Inconduite sexuelle: le Conseil de discipline du CMQ doit rejuger un omnipraticien

Le jugement de la Cour d’appel du Québec en faveur du Dr Sébastien Paquin vient de faire jurisprudence dans un autre dossier d’inconduite sexuelle, visant un autre médecin de famille, le Dr Martin Goldstein. En juillet 2021, ce dernier a entre autres écopé de deux radiations temporaires de deux et trois ans pour des propos abusifs et des photos à caractère sexuel échangés avec une patiente. Sanctions que le Conseil de discipline du Collège des médecins du Québec (CMQ) va devoir reconsidérer.En cause: l’article 156 du Code des professions, dont les nouvelles dispositions sont entrées en vigueur le 8 juin 2017. L’une d’elles stipule que tout professionnel reconnu coupable d’inconduite sexuelle doit être sanctionné par «une radiation d’au moins cinq ans, sauf si ce dernier convainc le Conseil de discipline qu’une sanction moindre serait justifiée dans les circonstances». Elle impose ainsi aux accusés un fardeau de persuasion s’ils espèrent échapper à une sanction plus sévère qu’auparavant pour des infractions à caractère sexuel dont la nature et la gravité peuvent varier énormément.Jusqu’à l’arrêt Paquin, le Conseil de discipline du CMQ, de même que le Tribunal des professions et la Cour supérieure jugeaient que cet article 156 était d’application immédiate. Autrement dit, qu’il s’appliquait à tous les dossiers examinés après le 8 juin 2017, même lorsque les faits reprochés aux médecins étaient antérieurs à cette date. Ce qui était le cas des Drs Paquin et Goldstein, qui ont tous deux contesté l’application rétrospective des dispositions du fameux article.En fin de compte, la Cour d’appel a donné raison au Dr Paquin. En septembre 2023, elle a statué que «le législateur n’a pas indiqué clairement son intention d’appliquer le régime de sanction prévu à l’article 156 du Code de manière rétrospective». Ce faisant, les instances disciplinaires et la Cour supérieure ont erré en droit en présumant, à tort, des intentions des députés québécois. La Cour d’appel a donc infirmé leurs décisions et «retourné le dossier à une autre division du Conseil de discipline du CMQ afin qu’elle prononce la sanction» du Dr Paquin, sans appliquer les modifications apportées à l’article 156 du Code. Dernièrement, le médecin de famille, qui devait répondre de messages à connotation sexuelle envoyés à un patient, a ainsi vu sa radiation minorée.L’«exceptionnel» dossier GoldsteinIl pourrait en être de même pour le Dr Martin Goldstein puisqu’en raison de ce qu’il convient d’appeler la jurisprudence Paquin, la Cour supérieure vient de renvoyer son dossier devant le Conseil de discipline du Collège. Ses pairs vont devoir réévaluer la sanction qu’il mérite pour deux des onze chefs dont il a été reconnu coupable en 2020, les deux visant son inconduite sexuelle au sein d’un dossier «aux circonstances exceptionnelles» qui méritent d’être rapportées. Médecin de famille depuis 1984, le Dr Goldstein exerçait à l’époque des faits dans une clinique sans rendez-vous de l’ouest de l’île de Montréal. Accessoirement, il pratiquait aussi la médecine esthétique. En janvier 2016, une patiente âgée de 36 ans le consulte pour des injections de Botox. Il la revoit début février à sa clinique et à partir de là, le médecin témoigne qu’il noue avec sa patiente une relation amicale. Courtière immobilière, celle-ci veut créer un spa où elle souhaite offrir des soins médico-esthétiques avec la collaboration du médecin septuagénaire.En parallèle, le clinicien la prend en charge pour une douleur abdominale qui est parfois invalidante. Après une échographie pelvienne, un CT-Scan et des tests d’urine, il diagnostique à la jeune femme une «petite hernie inguinale droite». Il lui signe une référence pour qu’elle consulte un chirurgien et, en attendant, il lui prescrit du Dilaudid. Une prescription qu’il va renouveler pendant une année, en augmentant la posologie, «sans raison médicale suffisante» ni «consigner de notes de suivi» au dossier de sa patiente, et sans non plus procéder à une anamnèse détaillée du tableau de sa douleur.Entre le 12 avril 2016 au 17 avril 2017, l’omnipraticien va ainsi lui rédiger «35 ordonnances de Dilaudid pour un total de 1429 comprimés», mentionne la décision sur sanction du Conseil de discipline rendue à son égard. Le Dr Goldstein va même s’impliquer pour s’assurer que la pharmacie lui délivre sa médication en évoquant tour à tour la perte des comprimés, leur destruction ou le départ en vacances de sa patiente.Lire aussi: Coupable d’inconduite sexuelle, un omnipraticien évite la radiation minimale de 5 ansBien plus qu’une patiente Dans le cadre de leur relation amicale, le médecin de famille l’invite au restaurant et lui offre à l’occasion des fleurs. Il intervient également dans ses affaires personnelles. Il lui propose de signer un bail pour qu’elle emménage dans un condo, dont il paye le loyer mensuel de 2175$ pendant 18 mois. Il lui loue une voiture neuve d’une marque prestigieuse, dont il assume aussi l’assurance. Il lui donne la somme de 16 000$ pour l’aider à payer ses impôts. Il remplace son cellulaire ou encore paye son épicerie à trois ou quatre reprises, etc., etc. Selon le médecin, il s’agissait de prêts, la courtière immobilière devant lui rembourser ces sommes dès qu’elle percevrait des commissions lui étant dues. Ce qu’elle ne fera jamais.En outre, les deux s’envoient fréquemment des messages texte. La trentenaire lui fait de nombreuses confidences sur sa vie privée. L’omnipraticien lui partage des informations personnelles. Au cours de cette année d’amitié, le Dr Goldstein reconnaît qu’il a aussi échangé avec elle quelques messages à connotation sexuelle, dont un où il écrit «what a nice day for a blow job» (quelle belle journée pour une fellation). Il reconnaît également qu’un jour sa patiente lui a fait parvenir une photo de ses seins et qu'en retour, il lui a transmis une photo d’un pénis, mais que ce n’était pas le sien et qu’il avait trouvé cette image sur un site web.À l’audience, le médecin de famille a admis devant ses pairs que ce geste était «stupide et irréfléchi». Il reconnaît qu’il a eu une «infidélité émotionnelle» avec sa patiente, mais affirme qu’il n’a eu aucun contact de nature sexuelle avec elle ni aucun geste ou lien d’intimité. Il mentionne qu’il ne la considérait pas comme une patiente, mais bien comme une amie. «On était devenus de bons amis», ajoute-t-il.Leur amitié va néanmoins tourner court au printemps 2017, lorsque la conjointe du Dr Goldstein découvre le pot aux roses. Elle surprend une conversation entre le clinicien et la jeune femme concernant la location de la voiture. Dès le lendemain, elle annule le bail de l’auto et discute avec l’intéressée. Cette dernière appelle dans la foulée le Dr Goldstein et lui demande de lui verser sur-le-champ 9000$ en le menaçant de porter plainte au Collège des médecins du Québec.Le médecin se rend aussitôt à la police pour déposer une plainte contre «son amie» dans laquelle il se dit victime d’extorsion. Les policiers recommandent alors à la trentenaire de ne pas entrer en contact avec le clinicien. Recommandation qu’elle ignore. Lire aussi: Un chirurgien radié cinq ans pour abus sexuel est acquittéBatailles de mises en demeureElle se présente le dimanche 7 mai à la clinique sans avoir annoncé sa venue au Dr Goldstein. Leur rencontre se déroule dans le corridor et dure moins de cinq minutes. La jeune femme exige une nouvelle ordonnance de Dilaudid. Le médecin refuse. Elle le menace. Il finit par la référer à un confrère qui exerce dans la même clinique en lui remettant une demande de consultation. Il se contente d’y écrire «To help with Rx Overdose» (À aider pour un surdosage de médicaments), sans mentionner qu’il a mis un terme à la relation thérapeutique ni la dépendance de la patiente au Dilaudid. Par la suite, il n’appelle pas le médecin pour lui exposer la situation.Dès lors, la relation entre l’omnipraticien et son ex-patiente se détériore sérieusement. Le lundi 8 mai, les avocats du Dr Goldstein transmettent une mise en demeure à la jeune femme lui intimant de rembourser la somme de 35 700$. Les avocats de cette dernière rétorquent que cette somme correspond à des dons. Ils mettent en demeure le clinicien de respecter ses engagements en lien avec le bail du condo et la location de l’auto. À défaut d’en arriver à un règlement favorable, la trentenaire se réserve le droit de déposer une demande d’enquête au CMQ.Près d’un après, une nouvelle mise en demeure est envoyée au médecin de famille. Son ex-amie lui réclame cette fois-ci la somme de 500 000$ et demande 75 000$ à sa conjointe. À ce jour, une demande introductive d’instance a bien été déposée par les avocats de la jeune femme le 14 mai 2019, mais elle n’a pas encore abouti à un procès civil pour des raisons de procédure.Coupable sur toute la ligneEn revanche, sa demande d’enquête reçue le 1er septembre 2028 par le syndic du Collège a fait son chemin. Élaboration négligente du diagnostic, prescription de Dilaudid sans raison médicale suffisante, absence de notes de suivi au dossier, consultation a posteriori du dossier santé Québec (DSQ), le Dr Goldstein a plaidé coupable à sept des huit chefs d’infraction qui lui étaient reprochés au niveau de sa prise en charge clinique. Il a également admis sa culpabilité pour les trois chefs en lien avec son «approche amicale»: intervention dans les affaires personnelles de sa patiente, envoi de messages texte à connotation sexuelle et d’une photo d’un pénis.En revanche, l’omnipraticien contestait avoir mis fin au suivi médical de sa patiente sans se préoccuper de la possibilité d’un sevrage aux opioïdes et sans s’être assuré qu’un autre médecin puisse le faire à sa place. S’il reconnaît que lui prescrire 14 mg par jour de Dilaudid était «excessif» et qu’il a fait preuve de complaisance, il affirme que sa patiente n’avait jamais présenté de signes de dépendance au Dilaudid et que le 7 mai 2017, «elle n’est pas en sevrage», car il n’observe aucun tremblement ou diaphorèse. Selon lui, il n’avait donc pas à s’en préoccuper, d’autant plus qu’il était convaincu qu’elle avait encore en sa possession des comprimés de Dilaudid. Il ajoute qu’il n’avait d’autre choix que de mettre un terme à la relation thérapeutique étant donné le bris de confiance.Lire aussi: «Thank you for the good time»: le Dr Allan B. Climan écope d’une radiationLe Conseil de discipline n’a pas vu les choses du même œil. Il considère que le Dr Goldstein «aurait dû référer sa patiente à un autre médecin ou à un autre professionnel bien avant le 7 mai 2017. (Il) savait qu’il avait transgressé la relation thérapeutique». De plus, en dépit du contexte dans lequel il y a mis fin, il «n’a pas eu une conduite irréprochable envers sa patiente», ses pairs estimant qu’il aurait dû malgré tout «assurer personnellement le suivi médical requis par l’état de celle-ci».Dans l’ensemble, ses pairs ont sans surprise jugé que les gestes commis par le médecin de famille sont graves et «très sérieux». Après avoir entendu son témoignage, ils estiment qu’il ne réalise pas la gravité des gestes qu’il a posés dans un contexte où il a allègrement outrepassé les limites de la relation thérapeutique «mettant notamment en cause la qualité des actes médicaux et son indépendance professionnelle». Risque de récidive «toujours présent»S’agissant de ses inconduites de nature sexuelle, le Conseil conclut à leur «caractère grave». Il constate que la patiente était dans une situation de grande vulnérabilité, illustrée par sa dépendance au Dilaudid qui lui a été prescrit en grande quantité par le médecin, mais aussi par la relation économique existant entre les deux. En outre, il se dit préoccupé par certaines remarques formulées par le Dr Goldstein qui a banalisé ses gestes. Il a notamment déclaré que ses messages textes n’étaient pas «pornographiques», qu’ils ne contenaient pas «des propos abusifs» et qu’il s’agissait de blagues («off-color jokes»). Négligeant les conséquences de ses actes pour sa patiente, «il exprime davantage de préoccupations eu égard aux conséquences de ses gestes sur sa vie familiale, personnelle et professionnelle», ajoute le Conseil en évaluant que son risque de récidive est toujours présent.Au final, l’omnipraticien s’est vu imposer une amende de 3500$, une radiation de cinq mois, une de six mois, deux de deux mois et quatre de trois mois (à purger concurremment) pour ses manquements relatifs à la prise en charge clinique de sa patiente. Pour ses deux infractions à caractère sexuel, le Conseil a appliqué l’article 156 du Code des professions pour lui imposer deux amendes de 2500$, une période de radiation de deux ans et une autre de trois ans; des sanctions «justes, équitables et appropriées aux circonstances du présent dossier».Lire aussi: Un médecin de famille radié 7 ans pour des inconduites sexuelles gravissimesEn appel, le Tribunal des professions a revu ces sanctions à la baisse. Il juge que le Conseil a considéré à tort que le Dr Goldstein minimise ses infractions. «Il a (aussi) reconnu que l’envoi des messages était “stupid”, “dumb” et du “bad judgment” de sa part», note le Tribunal. Il ajoute que «le Conseil pouvait difficilement conclure que (le médecin) avait “banalisé” les gestes qu’il a posés, ne serait-ce que parce qu’il a plaidé coupable dans les circonstances que l’on sait, en particulier, en l’absence de toute preuve du contenu des messages, sauf un».Par ailleurs, le Tribunal affirme qu’«il est difficile de prétendre, sans autre preuve que “le risque de récidive est toujours présent” alors que (le Dr Goldstein) n’a aucun antécédent disciplinaire malgré une longue carrière de plus de 35 ans, que dans une certaine mesure, il a collaboré à l’enquête et qu’il a décidé de plaider coupable», aux deux chefs visés. Il conclut ainsi que «c’est plutôt une période de radiation temporaire de 18 mois sur chacun des deux chefs d’infraction qui aurait dû être imposée», tout en maintenant les deux amendes de 2500$.

Inconduite sexuelle: le Conseil de discipline du CMQ doit rejuger un omnipraticien

Pour accéder au contenu, connectez-vous ou créez un compte gratuit.

Catégories connexes