La diphtérie - De el garrotillo à Balto

Le premier mot est espagnol, le second est américain. Ces deux termes n’ont aucun lien entre eux, si ce n’est l’une des maladies les plus meurtrières de l’histoire humaine : la diphtérie.Jusqu’à la fin du 19e siècle, cette maladie constituait la plus grande cause de mortalité infantile. Et comme bien des maladies, elle semble aussi vieille que l’homme. Mais comme le terme actuel de diphtérie n’a fait son apparition qu’il y a à peine 200 ans, ses manifestations historiques sont plus difficiles à cerner.L’AntiquitéSix siècles avant notre ère, le médecin indien D’Havantare décrit les symptômes d’une maladie mortelle dont on pourrait traduire le nom par « maladie de la gorge fermée ». Il s’agit d’une « affection dans laquelle se produit, par suite d’une augmentation de la lymphe du sang, un gonflement de la gorge caractérisé par de l’angoisse et de la douleur et qui, détruisant les organes, devient incurable en obstruant les canaux aériens1 ». Plusieurs siècles plus tard, au début de notre ère, Arétée de Cappadoce parlait d’une maladie semblable qu’il nomme « ulcère syriac » ou « mal égyptien », faisant ainsi référence à une épidémie de la maladie qui courait alors en Égypte et en Syrie. Gatien, au 3e siècle après J.-C., parlera d’« expectoration membraneuse ».Le Moyen-Âge et la RenaissanceL’historien Baronius signale des épidémies à Rome en 856 et en 1004. En 1576, Baillou, un médecin français, cite un chirurgien qui « affirme avoir ouvert le cadavre d’un homme enlevé par cette dyspnée et par une maladie inconnue. Il trouva une humeur épaisse et résistante tendue comme une membrane dans le larynx, devant l’orifice de la trachée, de telle façon que l’air extérieur ne pouvait ni entrer ni sortir librement et qu’elle avait causé une suffocation soudaine2. » La maladie portait alors plusieurs noms : angine pestilentielle, morbus strangulatorius, angine couenneuse, etc.Les 17e et 18e sièclesAlors qu’à l’époque, certaines potions à base d’arsenic ou de zinc ainsi que la trachéotomie sont les seules thérapies recommandées, entre en scène Louis Mercado, médecin privé du roi d’Espagne Philippe III. Il avait remarqué qu’un enfant atteint de la maladie l’avait transmise à son père en le mordant alors que celui-ci retirait des matières lui obstruant la gorge. L’origine transmissible de la maladie était pour la première fois soulignée. Nous sommes en 1620.La première vraie description de la diphtérie est attribuée au médecin français Pierre Fidèle Bretonneau. Dans son livre intitulé Des inflammations spéciales du tissu muqueux, et en particulier de la diphtérite, paru à Paris en 1826, il établit les distinctions entre la maladie qu’il nomma alors la diphtérite et les trois autres types d’angines : les angines banales, les angines couenneuses et les angines scarlatineuses. Il ne parvient malheureusement pas à prouver l’origine microbienne de la maladie, le microscope n’étant pas encore inventé.Le 19e siècle Comme bien des sciences de la vie, la microbiologie est alors en pleine essor. Ainsi la bactérie qui cause la diphtérie est identifiée par Theodor Edwin Klebs en 1883 et isolée un an plus tard par Friedrich Löffler. Elle portera le nom de Corynebacterium diphteriae ou bacille de Löffler-Klebs. Löffler avait pressenti que la bactérie n’était pas directement en cause, mais que la maladie serait plutôt le résultat d’une toxine émise par celle-ci. Deux autres noms célèbres vont venir corroborer cette hypothèse. En effet, Alexandre Yersin, découvreur du bacille de la peste (Yersinia pestis) et Émile Roux, co-fondateur de l’Institut Pasteur, mettront au point avec leurs collaborateurs une sérothérapie curative qui fera chuter la létalité de la diphtérie de 40 % à 2 %. Un grand pas venait d’être franchi dans la lutte contre cette maladie. Nous sommes en 1894.Au même moment, de l’autre côté de l’Atlantique, au New York City Department of Health’s Diagnostic Laboratory, le premier laboratoire municipal aux USA, la Dre Anna Wessels Williams et son associé, William H. Park, réussirent à produire, à partir d’une souche spécifique de la diphtérie (qu’on appelle encore la souche Park-William), une antitoxine 500 fois plus efficace, ce qui permit de diminuer d’autant les coûts de production.Les premiers vaccinsEn 1913, le médecin allemand Emil Adolf von Behring, un proche collaborateur du célèbre Robert Koch (découvreur du bacille responsable de la tuberculose), met au point un premier vaccin formé d’un mélange de toxine et d’antitoxine de la diphtérie. Le vaccin s’avère très efficace en laboratoire mais, malheureusement totalement inefficace chez les humains. À l’époque, deux théories s’affrontaient pour expliquer les défenses naturelles contre les agents infectieux : la théorie cellulaire et la théorie humorale. Grâce à ses travaux, Behring avait accordé ses lettres de noblesse à cette dernière, ce qui lui valut un prix Nobel de la physiologie en 1901.C’est à un vétérinaire et biologiste français que reviendra la paternité du premier vaccin efficace contre la diphtérie. En 1923, Gaston Ramon découvre qu’en mélangeant la toxine diphtérique avec un peu de formol, il obtient un produit très efficace qu’il nomme « anatoxine diphtérique » et qui sera finalement utilisé avec succès comme vaccin.Des résultats rapidesL’effet des vaccinations ne tarde pas à se faire sentir. Ainsi au Canada, la vaccination de masse a débuté dès 1930. Alors qu’en 1924 on avait signalé 9000 cas de diphtérie, une vingtaine d’années plus tard, on nerépertoriait guère que cinq cas. En 2011, un seul cas pour tout le pays a été recensé.C’est ainsi que le 20e siècle vit la fin des épidémies dévastatrices de la diphtérie. Enfin presque... En 1974, sur la Côte Nord du Saint-Laurent, une épidémie de diphtérie touche une douzaine de patients, pour la grande majorité des jeunes travailleurs forestiers. Les trois premiers atteints en meurent. L’épidémie se déclare le 5 septembre et est complètement subjuguée à la fin du mois d’octobre. Une intervention rapide et efficace de la santé publique a sauvé la situation. Plus loin de nous, en 1995, une autre épidémie éclate en Russie et en Roumanie et est aussi contrée. Finalement, en 2011, dans le village de Kimba au Nigéria, 13 enfants décèdent d’une étrange maladie. Il s’agit en réalité de la diphtérie. Plus d’une centaine de cas sont identifiés, dont vingt-quatre meurent. Une absence de vaccination et un retard à se faire soigner sont responsables de cette épidémie.BaltoEn 1925, dans un petit village d’Alaska éclate une épidémie de diphtérie. Les habitants de Nome ont désespérément besoin du sérum antidiphtérique pour sauver leurs enfants. Après avoir envoyé des télégrammes à toutes les villes et villages des alentours, on apprend que le sérum serait disponible à Anchorage, situé à plus de 1600 kilomètres. Une tempête empêche tout avion de décoller. Il est décidé d’utiliser des traineaux tirés par des chiens pour effectuer l’aller-retour. C’est grâce à un de ces attelages que l’on peut sauver bien des vies dans le village. Celui-ci était dirigé par le maître-chien Gunnar Kaasen, dont l’équipage de chiens Husky avait pour chien de tête Balto, qui devient instantanément un héros national. À Central Park, à New York, une sculpture en bronze est érigée à l’image de Balto avec ces mots gravés : « Endurance – Fidélité – Intelligence ». Son histoire a fait l’objet d’un dessin animé qui a fait fureur partout aux États-Unis. Et lorsque le vrai Balto décède en 1933, son corps est empaillé et cédé au Musée d’histoire naturelle de Cleveland.Depuis 1973, une course annuelle de traineaux à chiens reprend l’itinéraire de Balto, c’est la course Iditarod.1. Traduction libre du livre du Dr Joseph O’Dwyer, Acute and Chronic Forms of Stenosis of the Larynx, New York, William and Wood Company, 1889.2. Édouard Delthil, Traité de la diphtérie, sa nature microbienne, son origine ornitologique probable, Paris, 1891.

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