La pharmacoéconomie pour les nuls

Parler d’argent est parfois tabou, mais la question du remboursement des médicaments est incontournable, y compris pour notre pratique en pharmacie. Certaines personnes, comme Yasmine Mouley, M.Sc., se spécialisent dans le domaine de la pharmacoéconomie (PE). Chaque semaine, elle en démystifie les concepts via des capsules sur LinkedIn, offrant aux professionnels de la santé une meilleure compréhension des enjeux économiques qui influencent notre pratique. Elle a été rencontrée pour apporter son expertise et supporter la rédaction de ce billet de blogue.État de la situation: où vont nos dépenses de régimes publics d’assurance? Chaque prescription que nous délivrons a un coût sur le système de soins. En 2022, les dépenses des régimes publics d’assurance médicaments au Canada ont représenté 17,2 milliards de dollars. Certains médicaments ont contribué davantage aux dépenses, tels que Trikafta représentant 285 millions de $ (et responsable de 25% de la croissance totale des dépenses), ainsi que les dépenses liées à l’Ozempic qui sont passées de 265 millions en 2021 à 434 millions en 20221.Le Québec est la deuxième province, après l’Ontario, à engendrer le plus de dépenses au Canada, s’élevant à 4,9 milliards en 2022. Les catégories les plus souvent remboursées sont les antinéoplasiques et les immunomodulateurs (21,4%), l’appareil digestif et le métabolisme (16%), le système nerveux (15,1%) et le système cardiovasculaire (10,7%)2. Ces chiffres vous surprennent-ils?Rembourser ou ne pas rembourser? Telle est la question! Avec la prémisse que les ressources économiques en santé sont limitées, certains choix doivent être faits pour assurer une allocation optimale des ressources. L’alternative la plus efficiente sera retenue. Pour y arriver, chaque compagnie pharmaceutique qui désire commercialiser un nouveau médicament, innovateur ou générique, doit argumenter que le coût proposé est justifié par une efficacité démontrée et ce, en comparaison aux alternatives disponibles sur le marché. Le dossier de soumission produit par le fabricant sera envoyé à l’institut évaluateur de chacune des provinces, soit l’Institut national d'excellence en santé et en services sociaux (INESSS) pour le Québec. Est-ce que le médicament proposé apporte un réel avantage clinique supplémentaire? Le médicament est-il plus cher, mais nous évitera-il un nombre d’hospitalisations considérables? Pour répondre à ces questions, Yasmine Mouley, ayant œuvré à l’INESSS, explique que l'organisme évalue un traitement en fonction des critères suivants:Valeur thérapeutiqueJustesse du prixRapport entre le coût et efficacitéLes conséquences sur la population et le système de santé Une fois que l’analyse du rapport du fabricant complétée, elle est délibérée au sein d’un comité scientifique puis une recommandation est acheminée au ministre de la Santé qui décide d’inscrire ou non le médicament sur la liste de la RAMQ. Cette décision a certainement un impact sur l’accessibilité du traitement et affectera le budget pour de décisions futures.Trop souvent reléguée au second plan, la PE est bien plus utile qu’on le croit. «La PE peut intervenir à n’importe quelle étape du développement du médicament, mais surtout à la fin, puisque c’est à ce moment-là qu’on a suffisamment de données pour tirer des conclusions concrètes pour la pratique», explique Yasmine Mouley. Quand la PE devient un enjeu de sociétéLorsqu’un traitement novateur est refusé au remboursement, la controverse s’invite souvent dans le débat public. Le récent cas où La Presse a publié que le Québec refuse de couvrir un casque qui peut prolonger la vie (mars 2025) illustre parfaitement la complexité des décisions en pharmacoéconomie.Dans le rapport de l’INESSS, on peut lire: «À la lumière des analyses économiques effectuées, l’ajout du dispositif au standard de soins ne constitue pas une option de traitement efficiente au prix soumis»3,4.Les contraintes budgétaires sont inévitables. Les ressources en santé sont limitées, et chaque dollar investi doit générer un bénéfice maximal pour la population. Ce refus de remboursement nuit sans équivoque à l’accessibilité du dispositif, alimentant un sentiment d’injustice et un enjeu d’équité. Or, nous sommes vraiment pris entre l’arbre et l’écorce... L’importance de la PE pour les pharmaciensLes évaluations économiques fournissent des informations cliniques additionnelles par rapport à la monographie. Elles détaillent des études de sous-populations, discutent de l’usage du médicament en vie réelle, considèrent les enjeux du parcours patient et comparent avec d’autres alternatives. Lorsqu’on hésite à substituer un médicament lors d’une rupture, l’analyse PE est intéressante à considérer pour proposer une option abordable et efficace. Pour consulter les analyses PE, rendez-vous sur le site de l’INESSS ou en consultant les évaluations économiques décrites dans les articles scientifiques. Pièges à éviterAttention, attention! Yasmine Mouley nous met en garde. Il faut: Ne pas se fier uniquement au coût direct: certains traitements sont plus chers, mais réduisent davantage les coûts indirects (ex : hospitalisations évitées, observance améliorée).Ne pas confondre coût et efficacité: un médicament plus cher n’est pas forcément plus efficace, et un moins cher n’est pas toujours le meilleur choix pour le patient.Négliger les facteurs qui influencent le ratio coût-efficacité: un traitement peu coûteux, mais avec des effets secondaires importants ou une posologie complexe, peut nuire à l’observance et réduire son bénéfice réel.Un équilibre fragileLe remboursement d’un médicament, comme le Trikafta ou l’Ozempic, peut représenter des dépenses considérables pour le système de santé. À l’inverse, un refus de prise en charge crée une barrière d’accessibilité, laissant certains patients dans le désarroi. Trouver un juste équilibre entre viabilité économique et accès équitable aux soins demeure un défi majeur.Les décisions en pharmacoéconomie ne sont jamais simples: elles nécessitent d’évaluer à la fois l’efficacité clinique, le coût à long terme et l’impact global sur le système de santé. Plutôt que d’opposer les contraintes budgétaires aux besoins des patients, il est essentiel d’encourager une approche transparente et fondée sur des données probantes. Après tout, derrière chaque chiffre, il y a des vies humaines en jeu.ICIS fournit beaucoup d’information sur le système de santé du Canada. Pour les mordus des chiffres, visitez le site de l’ICIS.Ibid. Télécharger les tableaux Excel des données. Extrait de la décision de l’INESSS. Dispositif Optune pour le traitement des patients adultes atteints d’une glioblastome nouvellement diagnostiqué. 5 octobre 2023. Pour consulter l’avis complet de l’INESSS du Dispositif Optune.