L'anniversaire d'un tournant

L'automne dernier, je suis partie en Italie avec mon mari pour fêter notre anniversaire de mariage. Là-bas, je me suis retrouvée face au David de Michel-Ange.Je l'avais déjà vu lors d'un voyage il y a plusieurs années, alors que j'étais encore plongée dans le rythme effréné de la médecine de la fertilité. À l'époque, j'avais admiré son esthétique, son ampleur, la perfection des formes. Je me souviens m’être dit: oui, c’est impressionnant — puis j’ai poursuivi mon chemin.Cette fois-ci, je l'ai vu différemment.Son attitude, à la fois sereine et prête à l'action. La façon dont chaque muscle semblait alerte, mais immobile. L'impression qu'il s'agissait d'un homme suspendu dans un souffle avant l'action, ancré, stable, ne se précipitant pas en avant, ne reculant pas.L'œuvre de Michel-Ange n'avait pas changé entre mes deux visites. Mais moi, oui.Il y a un an, alors que j’étais loin de Florence, j'essayais de trouver comment poursuivre une carrière qui commençait à m'épuiser.Je n'ai pas quitté la médecine de la fertilité parce que je le voulais. Je suis partie parce que mon corps et mon esprit en avaient besoin.La pratique dans le domaine de la fertilité est à la fois une affaire de science et d'émotions à plein tube. Les protocoles sont précis. La technologie est exigeante. Les enjeux émotionnels sont colossaux. Mes journées étaient remplies de couples qui se trouvaient dans cette étroite fenêtre où l'espoir et la biologie pouvaient encore se rencontrer. Chaque décision semblait urgente. Chaque retard avait des conséquences.C’était un travail porteur de sens, mais la médecine a cette faculté de nous pousser à continuer de donner bien après avoir atteint nos limites. Je me disais que je pourrais récupérer les fins de semaine, pendant les rares vacances ou quand les choses «se calmeraient». Elles ne se sont jamais calmées.J'ai ignoré les signes chez moi que j'aurais immédiatement reconnus chez un patient: une fatigue qui ne disparaissait pas, une concentration qui faiblissait, un tempérament colérique qui ne me ressemblait pas. La médecine nous apprend à remarquer la détérioration chez les autres et à la normaliser chez nous-mêmes.Lorsque j'ai réalisé que j'avais besoin de changement, la décision n'était plus facultative. Ma santé l'avait déjà prise pour moi.Je ne suis pas «partie» un jour précis. Cela a été des mois de discussions et d'hésitations, où j'ai pesé ce que je quittais par rapport à ce que je pourrais préserver si je changeais. Il n’y a pas eu de fête d’adieu, pas de rupture nette — seulement un relâchement progressif de mon emprise sur ce travail que j’avais appris à faire, toute ma vie d’adulte, de cette manière-là.Un médecin témoigne: «C’est ça ta vie maintenant: il faut que tu t’y fasses»Quand j’ai finalement pris du recul, je n’avais pas de grand plan. Je savais seulement que ma façon de pratiquer n’était plus viable et qu’il me fallait trouver une manière de continuer sans me briser.Les premiers mois n'ont pas été faciles. Ils ont été étranges, déroutants. J'avais quitté une vie fondée sur l'urgence pour atterrir dans un espace soudainement calme, presque trop calme.Finalement, j'ai commencé à travailler dans le domaine de la médecine hormonale: ménopause, périménopause, SOPK. La science est tout aussi complexe, mais le tempo est différent. Les conversations peuvent respirer.Une femme d'une quarantaine d'années est assise en face de moi et me dit qu'elle ne se sent plus elle-même depuis des années. Nous retraçons son histoire: les troubles du sommeil, les migraines, les changements d'humeur, la prise de poids progressive. Je pense au rôle de l'œstrogène dans son hippocampe, à la progestérone et au GABA, à la résistance à l'insuline et au cortisol. Avec elle, je parle de la raison pour laquelle ces fils sont liés et de la manière dont nous pouvons les démêler.Le travail n'est pas plus facile. Mais il est durable. Et il nourrit la partie de moi qui m'a poussée à me lancer dans la médecine: celle qui aime s'asseoir en face de quelqu'un, prendre en charge la complexité à sa place pour que la personne puisse y voir plus clair.Ce à quoi je ne m'attendais pas, c'était la guérison qui s'est produite en cours de route, des changements que je n'avais pas délibérément recherchés, mais qui se sont produits parce que j'ai enfin donné la priorité à ma santé, en particulier ma santé mentale.À lire aussi: Épuisement et surmenage: les médecins canadiens toujours sous pressionLorsque vous vivez dans une urgence constante, votre système nerveux apprend à maintenir la tension par défaut. Dans mon nouveau rythme, j'ai commencé à remarquer que je n'étais plus constamment tendue: mes épaules se sont détendues, ma mâchoire s'est relâchée. Je pouvais aller à la rencontre d'un patient sans porter les séquelles du précédent.Je riais plus facilement. Ma concentration était revenue. Le sentiment d'angoisse qui s'était insinué dans mes matinées a commencé à s'estomper.Non pas que ma vie soit soudainement devenue simple. Mais mon esprit avait désormais l'espace nécessaire pour se rétablir. Et grâce à ce rétablissement, j'ai découvert que je pouvais être présente, non seulement en tant que médecin, mais aussi en tant qu'être humain, d'une manière qui m'était impossible auparavant.Ce changement m'a rappelé quelque chose que Michel-Ange a dit à propos de la création de son David: il était déjà présent dans le marbre, il n'a fait qu'enlever ce qui n'était pas lui.Je n'avais pas prévu de me lancer dans une nouvelle carrière. Ma santé m'avait obligée à commencer à éliminer ce qui me détruisait. Mais en supprimant ce qui ne me convenait plus, j'ai commencé à entrevoir une nouvelle avenue à suivre.Lorsque nous sommes partis en Italie pour notre anniversaire de mariage, cela faisait déjà six mois que je menais cette nouvelle vie. En me retrouvant à nouveau devant le David, j'ai compris pourquoi je le voyais différemment.La première fois, j’avais admiré la perfection du geste. Cette fois, j’ai compris la puissance de la pause: la force contenue dans l’immobilité avant le mouvement.À lire aussi: Retrouver le sens en médecine: quand les «moments sacrés» protègent du burn-outC'était mon année: pas la bataille, mais le moment qui la précède. Le regroupement. La stabilisation de mes pas. La prise de conscience que la phase suivante allait arriver, mais qu'elle ne serait pas nécessairement identique à la précédente.La médecine de la fertilité m'a apporté des compétences techniques, une précision diagnostique et la capacité d'accompagner les gens dans leurs moments les plus vulnérables. Elle m'a également pris des choses dont je n'avais pas remarqué la perte avant qu'elles ne disparaissent: la curiosité de suivre l'histoire d'un patient sans me précipiter, le calme mental nécessaire pour voir la personne dans son ensemble, et pas seulement le problème à résoudre.Ce nouveau chapitre de ma carrière m'a rendu une partie de cela et m'a apporté des éléments dont je ne savais pas qu'ils me manquaient.Je comprends maintenant que ma propre guérison et celle de mes patients ne sont pas séparées. L'espace que j'ai retrouvé dans mon esprit me permet d'être présente auprès d'eux d'une manière qui m'était impossible auparavant.Les anniversaires sont un miroirIl y a un an, j'étais épuisée, j’essayais de décider ce que je devais éliminer avant de m'effondrer complètement. Cette année, je vois les contours de ce qui reste: ce n'est pas parfait, ce n'est pas fini, mais c'est assez solide pour tenir debout.Si la première année a consisté à éliminer ce qui me détruisait, la suivante sera consacrée au raffinement. À l'approfondissement de mes connaissances. À perfectionner l'art d'écouter attentivement pour entendre ce qu'un patient n'a pas encore trouvé les mots pour dire.Je n'ai pas choisi de partir comme les gens l'imaginent. Je suis partie parce que je le devais. Mais un an plus tard, je me rends compte que parfois, ce qui commence comme une question de survie devient le début de quelque chose de plus délibéré, quelque chose qui, avec le temps, commence à ressembler à votre propre création.Le David de Michel-Ange se dresse depuis plus de 500 ans, sculpté dans un bloc de pierre abandonné par d'autres. Je n'en suis encore qu'au début de ma sculpture. Mais en ce jour anniversaire, je sais que je travaille avec le bon morceau de marbre.Et s'il y a une chose que j'ai apprise, c'est celle-ci: la médecine exige autant que nous lui donnons. Nous devons décider, parfois douloureusement, quand cesser de lui donner plus qu'elle ne mérite. Et lorsque nous le faisons, nous pouvons découvrir qu'en nous sauvant nous-mêmes, nous voyons aussi le monde entier, et nos patients, différemment.La Dre Ginevra Mills est gynécologue et endocrinologue de la reproduction à Victoria.

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