Intégration de la première cohorte de TP: «Je continue de faire les tâches d’ATP»

Alors que leur arrivée était attendue, et préparée de longue date par les associations professionnelles et l'Ordre des pharmaciens, comment se passent réellement les premiers pas des nouvelles et nouveaux techniciens et techniciennes en pharmacie (TP)? Les équipes techniques sont-elles vraiment au fait de leurs nouveaux rôles, et leur laissent-elles la place nécessaire pour les exercer? Les pharmaciens et pharmaciens sont-ils prêts à déléguer? ProfessionSanté.ca a rencontré trois finissantes du Cégep Gérald-Godin de Dollard-les-Ormeaux, et a recueilli leurs impressions après quelques mois de pratique. Un manque d’anticipationEn réintégrant le département de pharmacie du CISSS de la Montérégie-Ouest – où elle était assistante technique en pharmacie (ATP) – après l’obtention de son diplôme de TP, Soon-Chun Bédard a été un peu déçue. «J’ai dû reprendre mes tâches d’ATP, et petit à petit, j’en ai fait de nouvelles. Mais ce titre est nouveau pour tout le monde, donc il faut encore bien définir certaines tâches», concède la finissante. Qu’il s’agisse des pharmaciens ou des autres ATP, peu savent en effet en quoi consiste ce nouveau rôle. «On m’a assignée à des tâches plus techniques, mais j’en ai profité pour me former, compléter mes connaissances sur des domaines comme l’approvisionnement et développer d’autres projets», rassure Soon-Chun. Côté pharmacie communautaire, le premier bilan est aussi en demi-teinte pour Milena Ignjatovic, ATP depuis 9 ans et ATP cheffe depuis 4 ans et demi à Anjou. «Le retour au travail est un peu difficile, car je continue de faire les tâches d’ATP. Mon pharmacien m’a beaucoup encouragée à devenir TP, mais il n’est pas trop au fait des attentes concernant mon nouveau poste. Je lui ai dit qu’il aurait pu mieux préparer mon retour, et s’informer. Mais une fois que j’ai verbalisé mes attentes, il a été ouvert.» Pour Sabrina Ouellette-McDonald, la découverte du métier de TP a aussi rimé avec la découverte du monde de la pharmacie. Après une reprise d’études à 30 ans, cette jeune finissante prend progressivement ses marques au Pharmaprix Daniel et André Kayal, à L’Île-Perrot. «Ça se passe bien, même si je ne fais pas le poste que je devais faire originellement. Je devais travailler dans les deux pharmacies de mes propriétaires, et faire une journée clinique, procédures et amélioration continue, puis une journée gestion et facturation dans les deux établissements. Mais notre cheffe technicienne a dû partir et on m’a demandé de la remplacer.»Mais même si elle a eu des cours de gestion, passer de la théorie à la pratique est un peu stressant. «J’avais peur, car je ne l’avais jamais fait. Mais je me suis dit que je ne perdais rien et que ça me ferait de l’expérience. Nous avons tellement d’opportunités que si ça ne marche pas ou si je n’aime pas ça, je pourrai faire autre chose. Donc je me suis lancée.»À lire aussi: Intégration des TP: entre excitation et inquiétudeConvaincre les ATPL’une des craintes de Sabrina Ouellette-McDonald pendant ses études était de ne pas s’entendre avec ses futures collègues ATP. «Pendant nos stages, beaucoup d’ATP ne voulaient pas nous accueillir, n’étaient pas ouvertes, surtout en communautaire. Il faut dire que la plupart sont formées sur le tas, sans diplôme, et qu’elles font déjà toutes les tâches des TP au quotidien.» Et même si elle avait déjà travaillé huit mois dans cette pharmacie pendant ses études, l’équipe de temps plein lui faisait peur. «C’est une équipe nombreuse avec beaucoup d’expérience, certaines personnes sont là depuis 15 ans.» En laissant les membres de l’équipe technique lui montrer leur manière de faire, la nouvelle TP parvient à tisser un lien de confiance avec ses nouvelles collègues. Milena Ignjatovic, elle, a trouvé un moyen de mettre tout le monde d’accord: «on a fait un plan pour mettre toutes les tâches au clair.» Parce qu’elle ne pouvait plus tout prendre en charge, la nouvelle TP a dû déléguer plusieurs tâches comme les inventaires, pour se consacrer davantage au côté administratif et clinique. «Je fais deux jours de clinique, je prends en charge les patients et les suivis, et je fais de l’administratif, de la VCC… Je suis satisfaite!»Pouvoir compter sur les pharmaciensMais la vraie clé de voûte d’une intégration réussie est l’état d’esprit des pharmaciens propriétaires, affirme Sabrina Ouellette-McDonald. «Tout dépend de la manière dont ils vont nous présenter. Pendant l’un de mes stages, une ATP voulait vérifier tous mes calculs d’antibiotiques alors que je suis formée à le faire! On me remettait toujours en question, donc je voulais me défendre sans offusquer personne.» La trentenaire confie avoir de la chance d’être tombée sur des pharmaciens propriétaires impliqués et enthousiastes, même si elle a dû faire preuve de pédagogie pour clarifier ses prérogatives. «Ils avaient l’air vraiment fiers de m’avoir, et ils le disaient à tous les patients. Ils me soutiennent et m’encouragent, ils prennent le temps de me montrer et je sais que je peux aller les voir si je suis inquiète ou si j’ai un doute.»À lire aussi: S’attaquer aux écarts de rémunération des ATP et des TPGrâce à sa journée hebdomadaire de remplacement dans un Jean Coutu, Milena Ignjatovic a pu comparer le fonctionnement de sa petite pharmacie de quartier et d’un établissement franchisé. «Mon pharmacien est ouvert et me demande ce que je veux faire, il s’adapte. Alors que dans le Jean Coutu où je remplace, les pharmaciens étaient prêts à nous recevoir, les tâches étaient déjà assignées. Mais certains étaient encore réticents à me confier la VCC, même si j’ai ma certification.» Le chemin de Soon-Chun Bédard est un peu plus chaotique. «La majorité des pharmaciens sont vraiment habitués au travail des ATP, et à leur déléguer énormément à cause de la pénurie de personnel, comme l'auto-vérification ou l’intégration des machines. Alors que ça devrait être fait par les TP.» Malgré tout, la nouvelle technicienne en pharmacie prend peu à peu sa place et se familiarise avec ses nouvelles assignations. «Ce qui est assez différent de mes tâches d’avant, c’est le côté administratif, avec les audits internes, la vérification du travail des prescripteurs, les analyses des rapports d’accidents concernant les médicaments… J’aime réfléchir aux causes du dysfonctionnement et à la manière de les régler.» En attente de renfortSon rôle clinique va en outre être développé, avec une formation aux bilans comparatifs du médicament à la chirurgie. «Ça va vraiment permettre de faciliter la prise en charge du patient. Donc je vais aller chercher le rôle clinique petit à petit.» La TP attend avec impatience l’arrivée de nouvelles collègues pour constituer une équipe de techniciennes et obtenir davantage de rôles cliniques. «Plus on sera nombreux, plus on pourra demander à avoir des tâches intéressantes. Santé Québec s’en vient et on pourra aller où on veut si on ne s’épanouit pas dans notre job.»De son côté, Sabrina Ouellette-McDonald met tout en œuvre pour faire davantage de clinique. «Je suis vraiment en train de travailler fort pour optimiser le circuit. Je me donne un an pour ensuite pouvoir déléguer et faire plus de clinique. Pour l’instant, j’en fait quand ça se présente.» En attendant, la trentenaire va débuter un cours de gestion des services de santé et sociaux à l’Université de Montréal, afin de pouvoir, un jour, gérer une clinique Pharmaprix. Mais l’arrivée d’une nouvelle cohorte de TP l’inquiète tout de même un peu… En plus des RAC, y aura-t-il suffisamment de place et de travail pour tout le monde? «Je me demande si je verrais une autre TP ici. Mais j’encourage tout le monde à le faire, j’en parle et je donne l’exemple!»

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