La paperasse est-elle en train de détruire la médecine familiale?

Selon le Collège des médecins de famille de l’Ontario, 2,5 millions d’Ontariens n’ont pas de médecin de famille. En fait, on estime que d’ici 2026, un quart des habitants de la province seront dans cette situation. Malheureusement, de nombreux omnipraticiens abandonnent leur pratique et de moins en moins d’étudiants en médecine choisissent la médecine familiale. Lorsque j’ai suivi ma formation de médecin de famille, il y a près de vingt ans, l’atmosphère entourant le métier était très différente. Pendant mes études, on m’a appris à utiliser la science pour résoudre des problèmes médicaux, à travailler en partenariat avec des spécialistes et à apporter du soutien aux patients dont je m’occupais. Aucune de mes formations n’a porté sur la manière de gérer la montagne de paperasse, de tâches administratives et autres responsabilités cléricales qui m’incombent quotidiennement. Cette charge administrative croissante est en train de détruire la médecine familiale.À lire aussi: Paperasse: Québec adopte le projet de loi 68La charge administrative est un terme fourre-tout qui englobe tout le travail quotidien d’un médecin de famille qui ne consiste pas à voir des patients. J’accomplis ce travail avant ou après mes heures de consultation et dans les quelques instants qui séparent deux rendez-vous avec les patients, mais il est souvent effectué après les heures de bureau. Au cours d’une journée type, les formulaires qui jonchent mon bureau sont un amas de notes médicales, de requêtes de massothérapie, de formulaires de soins à domicile, de demandes d’examens, de subventions de transport, de demandes de médicaments spéciaux et j'en passe.Mon vieux télécopieur ne cesse de cracher des demandes de renouvellement de médicaments envoyées par les pharmacies. Je frémis lorsque je vois arriver sur mon bureau le formulaire de demande de crédit d’impôt pour personnes handicapées de 16 pages. Les fastidieux formulaires d’assurance invalidité diffèrent d’une compagnie d’assurance à l’autre et comportent entre 20 et 100 questions. Les demandes de lettres formulées par les avocats nécessitent souvent de passer au crible des années de documentation médicale. Il est essentiel que je remplisse ces formulaires, mais ils me prennent de plus en plus de temps chaque année. Un temps que je préférerais consacrer à mes patients à la clinique.À lire aussi: Les astuces de vos pairs pour sauver du tempsLa charge administrative ne s’arrête pas à toute cette paperasse. Pour prendre soin des patients, je dois prescrire des tests et assurer le suivi de chacun d’entre eux. Cette tâche devrait être gérable, mais en tant que médecin de famille, je reçois les résultats de tous les examens que je demande et de tous les examens que les autres médecins demandent pour mes patients. Tout me parvient par voie électronique ou par fax. La pile de résultats grossit chaque année en raison de l’âge croissant de mes patients et de la complexité grandissante de leurs besoins. Malheureusement, on ne sait pas toujours pourquoi un test a été demandé par un autre médecin, ni même si le patient a été informé du résultat.En tant que gardienne du dossier médical d’un patient, c’est à moi qu’incombe la tâche de trier les tests anormaux et d’assurer un suivi adéquat de ces patients. Les dossiers médicaux électroniques (DMÉ) devraient simplifier cette tâche, mais ce n’est pas le cas. De nombreux médecins en Ontario ne partagent pas leurs DMÉ et, sans le soutien du gouvernement provincial pour connecter tous ces dossiers électroniques, la prise en charge des patients est une tâche complexe et difficile.Lire aussi: Ma vie de médecin de famille à Sault-Sainte-Marie, en OntarioLe Collège des médecins de famille de l’Ontario a récemment mené une enquête auprès de ses membres et il a constaté qu’en moyenne, un médecin de famille consacre 19 heures par semaine à des tâches administratives et de bureau. Faut-il s’étonner que des articles récents indiquent que les étudiants en médecine ne veulent pas devenir médecins de famille? En fait, 94% des omnipraticiens déclarent se sentir dépassés par ce fardeau et, par conséquent, certains vont même jusqu’à fermer leur cabinet. Dans ma ville natale de Sault Ste. Marie, 10 000 patients se sont récemment retrouvés sans médecin de famille et, aujourd’hui, 40% des membres de la communauté n’ont pas de prestataire de soins de santé primaires.Les collèges et associations de médecins s’efforcent de promouvoir des changements qui allègent la charge administrative, mais il faut faire plus et plus vite. Les gouvernements provinciaux et fédéral doivent jouer un rôle plus actif dans la résolution de ce problème. Avec le vieillissement et la croissance de la population, il faudra un effort concerté pour faire de la médecine familiale une profession où les cliniciens sont capables de voir plus de patients et faire moins de paperasserie.La Dre Adrianna Schamp (Malicki) a grandi à Mississauga, a étudié à Toronto et pratique aujourd’hui la médecine familiale et palliative à Sault Ste. Marie, en Ontario. Ce texte a été publié dans le Toronto Star le 30 septembre 2024.

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