La déroute du système de santé en 2023 (Partie 1)

Ces derniers temps, je suis un peu découragé par notre système de santé et de la direction qu’il semble prendre. Je débute par une mise en garde: je ne voudrais pas que cette chronique soit perçue par les décideurs en place comme une critique personnelle ou un désaveu. Au contraire, j’ai rarement eu autant confiance aux gens qui sont en place présentement. J’aime bien le ministre Dubé: gestionnaire chevronné, courageux, calme mais déterminé. Que dire de mon collègue Dr Amyot à la FMOQ: un travailleur d’équipe, fier de la profession de médecin de famille et qui depuis le début de son mandat démontre une grande ouverture à la collaboration interprofessionnelle. Quant à Mauril Gaudreault, c’est le de loin le meilleur président de CMQ que j’ai connu depuis le début de ma pratique en 2005. J’ai énormément d’admiration pour son ouverture d’esprit et son courage dans des prises de position progressistes. La série des excellents décideurs en place ne s’arrête pas là. Luc Mathieu à la tête de l’OIIQ, le Dr Alain Papineau à la tête du Collège québécois des médecins de famille, le Dr Vincent Oliva à la Fédération des médecins spécialistes et j’en passe. Pour une des rares fois depuis des années, je vois un panel de gens compétents, respectueux et diplomates aux commandes du système. Et c’est ce qui m’inquiète. Malgré tous ces gens compétents, on a l’impression en cette fin de 2023 que tout déraille…Non, vraiment, le problème, c’est la machine… Le monstre qui engouffre tout, même les espoirs les plus louables de toutes ces bonnes personnes. Et surtout, surtout, ce monstre qui lessive la fierté du personnel du réseau, qui leur vole leur désir de se dépasser et qui les rend malades autant que ceux qu’ils soignent (je vous rappelle que les statistiques d’invalidité dans le réseau public sont au rouge). Nous sommes tous en train d’être engloutis par ce ministère politisé, lourd de sa bureaucratie et de ses lois réécrites et amendées à l’infini. J’entends de plus en plus souvent sur le terrain «le bateau coule».Vous avez le goût de cesser votre lecture ici? Accordez-moi le bénéfice du doute… Dans cette chronique, je vais vous brosser un portrait sombre de notre système. Un portrait certes un peu caricatural, mais pas tant. En échange, je vous promets de vous revenir avec une partie 2 en 2024: le portrait d’un système qui pourrait marcher. Un système idéal. La seule chose que j’aurai de la misère à faire, c’est d’expliquer comment on peut passer d’un à l’autre. Ça, je ne suis pas encore certain de la solution. Alors pour ceux qui y sont encore, allons-y. Mais n’oubliez pas, si vous lisez ceci, il vous faudra lire la partie 2 en 2024 pour éviter le trouble d’adaptation. En 2023, la première ligne, porte d’entrée du système, est assurée principalement par les pharmacies communautaires, les GMF, les CLSC et le GAP. Et l’urgence… la porte qu’on aime moins. Le baromètre du système. Plusieurs portes, jusque-là ça va. Salutations et hommages à nos collègues pharmaciens, un des rares endroits où tu peux simplement entrer et demander conseil au pharmacien, le jour, le soir et les fins de semaine, sans poireauter 2h au bout du fil ou blasphémer devant Rendez-vous Santé Québec ou Clic Santé. Là où ça se gâte, c’est dans l’absence de logique au niveau de l’inscription et de cohérence dans les trajectoires de prise en charge de première ligne. Actuellement, tu peux être en parfaite santé, être un jeune adulte et être inscrit à un médecin de famille. Si tu as gagné à cette loterie de l’inscription, en plus d’avoir TON médecin de famille, tu as la chance la plupart du temps d’avoir un accès en moins de 48h à un médecin via son GMF et ce, même si c’est pour vérifier si tu as l’oreille bouchée par du cérumen ou la mycose des ongles. On me répondra qu’il faudrait que les secrétaires de GMF ou une intelligence artificielle trient le patient vers une infirmière… C’est oublier que le patient peut se faufiler dans les plages RVSQ du médecin par internet. Chaque semaine je reçois de ces patients qui ont accès à mes plages d’accès adapté et qui me disent: «Je me sens beaucoup mieux depuis que j’ai pris le rendez-vous docteur, mais je l’ai gardé quand même». Salutations Mme Tartanpion, bon retour à la maison… Mais avez-vous pensé à ceux qui ne sont pas inscrits? Ou inscrits en groupe? Au même moment, un patient atteint de lourdes comorbidités, combinées à des problèmes de dépendance ou de santé mentale, peut avoir perdu à la loterie de l’inscription. Il se retrouve orphelin ou inscrit à une pratique de groupe. Les infirmières du GAP feront tout leur possible pour l’aider et le dirigeront probablement vers une plage médecin dans un GMF. Un problème, 15 minutes. Le médecin le stabilisera du mieux qu’il peut… jusqu’à la prochaine réorientation, très certainement avec un autre médecin. Aucune vue d’ensemble sur son dossier. Aucune cohérence dans le suivi. Le patient inscrit en individuel a cependant cette chance. Il est marié à son médecin inscripteur et pourra le revoir la semaine suivante pour sa calvitie s’il a oublié d’en parler à son dernier rendez-vous. Il y a aussi l’IPSPL. Encore une fois, grâce à la magie de l’inscription individuelle, ses patients auront un contact longitudinal privilégié avec elle. Le problème, c’est qu’elle ne peut pas diagnostiquer les problèmes de santé mentale. Comme ces patients représentent parfois 20-30% des pratiques de première ligne, elle devra régulièrement demander à son médecin partenaire de venir valider ce qu’elle sait déjà en l’interrompant, entre un cas de GAP et un bouchon de cérumen. Il y a aussi ces cliniques d’IPSPL, solution miracle pour désengorger les urgences… Dans ces cliniques cependant, un patient peut passer de l’IPSPL au spécialiste parce qu’il n’y a pas de médecin de famille pour appuyer l’infirmière pour les cas un peu plus complexes. Pas suffisamment complexe pour la spécialité, mais la «consultation en médecine familiale» n’existe pas vraiment encore au Québec. Il y aussi l’accès à la spécialité… Ou plutôt, le non-accès. Quand les citoyens seront-ils informés que la liste d’attente CRDS de certaines spécialités est un mirage? Combien de temps par jour passe le médecin de famille au téléphone à magasiner et demander à reprioriser un cas, répondre aux demandes de précision du CRDS, de l’imagerie médicale. Remplir le laissez-passer 3A256 pour accéder à certaines spécialités qui refusent de s’uniformiser. On a l’impression que les CRDS passent plus de temps et d’énergie à trier leur liste et fermer de vieux dossiers qu’à octroyer des rendez-vous. Maintenant, un sujet tabou. Je ne me ferai pas d’amis ici. Combien de mesures de contrôle ont été instaurées en médecine familiale dans les dernières années? Accès en temps opportun, assiduité, nombre de patients inscrits… À la même période, qu’a-t-on demandé comme garanties à nos collègues spécialistes en contrepartie des augmentations consenties? L’impact est clair. Un cardiologue peut suivre dans ses cliniques un patient MCAS stable depuis des années à un tarif largement supérieur à ce qu’il en coûterait s’il était suivi par un médecin de famille ou une IPSPL. Je m’excuse à l’avance pour le choix de l’exemple de cardiologie. C’était le plus rapide et le moins complexe à comprendre. Mais cela peut s’appliquer à plusieurs autres spécialités vous l’aurez compris. Tout le monde connaît un spécialiste en pré-retraite qui fait du suivi pratiquement de première ligne, au gros tarif de spécialité. Manque d’argent et de ressources dans le système, même pas assez pour payer convenablement les infirmières, mais ce n’est pas grave. Il faut respecter l’autonomie professionnelle. Ça m’emmène sur le sujet du surdiagnostic et du surtraitement. Au Québec, on estime que 30% des soins de santé sont inutiles. Quand avez-vous entendu un gouvernement vouloir sérieusement s’attaquer à ce fléau? Il y a certes l’IPAM et l’INESSS qui travaillent au dossier, mais clairement qu’il y a d’énormes quantités de ressources à récupérer ici. La pertinence, c’est aussi d’accepter l’incertitude, quelque chose de difficile pour la société. Combien d’heures j’ai dû passer dans mon bureau, suite au décès de Karl Tremblay, pour expliquer fiches visuelles de l’INESSS à l’appui que le dépistage du cancer de la prostate n’offre pas un bon rendement en termes de risques et bénéfices. Mais je trouve que ça vaut la peine de le faire. Je suis convaincu que c’est plus «rentable» que simplement cocher un APS pour me débarrasser des questions du patient. Avec la cascade de surdiagnostic qui peut s’en suivre. Pendant que je passais ce temps de qualité bien investi avec mes patients, un urologue lançait au téléjournal, en heure de grande écoute, que tous les hommes de 50 ans et plus devraient être dépistés. Sans plus de nuances. Une étude récente démontre qu’il faudrait plus d’heures qu’il n’y a dans une journée pour que le médecin de famille applique à son patient la totalité des recommandations en dépistage, prévention et soins des maladies chroniques. Encore une fois, je vous rappelle qu’on laisse le médecin de famille faire ce counseling seul avec ses patients inscrits pendant que les infirmières du GAP s’occupent de patients pluri pathologies en les promenant entre différentes cliniques. Et les infirmières GMF vous me direz? Y a-t-il une clinique GMF au Québec qui peut dire qu’elle a toutes ses ressources, stables, suffisamment pour mettre en place des processus solides et durables de collaboration interprofessionnelle?Il ne faut pas oublier la santé mentale… Comme médecin de famille, je passe des heures par jour à écouter mes patients en situation de crise familiale, de pauvreté, de conflits avec l’employeur… Je les réfère bien sûr en service social. Les services arriveront quelques mois plus tard, quelques heures d’écoute plus tard, quand le problème sera réglé bien souvent. Il y a aussi les psychologues au privé. Même eux sont rendus avec des listes d’attente. Pour ceux avec des problèmes de santé mentale plus complexe ou même inquiétants, je communique avec mon psychiatre répondant, qui me rappelle trois ou quatre semaines plus tard, ou pas. Je peux demander une consultation formelle en psychiatrie via le CRDS. Une armée de travailleurs psychosociaux rappelleront mon patient pour voir comment il peut éviter de voir le psychiatre. Le meilleur, c’est quand le travailleur social du guichet d’accès en santé mentale réoriente mon patient vers… le travailleur social de mon GMF. Merci. J’aurais pu le demander moi-même. Je terminerai avec l’apocalypse: l’informatique en médecine au Québec. On lisait récemment dans la presse les déboires du nouveau système de gestion des analyses de laboratoires. Certains médecins consacrent plusieurs heures par jour à maintenir des données de patients sur des fichiers Excel de peur d’échapper des analyses de laboratoire. Cela dure depuis des mois et tout le monde semble accepter cela. C’est un problème de gestion du changement qu’ils disent. Combien d’heures par semaine consacrez-vous à vous battre avec les plateformes multiples (télédermatologie, conseil numérique en spécialité, DSQ, DMÉ, SIED etc.), à changer chaque mot de passe avec ses caractéristiques différentes… J’ai dû changer ma clé de DSQ l’autre jours. Dix jours ouvrables pour me la livrer. Ça ne semblait pas émouvoir beaucoup la personne au bout du fil quand je lui expliquais que c’était un outil aussi important (sinon plus…) que mon stéthoscope pour soigner. J’aurais dû partir 10 jours dans les Antilles. Tiens, c’est ce que je vais faire début janvier… Question de vous revenir plus optimiste avec ce que pourrait avoir l’air un système de santé fonctionnel.

La déroute du système de santé en 2023 (Partie 1)

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Derrière ce blogue:

Mathieu Pelletier

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