L’allaitement pourrait protéger contre la puberté précoce centrale

La puberté qui s’enclenche trop tôt n’est pas qu’un simple détail biologique. Elle bouleverse l’équilibre psychosocial des enfants et annonce souvent des risques accrus à l’âge adulte: diabète, maladies cardiovasculaires, cancers, troubles gynécologiques ou obstétricaux. En parallèle, la puberté précoce d’origine centrale (CPP), déclenchée par l’activation prématurée de l’axe hypothalamo-hypophyso-gonadique, suscite une inquiétude croissante. «L’âge du début de la puberté a progressivement diminué au cours des dernières décennies, accompagné d’une incidence croissante de CPP», rappellent Yunsoo Choe, pédiatre au Hanyang University Guri Hospital, et ses collègues dans le JAMA Network Open. Dans ce contexte, ils ont voulu savoir si un facteur aussi précoce et modifiable que le mode d’alimentation du nourrisson pouvait infléchir cette trajectoire.Pour répondre à cette question, les chercheurs ont exploité la base du National Health Insurance Service en Corée du Sud. Leur étude rétrospective a porté sur 322 731 enfants nés entre 2007 et 2010, suivis de la naissance jusqu’à 9 ans pour les filles et 10 ans pour les garçons. Les modes d’alimentation durant les quatre à six premiers mois de vie — allaitement exclusif, lait maternisé ou mixte — ont été déclarés par les parents lors d’un bilan de santé. L’adiposité a été mesurée à 66–71 mois et la CPP définie par un diagnostic posé par un médecin accompagné d’agonistes de la gonadolibérine (GnRH).Effet protecteur de l’allaitement exclusifParmi les enfants exclusivement allaités, la prévalence de la CPP était de 2,8%, contre 3,0% chez ceux nourris au lait maternisé ou de façon mixte. Après ajustement, le risque de CPP était significativement accru chez les enfants qui n’ont pas du tout été allaités:garçons nourris au lait maternisé: HRa (adjusted Hazard Ratio, ou rapport des risques ajusté) 1,16, (IC à 95% 1,10–1,21, p < 0,001);garçons nourris de façon mixte: HRa 1,14 (IC à 95% 1,07–1,20, p < 0,001);filles nourries au lait maternisé: HRa 1,60 (IC à 95% 1,24–2,06, p < 0,001);filles nourries de façon mixte: HRa 1,45 (IC à 95% 1,07–1,97, p < 0,001).«Les enfants qui n’ont pas été allaités exclusivement durant les 4 à 6 premiers mois avaient une probabilité plus élevée de développer une puberté précoce centrale, quel que soit le sexe», écrivent les auteurs. L’analyse de médiation montre que le surpoids ou l’obésité prépubertaire expliquait 7,2% de cette association chez les garçons (IC à 95% [bootstrap] 4,5–12,1) et 17,8% chez les filles (IC à 95% [bootstrap] 6,6–30,0). Le faible poids de naissance (HRa garçons 1,99 [IC à 95% 1,21–3,26]; filles 1,17 [IC à 95% 1,05–1,30]) ou encore l’âge maternel de 35 ans et plus (HRa filles 1,43 [IC à 95% 1,24–1,66]) constituaient également des facteurs de risque indépendants.À lire aussi: Comment la caféine affecte-t-elle le sommeil, la puberté et le comportement des jeunes ados?Des mécanismes biologiques encore à préciserAu-delà de l’effet sur le poids, les chercheurs évoquent plusieurs pistes physiopathologiques. «Bien que la concentration d’IGF-1 dans le lait maternisé soit inférieure à celle du lait maternel, les nourrissons nourris au lait maternisé tendent à avoir des concentrations circulantes d’IGF-1 plus élevées à l’âge de 3 mois», notent-ils. L’IGF-1 est associé à une croissance linéaire accélérée et pourrait «stimuler la production de stéroïdes sexuels et la sécrétion de GnRH», favorisant ainsi une maturation pubertaire plus précoce.Le microbiote intestinal est une autre piste. «Le lait maternel contient des bactéries bénéfiques qui façonnent principalement le microbiote du nourrisson», signalent les auteurs. Les enfants allaités présentent davantage de Bifidobacterium et une diversité microbienne moindre, alors que ceux nourris au lait maternisé présentent une diversité plus grande avec davantage de Firmicutes et de Proteobacteria. Ces différences pourraient influencer la régulation hormonale et le déclenchement de la puberté.Dans un commentaire publié conjointement par le JAMA Network Open, l'épidémiologiste Lin Yang (de l’Alberta Health Services et de l’Université de Calgary) et la Dre Shengxu Li (du Children’s Hospitals and Clinics of Minnesota) replacent ces résultats dans un cadre plus large. «L’allaitement exclusif au cours des premiers mois de vie était associé à une réduction du risque de CPP chez les deux sexes, médiée en partie par le surpoids prépubertaire», résument les deux chercheuses. Un enjeu de santé publiquePour elles, cette étude s’ajoute aux bénéfices déjà bien documentés de l’allaitement — réduction de la morbidité infantile, meilleure neurodéveloppement, moindre risque d’obésité et de diabète à l’âge adulte. Elle invite aussi à considérer la prévention de l’obésité infantile comme un levier central: activité physique, sommeil, environnement familial. «La maladie commence tôt, sa prévention aussi», rappellent Lin Yang et Shengxu Li.À lire aussi: Maigreur à l’adolescence, risque pour la santé osseuse à l’âge adulteComme toute étude observationnelle, celle-ci ne permet pas d’inférer une causalité stricte. Le mode d’alimentation a été déclaré une seule fois, la définition de la CPP reposait sur des codes diagnostiques et des prescriptions, et l’âge des premières règles maternelles n’était pas disponible. Mais la taille de la cohorte, la rigueur des analyses, la stratification par sexe et la confirmation des résultats par analyses de sensibilité renforcent sa validité.La CPP n’est pas seulement un enjeu clinique, c’est aussi un problème de santé publique croissant. Les enfants qui y sont confrontés peuvent subir des effets psychologiques délétères et un risque médical accru tout au long de la vie. Or, comme le notent Lin Yang et Shengxu Li, «les taux d’allaitement exclusif demeurent insuffisants et en déclin dans de nombreux pays à revenu élevé, y compris en Corée du Sud». Favoriser l’allaitement passe donc par des politiques de congé parental, des environnements de travail favorables et un soutien actif à la lactation, estiment les deux chercheuses, en ajoutant que la prévention de l’obésité infantile doit rester une priorité.Références:Choe Y, Ryu S, Choi J, et coll. Breastfeeding, Prepubertal Adiposity, and Development of Precocious Puberty. JAMA Netw Open. 2025;8(8):e2527455. doi:10.1001/jamanetworkopen.2025.27455Yang L, Li S. Breastfeeding, Adiposity, and Precocious Puberty in Boys and Girls. JAMA Netw Open. 2025;8(8):e2527461. doi:10.1001/jamanetworkopen.2025.27461

L’allaitement pourrait protéger contre la puberté précoce centrale

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