Il faut repenser la maladie d'Alzheimer, selon des chercheurs

Dans un article publié dans le Journal of Alzheimer’s Disease, quatre chercheurs québécois remettent en question la compréhension clinique et scientifique de la maladie d’Alzheimer, centrée sur le développement de dépôts amyloïdes. Ils proposent d’adopter un paradigme plus large et multidimensionnel pour aborder ce trouble neurodégénératif complexe. Profession Santé s’est entretenu avec deux d’entre eux.Simon Duchesne est professeur au département de radiologie et de médecine nucléaire de la Faculté de médecine de l’Université Laval, chercheur à l'Institut universitaire en cardiologie et pneumologie de Québec et codirecteur du réseau québécois de recherche sur le vieillissement. Christian Bocti est neurologue, professeur titulaire à la Faculté de médecine et des sciences de la Santé de l’Université de Sherbrooke et chercheur au Centre de recherche sur le vieillissement du CSSS-IUGS.Pourquoi estimez-vous qu'il faut revoir notre compréhension de la maladie d'Alzheimer?Simon Duchesne (S.D.) Depuis 40 ans, il y a un mouvement très fort pour définir la maladie d'Alzheimer selon la présence de l'amyloïde. On a des médicaments qui vont agir sur ladite protéine amyloïde. Au début des années 2000, par exemple, des vaccins enlevaient complètement la protéine, mais ont causé des méningites et des décès, donc on a abandonné cette piste. On a maintenant des anticorps monoclonaux qui réussissent à enlever la protéine amyloïde du cerveau. Mais est-ce que ça élimine le déclin cognitif ou stabilise les patients? Non. Ces traitements ne font que retarder le déclin cognitif, à peu près du même ordre de grandeur que les médicaments actuels qui travaillent sur l’acétylcholine. Il y a une vision monocentrique de la maladie, malgré des preuves qui ne permettent pas de définir la maladie d'Alzheimer comme étant strictement une maladie, une protéine, un médicament. Christian Bocti (C.B.) Il y a un discours un peu simpliste véhiculé par plusieurs spécialistes, selon lequel l’amyloïde serait la principale cause de la maladie d'Alzheimer. Or, il y a beaucoup de limites à cette vision. Quand vous lisez tout ce qui se fait sur la maladie d'Alzheimer, vous voyez qu'il y a toutes sortes de facteurs qui y sont associés, comme les facteurs vasculaires, les traumatismes crâniens, les infections. On dit: «comme l'amyloïde cause l'Alzheimer, on va enlever l'amyloïde et on va guérir l'Alzheimer». Je n’adhère pas du tout à cette position. Comme clinicien, je suis conscient de la complexité du problème. Beaucoup de pathologies sont combinées chez les personnes âgées.Chez les personnes jeunes avec une maladie génétique, les plaques amyloïdes sont en cause. Mais pour les personnes âgées avec la maladie d'Alzheimer sporadique standard, cela n'explique pas l'ensemble du problème, loin de là!Comment devrait-on aborder la maladie d’Alzheimer dans toute sa complexité?S. D. Il y a toutes sortes de biais en médecine. Tant qu'il n’y a pas d’atteinte cognitive, les cliniciens ne sont pas prêts à donner un diagnostic. Les neurologues disent: «s’il n’y a pas de dépôts amyloïdes, de taux d’atrophie vasculaire, je ne suis pas prêt à appeler ça de l'Alzheimer». Les gens en politique publique vont dire que ce sont les iniquités de santé qui mènent à ce problème. En tant qu'ingénieur, je vois le cerveau d'abord comme une machine ultra-complexe. D'ailleurs, on peut faire un parallèle entre cette maladie et le climat. Les climatologues et les mathématiciens savent depuis 60 ou 70 ans que le climat forme un système complexe avec des rétroactions qui évoluent dans le temps. Sortir votre bac bleu, chaque semaine, c'est bien, mais ce n'est pas suffisant. Pour régler le climat, il faut régler le transport, l’industrie, etc. Pour l’Alzheimer, on n’est pas encore rendus à ce niveau de compréhension.Comment cette vision holistique pourrait-elle s’intégrer dans la pratique clinique?S. D. Plutôt que de dire au patient: «vous avez une maladie», on pourrait lui dire que son cerveau contient 10 composantes, et que 5 d'entre elles sont à un niveau critique. Et poursuivre ainsi: «Je vais vous donner tel cocktail de pilules pour corriger trois des cinq composantes critiques. Pour améliorer les deux autres, il est nécessaire de revoir votre diète et de cesser de fumer.» D’un point de vue clinique, il faut apprendre à changer notre langage.Quelles dimensions devraient davantage être intégrées dans la recherche selon vous?C. B. Livingston et coll. dans Lancet Commission on Dementia, citent les 14 facteurs de risque liés à la démence. Qu'il s'agisse des cellules, des organes, du cerveau, des fonctions cognitives, des relations interpersonnelles ou de l'environnement, il y a différents niveaux d'analyse. Il y a notamment les facteurs vasculaires, les infections au cours de la vie, les facteurs de métabolisme énergétique et l'activité physique, laquelle joue un rôle préventif important. On raisonne souvent de manière très linéaire. On veut trouver une cause, on enlève la cause, et on pense qu'on règle le problème. Or, les systèmes biologiques sont des systèmes complexes. Cette approche complexe n'est pas vraiment pas adoptée en médecine ou en recherche aujourd'hui.Quels messages clés aimeriez-vous transmettre aux professionnels de la santé?S. D. Pour maintenir la santé cérébrale la plus optimale possible, il faut passer par la médecine, la prise en charge des facteurs de risque comme le cholestérol et le diabète. Les médecins doivent faire de la sensibilisation parce que les gens les écoutent. On parle de prévention et de maintien des acquis, de promotion de la santé. On peut commencer à parler de démence à quelqu'un qui a 50 ou 65 ans, car cette réalité commence à être proche. Cet accompagnement doit se faire tout au long de la vie, et la première ligne joue un rôle central dans cette démarche.C. B. L'idéal, c'est de tenir compte et d'agir sur les différents facteurs qui affectent la cognition chez votre patient, idéalement au stade de la plainte cognitive ou du trouble cognitif léger. C'est là qu'on a le plus d'impact pour réduire le déclin cognitif futur. Je ne crois pas que les nouveaux médicaments qui sont à l'étude aux États-Unis vont donner la réponse. Ils sont très faiblement efficaces, et je ne pense pas qu'il faut attendre leur arrivée, il faut agir dès maintenant. Les succès les plus phénoménaux qu'on peut avoir surviennent lorsqu’on retire des médicaments nocifs pour la cognition. Quand on fait la revue de la médication et qu’on cesse ces traitements, les patients s’améliorent fréquemment. Ceux qui modifient leurs habitudes de vie — qui mangent mieux ou qui sont plus stimulés intellectuellement — peuvent souvent maintenir une stabilité sur plusieurs années. Évidemment, on ne peut pas lutter contre le vieillissement, mais on peut apprendre à composer avec la complexité et à agir sur un maximum de facteurs possibles.Les propos de Simon Duchesne et de Christian Bocti ont été adaptés par souci de clarté.Pour aller plus loin:Duchesne S, Potvin O, Hudon C, Bocti C. A brain health framework with application to the study of neurodegeneration. J Alzheimers Dis. 2025;0(0). doi:10.1177/13872877251364867

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