«La première fois que les étudiants voient un patient de couleur, ce ne devrait pas être à l'hôpital»

Les premiers patients que rencontrent les étudiants en médecine de l’Ontario sont des acteurs – qu’on appelle patients standardisés (PS) – formés pour imiter les symptômes et les signes d’une maladie. Grâce à eux, les étudiants s’exercent à diagnostiquer et à annoncer un cancer, à motiver les patients à renoncer au tabac, ainsi qu’à acquérir toute une série d’autres compétences cliniques.Le plus souvent, les PS sont des retraités, de jeunes étudiants et, plus rarement, des acteurs professionnels. Ils sont invités à jouer le rôle d’un patient et à être interrogés ou examinés pour un salaire d’environ 20 dollars de l’heure. Les facultés de médecine les recrutent dans leur entourage, principalement par le bouche-à-oreille et les sites d’emploi.Les experts affirment toutefois que le faible salaire et le caractère occasionnel de ce travail contribuent à un manque de diversité ethnique et d’âge parmi les candidats. Un rapport de l’Association canadienne des étudiants noirs en médecine (ACÉNM) indique que certaines facultés de médecine prévoient d’«accroître la diversité au sein des programmes de patients standardisés afin d’améliorer la compréhension de la santé des Noirs», mais la plupart «n’ont pas fourni d’informations sur la manière dont elles prévoient d’atteindre cet objectif». Plusieurs groupes de défense affirment qu’il est essentiel d’accroître la représentativité des PS pour préparer les futurs médecins de l’Ontario à prendre soin d’une population de plus en plus diversifiée.Le premier programme s’appuyant sur des patients standardisés a été lancé à l’Université McMaster en 1971. Aujourd’hui, toutes les facultés de médecine de l’Ontario font appel à des acteurs pour permettre aux étudiants d’apprendre et de tester leurs compétences cliniques en toute sécurité. Après une consultation médicale ou un examen physique dont le scénario est établi par le corps enseignant, les PS donnent leur avis aux étudiants, en intégrant souvent leurs expériences personnelles, pour les aider à développer leurs compétences cliniques au chevet des patients.L’Université Queen's emploie plus de 100 PS, explique Mitchell Doherty, directeur des opérations du programme d’apprentissage par l’expérience et du centre de simulation clinique. Environ 10 % d’entre eux sont des personnes de couleur – et les étudiants et les professeurs insistent pour qu’il y en ait davantage. Les facultés de médecine peuvent se servir de mannequins pour simuler diverses teintes de peau, mais ce sont «des outils dépassés», estime M. Doherty. «Il y a des domaines où [un vrai corps] est nécessaire pour l’évaluation physique.»Par exemple, les éruptions cutanées ont un aspect différent selon le type de peau, explique Kassandra Coyle, la présidente de l’ACÉNM. La diversification des groupes de PS est «une priorité pour tous les étudiants, et pas seulement pour ceux qui s’identifient comme Noirs, car lorsque [les médecins] exerceront, [leur] patientèle sera diversifiée».Selon Eva Vieira, de l’Association canadienne des étudiants en médecine latino-américains (ACEMLA), la diversité physique, linguistique et culturelle devrait devenir familière aux étudiants en médecine par l’intermédiaire de leur formation clinique. «Du point de vue du patient, la barrière de la langue affecte à la fois sa compréhension du diagnostic et son adhésion au traitement. Du point de vue du médecin, des facteurs clés tels que les antécédents médicaux, sociaux et familiaux du patient doivent être recueillis pour s’assurer que les médecins posent un diagnostic bien documenté», souligne Eva Vieira.Lire aussi: Le racisme anti-noir encore trop présent dans l’enseignement médical canadienPour Sydney Forbes, de l’Association des étudiants en médecine autochtones du Canada (AEMAC), les PS issus de milieux différents peuvent contribuer à inverser la dynamique de pouvoir typique entre les médecins et les patients.Les «vrais» patients qui n’ont pas d’autre endroit où se faire soigner peuvent craindre une perte d’accès ou des soins de qualité inférieure s’ils critiquent leur médecin. Cependant, les PS peuvent corriger les étudiants et les médecins lorsqu’ils commettent des erreurs. «L’acteur a vraiment du pouvoir, observe Sydney Forbes, qu’il soit Autochtone ou autre, parce qu’il est l’enseignant dans cette situation... Alors qu’en clinique, avec un patient, [un médecin] ne va probablement jamais être corrigé. (Le patient) va simplement se taire et passer à autre chose.»Sijyl Fasih a été une patiente standardisée pendant sept ans à Ottawa avant de devenir elle-même étudiante en médecine à l’Université Queen's. Elle porte le hijab et craignait que son apparence physique ne perturbe un scénario – une jeune femme cherchant à obtenir des conseils en matière de santé sexuelle. «Lorsque les étudiants ont vu mon hijab, ils se sont dit : “Wow, je ne m’attendais pas à voir ça venir.”» Aujourd’hui, Sijyl Fasih s’efforce de ne rien présumer des patients avant de les rencontrer. Apprendre cela dans une simulation «est bien mieux pour [les étudiants] que dans un véritable environnement clinique».Lire aussi: Des professionnels admettent manquer de connaissance pour soigner les personnes transL’Association médicale canadienne (AMC) a récemment reconnu ces préjudices en présentant ses excuses aux peuples autochtones. «La méfiance à l’égard de la profession a conduit à ce que de graves problèmes de santé ne soient pas diagnostiqués ou traités correctement», a déclaré l’AMC en présentant ses excuses pour les préjudices passés et présents.La plupart des facultés de médecine de l’Ontario recrutent des PS localement, mais toutes les communautés ne disposent pas d’un ensemble de modèles naturellement diversifiés, explique Eugenia Piliotis, doyenne associée de la faculté de médecine de l’Université Queen's. La nature occasionnelle et peu rémunératrice de la profession rend difficile le recrutement de patients standardisés. L’Université de Toronto et l’Université Queen's ont toutes deux des PS qui participent à leurs programmes depuis plus de 30 ans.«Je pense qu’une partie [de la raison pour laquelle il y a peu de patients standardisés autochtones] est également due à la relation que [ces derniers] entretiennent avec les soins de santé», indique Sydney Forbes.Ancienne assistante du programme de patients standardisés de l’Université Queen's, où elle est actuellement étudiante en médecine, Landon Montag explique qu’elle a embauché des PS qui avaient eu «une expérience vraiment négative et qui voulaient faire partie de la solution pour l’avenir des soins de santé». Ils voulaient «aider à former les médecins à avoir une approche plus centrée sur le patient et à prendre réellement en compte ses sentiments».Selon elle, le programme d’études doit également être modifié afin de proposer des scénarios plus diversifiés sur le plan de l’âge, de l’origine ethnique et du sexe. En tant qu’assistante, elle a plaidé en faveur d’un élargissement des critères d’âge et de sexe, ce qui lui a permis d’embaucher des PS plus diversifiés.Le recrutement ciblé peut également s’avérer utile. «Il est à espérer qu’en se tournant vers des communautés et des cliniques spécifiques, nous serons en mesure de recruter davantage de PS et avec une plus grande diversité», signale Eugenia Piliotis.Les représentants de l’Université de Toronto et de l’Université Western ont également indiqué que la communication avec les communautés était une stratégie actuelle ou prévue pour atteindre leurs objectifs en matière de diversité des patients standardisés.Selon Sijyl Fasih, il est important de bien faire les choses: «La première fois que [les étudiants] voient un patient de couleur, ce ne devrait pas être à l’hôpital.»La Dre Suffia Malik est journaliste spécialisée dans la santé et résidente en médecine familiale. Elle est aussi boursière du Dalla Lana Fellowship in Journalism and Health Impact.Cet article initialement publié sur le site web Healthy Debate a été traduit par Profession Santé.

«La première fois que les étudiants voient un patient de couleur, ce ne devrait pas être à l'hôpital»

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