-bras. Il n’y a plus de tables ni de magazines. « Nous avons enlevé tout ce que le monde pouvait “taponner” », souligne le Dr Denis Audet.Des cliniques médicales ont aussi retiré les jeux pour les enfants, alors que d’autres interdisent aux patients de toucher la poignée de la porte du bureau du médecin.Les impacts de la pandémie sur l’aménagement des cliniques ont été importants, observe le Dr Dion. Difficile toutefois de dire pour le moment si la diminution des consultations en personne aura un impact permanent sur la restructuration des cliniques.Un système d’alternanceParmi les innovations liées à la téléconsultation, établie en urgence durant la pandémie, le concept d’alternance s’est imposé : une première visite en clinique, suivie d’une autre en virtuel.Pour la Dre Caroline Laberge, plusieurs suivis, dont ceux pour les problèmes de dépression et d’anxiété, peuvent très bien se faire au téléphone. Même chose pour les ajustements de médicaments. « Je n’ai pas l’impression que c’est délétère pour mes patients de faire ces suivis par téléphone. »En contrepartie, la consultation à distance peut entraîner des problèmes de confidentialité, souligne le Dr Audet. « Si vous êtes au travail, est-ce que votre boss est dans votre dos ? Si vous êtes chez vous, est-ce que votre conjoint est là, tout proche ? La personne n’est peut-être pas dans un endroit où elle peut parler librement, comme dans le bureau d’un médecin. »Chaque époque marquée par de profonds changements apporte son lot d’adaptations

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